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La santé des femmes investie par la médecine  

Pourquoi les sportives sont-elles écartées des études scientifiques ?

Juliana Antero, chercheuse épidémiologiste à l’Institut national du sport de l’expertise et de la performance
Le 12 mars 2024 |
4 min. de lecture
Juliana Antero
Juliana Antero
chercheuse épidémiologiste à l’Institut national du sport de l’expertise et de la performance
En bref
  • Les femmes sont sous-représentées et sous-considérées dans le sport, elles ne représentent que 35 % des participantes aux études des sciences du sport.
  • Le cycle menstruel et hormonal peut impacter leurs résultats, il est donc nécessaire de mieux comprendre la physiologie des femmes.
  • Les œstrogènes auraient des propriétés anaboliques intéressantes pour la construction et la récupération musculaire.
  • Il faut adapter les entraînements au profil et au cycle de chaque femme, individuellement.
  • Pour cela, des programmes de recherche se mettent en place et aident les sportives à améliorer leurs performances, en prenant en compte leur cycle menstruel.

Encore aujourd’hui les femmes sont sous-représen­tées dans les études sur les per­for­mances sportives. L’ancienne sportive Juliana Antero, a été longtemps con­cernée par le stress de cycles men­stru­els irréguliers. Afin de démoc­ra­tis­er ce sujet et de lut­ter con­tre cette iné­gal­ité, elle a lancé le pro­gramme de recherche EMPOW’HER afin d’accompagner toutes les sportives1.

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur la sci­ence et le sport.
Décou­vrez-le ici.

Pourquoi les femmes sont-elles peu présentes dans les études scientifiques sur les performances sportives ? 

Effec­tive­ment, les femmes ne représen­tent que 35 % des par­tic­i­pantes aux études dans le domaine des sci­ences du sport. La plu­part des pro­to­coles médi­caux, nutri­tion­nels et d’entrainement que les sportives suiv­ent sont dévelop­pés pour des ath­lètes mas­culins. Cer­tains sci­en­tifiques jus­ti­fient cette absence par l’influence que peut avoir le cycle men­stru­el sur les résul­tats sci­en­tifiques et la per­for­mance des femmes. Mais c’est juste­ment la rai­son pour laque­lle ces études sont néces­saires ! Si l’on veut opti­miser les résul­tats sportifs des femmes, il est néces­saire de mieux con­naître l’impact de la phys­i­olo­gie fémi­nine sur leurs performances.

Quel est l’objectif de votre projet EMPOW’HER ?

L’ob­jec­tif prin­ci­pal d’EM­POW’HER (Explor­ing Men­stru­al Peri­ods Of Women ath­letes to Esca­late Rank­ing) est de max­imiser les per­for­mances des ath­lètes féminines en opti­misant leurs répons­es à l’en­traîne­ment par des charges d’entraînement adap­tées, en syn­ergie avec leur phys­i­olo­gie et leur cycle men­stru­el. Depuis 2020, nous avons suivi une cen­taine de sportives de haut niveau, qui ont par­ticipé aux JO d’été de Tokyo, aux JO d’hiver de Pékin, et/ou qui s’apprêtent à par­ticiper aux JO de Paris. Presqu’une dizaine de dis­ci­plines sont con­cernées : l’aviron, le cyclisme, la nata­tion, le ski, la lutte, la gym­nas­tique, le triathlon. Chaque jour d’une péri­ode de six mois, ces femmes notent leurs don­nées sur une appli­ca­tion : la qual­ité de leur som­meil, les douleurs mus­cu­laires si elles en ressen­tent, les douleurs liées à leurs men­stru­a­tions, à leur état de stress, etc. Nous pou­vons ain­si observ­er l’influence des fluc­tu­a­tions hor­monales sur le bien-être et l’entraînement de ces sportives. Les pre­miers résul­tats mon­trent que des symp­tômes, même légers, dimin­u­ent la qual­ité de l’entraînement, et qu’elles sont plus ou moins en forme à dif­férents moments du cycle. On note notam­ment d’importantes dif­férences inter-individuelles.

