Pourquoi autant de doutes autour du passeport vaccinal ?
Selon une enquête du Conseil économique, social et environnemental 1, 67% des Français se disent « très défavorables » à l’adoption d’un « passeport vaccinal » Comment expliquez-vous cette opposition ?
Le passeport est un moyen de rouvrir les lieux actuellement fermés et de recommencer à voyager, mais nombreux sont ceux qui le perçoivent comme une forme d’atteinte aux libertés individuelles et une source potentielle d’inégalités. Le passeport est supposé être un facteur d’incitation à la vaccination… mais les conditions d’accès aux vaccins sont encore problématiques, et le généraliser maintenant reviendrait à privilégier les happy few qui ont pu en bénéficier. Cela créerait des inégalités à l’échelle internationale comme nationale, alimenterait l’amertume des non-vaccinés, et les suspicions de passe-droits. La crise met à l’épreuve la cohésion sociale, et les réticences liées à la mise en circulation de ce passeport en est un témoignage.
Qui sont ceux qui s’opposent à ce passeport ?
Il y a une peur diffuse de la surveillance chez la majorité des Français, et le passeport – en accroissant la traçabilité – augmente cette crainte. Beaucoup de personnes ont également des doutes sur les risques et l’efficacité des vaccins. On voit bien cela avec la controverse autour des doses d’AstraZeneca : elles sont inquiètes du manque de recul et craignent de potentiels effets secondaires.
Mais les réticences ne concernent pas uniquement la sphère clinique. Beaucoup de personnes comprennent le ratio médical bénéfices/risques, mais sont sceptiques sur les intentions des personnes qui les incitent à se faire vacciner. Il y a un rejet social, presque identitaire, des élites politiques et médicales. Ce scepticisme peut confiner au complotisme quand les citoyens en viennent à imaginer une collusion entre élites et laboratoires pharmaceutiques. On voit donc émerger une forme de résistance, basée sur le rejet du discours des élites, et en premier lieu du gouvernement.
Il y a une peur diffuse de la surveillance chez la majorité des Français, et le passeport – en accroissant la traçabilité – augmente cette crainte.
Comment peut-on convaincre ces personnes de l’efficacité des vaccins ?
Dans le cas des personnes qui ont des doutes sur l’efficacité clinique des vaccins, il faut tout simplement que le personnel médical fasse preuve de pédagogie, en explicitant les résultats cliniques, qui prouvent bien que les vaccins ne sont pas dangereux. Dans le cas d’AstraZeneca, par exemple, aucun lien entre le vaccin et les thromboses n’a été démontré.
Pour ceux dont les doutes sont basés sur des critères socio-identitaires, l’erreur est de croire que les discours des médecins et des figures d’autorité suffisent 2. La vaccination des élites peut même envoyer un signal négatif : que Jean Castex se fasse vacciner avec une dose d’AstraZeneca peut être interprété comme une preuve de son lien avec les laboratoires. La réponse ne doit donc pas être clinique, mais sociale.
Il faut développer des modes de communication d’un autre genre, basés sur des influenceurs jouant le rôle de « tiers de confiance » [le président Macron a ainsi promis aux youtubeurs McFly et Carlito de participer à l’une de leurs vidéos s’ils réalisaient un clip musical sur les gestes-barrières qui devait atteindre les 10 millions de vues]. La vaccination du rappeur Booba (suggérée dans un post sur son compte Instagram) n’est en ce sens pas totalement anecdotique, notamment parce qu’il est suivi et écouté par certains de ces complotistes. La réaction mitigée de ses fans sur les réseaux sociaux montre cependant les limites de cette méthode : les gens ne sont pas dupes, et perçoivent souvent cette communication comme une tentative de manipulation.
Il n’y a donc pas de solution miracle pour convaincre les personnes qui doutent ?
Il est extrêmement difficile de convaincre des personnes qui ne veulent pas être convaincues. Pour ne prendre qu’un exemple, une étude a montré que des parents hésitants sur la vaccination de leurs enfants sont devenus encore plus sceptiques quand ils ont pris connaissance de données brisant le mythe du risque d’autisme à cause des vaccins 3. Bien que contre-intuitive, cette position ne reflète pas un manque d’intelligence. Elle démontre que des évidences scientifiques sont rejetées lorsqu’elles perturbent des croyances. Ce n’est donc pas la conclusion qui compte, mais qui la produit.
La transmission de l’information n’est pas seulement une relation émetteur/récepteur ! Elle nécessite de prendre en compte tout le contexte social : les personnes ne sont pas que des cas cliniques. Chez les patients atteints de cancers, par exemple, le taux de non-observance des prescriptions avoisine les 20% dans différentes conditions cliniques 4 5. Cela se traduit par des pertes de chance considérables, et reste inexplicable d’un point de vue strictement clinique. Dans les travaux que nous menons actuellement, cette non-observance semble s’expliquer par des phénomènes sociaux : le rapport à la vie, le niveau d’isolement, la lassitude ou encore la dégradation de la situation professionnelle. Il faut prendre en compte cette dimension sociale pour optimiser les soins. La même démarche doit être adoptée pour comprendre la réticence des citoyens à l’égard de la vaccination et du passeport sanitaire.