Encore aujourd’hui les femmes sont sous-représentées dans les études sur les performances sportives. L’ancienne sportive Juliana Antero, a été longtemps concernée par le stress de cycles menstruels irréguliers. Afin de démocratiser ce sujet et de lutter contre cette inégalité, elle a lancé le programme de recherche EMPOW’HER afin d’accompagner toutes les sportives1.
Cet article a été publié en exclusivité dans notre magazine Le 3,14 sur la science et le sport.
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Pourquoi les femmes sont-elles peu présentes dans les études scientifiques sur les performances sportives ?
Effectivement, les femmes ne représentent que 35 % des participantes aux études dans le domaine des sciences du sport. La plupart des protocoles médicaux, nutritionnels et d’entrainement que les sportives suivent sont développés pour des athlètes masculins. Certains scientifiques justifient cette absence par l’influence que peut avoir le cycle menstruel sur les résultats scientifiques et la performance des femmes. Mais c’est justement la raison pour laquelle ces études sont nécessaires ! Si l’on veut optimiser les résultats sportifs des femmes, il est nécessaire de mieux connaître l’impact de la physiologie féminine sur leurs performances.
Quel est l’objectif de votre projet EMPOW’HER ?
L’objectif principal d’EMPOW’HER (Exploring Menstrual Periods Of Women athletes to Escalate Ranking) est de maximiser les performances des athlètes féminines en optimisant leurs réponses à l’entraînement par des charges d’entraînement adaptées, en synergie avec leur physiologie et leur cycle menstruel. Depuis 2020, nous avons suivi une centaine de sportives de haut niveau, qui ont participé aux JO d’été de Tokyo, aux JO d’hiver de Pékin, et/ou qui s’apprêtent à participer aux JO de Paris. Presqu’une dizaine de disciplines sont concernées : l’aviron, le cyclisme, la natation, le ski, la lutte, la gymnastique, le triathlon. Chaque jour d’une période de six mois, ces femmes notent leurs données sur une application : la qualité de leur sommeil, les douleurs musculaires si elles en ressentent, les douleurs liées à leurs menstruations, à leur état de stress, etc. Nous pouvons ainsi observer l’influence des fluctuations hormonales sur le bien-être et l’entraînement de ces sportives. Les premiers résultats montrent que des symptômes, même légers, diminuent la qualité de l’entraînement, et qu’elles sont plus ou moins en forme à différents moments du cycle. On note notamment d’importantes différences inter-individuelles.
Un décret américain pour aménager l’entraînement sportif au cycle menstruel
En 2019, l’équipe de foot féminine américaine gagnait la Coupe du monde pour la quatrième fois. Comment expliquer la domination des États-Unis dans un sport traditionnellement dominé, chez les hommes, par les nations européennes ? En 1972, un décret était adopté, interdisant toute discrimination basée sur le genre dans les établissements scolaires et universitaires aux Etats-Unis. Un détonateur qui a permis aux femmes l’accès à de meilleures conditions de pratique du sport. L’équipe est désormais conseillée par la chercheuse américaine Georgie Bruinvels, titulaire d’un doctorat sur l’impact des carences en fer et des cycles menstruels sur la performance sportive. La chercheuse a adapté l’entraînement de l’équipe en conséquence. Un aménagement qui a manifestement fait ses preuves chez les footballeuses.
Est-il possible de choisir la date des compétitions selon son cycle menstruel ?
Non, mais on peut adapter l’entraînement en amont aux différentes phases du cycle et anticiper certaines contraintes. Par exemple, augmenter le volume global des exercices sur le mois en diminuant l’intensité certains jours. Si l’on tient compte en amont de ces questions, on peut même tirer profit de certaines hormones. Par exemple, la quantité d’œstrogènes est plus élevée pendant l’ovulation. Souvent perçue comme un obstacle à la performance, cette hormone a des propriétés anaboliques intéressantes pour la construction et la récupération musculaire. Selon notre hypothèse, il serait possible de tirer profit des fluctuations hormonales.
Comment les sportives abordent-elles le sujet des menstruations et des douleurs éventuelles ?
C’est encore un peu tabou. La majorité des entraîneuses sont… des entraîneurs. Les sportives se sentent autorisées à parler de leurs blessures, de leurs douleurs musculaires, mais pas toujours de leur cycle hormonal.
En ce qui concerne les douleurs liées aux règles, elles ont le plus souvent une explication. Dans un premier temps, il est important d’en chercher la cause auprès d’un médecin. Est-ce qu’elles sont liées à un trouble du cycle comme l’endométriose ? Des médicaments peuvent-ils soulager efficacement ces douleurs ? Enfin, existe-t-il des méthodes non-médicamenteuses – bien que non-démontrées scientifiquement – pouvant soulager les douleurs des règles ? Il faut donc convaincre les sportives de consulter un médecin, un gynécologue, un endocrinologue, pour remédier à ces douleurs et pouvoir s’entraîner sereinement.
Dans votre étude, comment avez-vous pu objectiver les performances ?
Pour les sports non-chronométrés, comme l’aviron ou l’escrime, il était difficile de mesurer une performance objective, nous avons eu recours à des notations de la part des athlètes. Mais avec le cyclisme, ou le foot, nous avons des capteurs de puissance ou de mouvement et nous pouvons calculer l’effort produit par l’athlète. Nous avons ainsi réussi à mettre en lien ces données avec les profils hormonaux des femmes.
Nous essayons dorénavant de mesurer l’effet d’un entraînement adapté aux profils et aux cycles individuels des femmes. C’est l’objectif de nos prochaines recherches. Il reste beaucoup à faire, par exemple, accompagner les femmes sportives sur des questions liées au périnée pour éviter l’incontinence urinaire pendant l’effort.