Un décret améri­cain pour amé­nag­er l’entraînement sportif au cycle menstruel

En 2019, l’équipe de foot fémi­nine améri­caine gag­nait la Coupe du monde pour la qua­trième fois. Com­ment expli­quer la dom­i­na­tion des États-Unis dans un sport tra­di­tion­nelle­ment dom­iné, chez les hommes, par les nations européennes ? En 1972, un décret était adop­té, inter­dis­ant toute dis­crim­i­na­tion basée sur le genre dans les étab­lisse­ments sco­laires et uni­ver­si­taires aux Etats-Unis. Un déto­na­teur qui a per­mis aux femmes l’ac­cès à de meilleures con­di­tions de pra­tique du sport. L’équipe est désor­mais con­seil­lée par la chercheuse améri­caine Georgie Bru­in­vels, tit­u­laire d’un doc­tor­at sur l’im­pact des carences en fer et des cycles men­stru­els sur la per­for­mance sportive. La chercheuse a adap­té l’entraînement de l’équipe en con­séquence. Un amé­nage­ment qui a man­i­feste­ment fait ses preuves chez les footballeuses.

Est-il possible de choisir la date des compétitions selon son cycle menstruel ?

Non, mais on peut adapter l’entraînement en amont aux dif­férentes phas­es du cycle et anticiper cer­taines con­traintes. Par exem­ple, aug­menter le vol­ume glob­al des exer­ci­ces sur le mois en dimin­u­ant l’intensité cer­tains jours. Si l’on tient compte en amont de ces ques­tions, on peut même tir­er prof­it de cer­taines hor­mones. Par exem­ple, la quan­tité d’œstrogènes est plus élevée pen­dant l’ovulation. Sou­vent perçue comme un obsta­cle à la per­for­mance, cette hor­mone a des pro­priétés anaboliques intéres­santes pour la con­struc­tion et la récupéra­tion mus­cu­laire. Selon notre hypothèse, il serait pos­si­ble de tir­er prof­it des fluc­tu­a­tions hormonales.

Comment les sportives abordent-elles le sujet des menstruations et des douleurs éventuelles ?

C’est encore un peu tabou. La majorité des entraîneuses sont… des entraîneurs. Les sportives se sen­tent autorisées à par­ler de leurs blessures, de leurs douleurs mus­cu­laires, mais pas tou­jours de leur cycle hormonal.

En ce qui con­cerne les douleurs liées aux règles, elles ont le plus sou­vent une expli­ca­tion. Dans un pre­mier temps, il est impor­tant d’en chercher la cause auprès d’un médecin. Est-ce qu’elles sont liées à un trou­ble du cycle comme l’endométriose ? Des médica­ments peu­vent-ils soulager effi­cace­ment ces douleurs ? Enfin, existe-t-il des méth­odes non-médica­menteuses – bien que non-démon­trées sci­en­tifique­ment – pou­vant soulager les douleurs des règles ? Il faut donc con­va­in­cre les sportives de con­sul­ter un médecin, un gyné­co­logue, un endocrino­logue, pour remédi­er à ces douleurs et pou­voir s’entraîner sereinement.

Dans votre étude, comment avez-vous pu objectiver les performances ?

Pour les sports non-chronométrés, comme l’aviron ou l’escrime, il était dif­fi­cile de mesur­er une per­for­mance objec­tive, nous avons eu recours à des nota­tions de la part des ath­lètes. Mais avec le cyclisme, ou le foot, nous avons des cap­teurs de puis­sance ou de mou­ve­ment et nous pou­vons cal­culer l’effort pro­duit par l’athlète. Nous avons ain­si réus­si à met­tre en lien ces don­nées avec les pro­fils hor­monaux des femmes.

Nous essayons doré­na­vant de mesur­er l’effet d’un entraîne­ment adap­té aux pro­fils et aux cycles indi­vidu­els des femmes. C’est l’objectif de nos prochaines recherch­es. Il reste beau­coup à faire, par exem­ple, accom­pa­g­n­er les femmes sportives sur des ques­tions liées au périnée pour éviter l’incontinence uri­naire pen­dant l’effort.

Marina Julienne
1https://​www​.insta​gram​.com/​f​e​m​p​o​w​e​r​_​s​p​o​r​t​ives/

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