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Peut-on soigner la déficience intellectuelle associée à la trisomie 21 ?

anonyme
Brigitte Fauroux
professeure en pneumopédiatrie à l’hôpital Necker
Laurent Meijer
Laurent Meijer
ancien directeur d'unité CNRS et fondateur de la start-up Perha Pharmaceuticals
En bref
  • Aujourd'hui, des recherches s'intéressent à la possibilité de traiter la déficience intellectuelle qui est associée à la trisomie 21 (T21).
  • Des scientifiques montrent que l'amélioration de la qualité du sommeil chez les enfants porteurs de T21 favorise leur développement intellectuel et comportemental.
  • Le dépistage du syndrome d'apnées obstructives du sommeil dès l'âge de 6 mois serait notamment bénéfique pour le développement de ces enfants.
  • La Leucettinib-21 est un candidat-médicament pour traiter la déficience intellectuelle, qui pourrait corriger les troubles cognitifs associés à la T21 ou à la maladie d'Alzheimer.
  • Même s’il existe plus de 5 millions de personnes atteintes de trisomie 21 dans le monde et que ces recherches contribuent au traitement d’autres maladies, leur financement reste difficile.

Env­i­ron 70 000 per­son­nes1 sont por­teuses de tri­somie 21 (T21) en France, une anom­alie géné­tique qui se car­ac­térise par la présence dans les cel­lules d’un exem­plaire sup­plé­men­taire, plus ou moins com­plet, du chro­mo­some 21. Le seul fac­teur de risque con­nu à ce jour est l’âge de la mère, avec un risque accru en cas de con­cep­tion tar­dive, surtout après 40 ans.

La présence de ce chro­mo­some sur­numéraire per­turbe l’expression de cer­tains gènes, aug­men­tant les risques d’anomalies physiques, comme l’hypotonie mus­cu­laire et l’hyperlaxité des lig­a­ments, ou de cer­taines mal­for­ma­tions, le plus sou­vent cur­ables, telles que les car­diopathies ou les mal­for­ma­tions digestives. 

Cette par­tic­u­lar­ité provoque égale­ment une défi­cience intel­lectuelle d’intensité très vari­able selon les indi­vidus, en général de légère à mod­érée. Cette diminu­tion des per­for­mances intel­lectuelles touche les axes de la con­cep­tu­al­i­sa­tion, de l’adaptation et de la com­mu­ni­ca­tion ; la capac­ité de socia­bil­i­sa­tion des per­son­nes por­teuses de T21 est en revanche sou­vent très bonne. La tri­somie 21 est par ailleurs asso­ciée à un vieil­lisse­ment pré­coce, avec le développe­ment d’une démence ou d’une mal­adie d’Alzheimer qui peut débuter dès l’âge de 35–40 ans. En France, l’espérance de vie d’une per­son­ne por­teuse de T21 atteint aujourd’hui 60 ans.

Traiter les apnées du sommeil pour améliorer le développement intellectuel

L’environnement, l’éducation et les comor­bid­ités jouent un rôle impor­tant dans le développe­ment cog­ni­tif des enfants por­teurs de T21. La pro­fesseure Brigitte Fau­roux s’est ain­si intéressée à un fac­teur d’aggravation poten­tiel de la diminu­tion des per­for­mances intel­lectuelles : la qual­ité du som­meil. « J’avais l’intuition que le retard des enfants avec défi­cience intel­lectuelle était aggravé par des apnées du som­meil non détec­tées dès les pre­miers mois de vie », explique-t-elle. Le syn­drome d’apnées obstruc­tives du som­meil (SAOS) est car­ac­térisé par la fer­me­ture répétée des voies aéri­ennes supérieures pen­dant le som­meil, et par une mau­vaise qual­ité du som­meil, ponc­tué de réveils. Le SAOS est par­ti­c­ulière­ment fréquent chez les patients por­teurs de T21 du fait d’un défaut de développe­ment de la par­tie moyenne du vis­age et de l’hypotonie des mus­cles dilata­teurs des voies aéri­ennes supérieures.

Pen­dant les apnées, le cerveau est privé d’oxygène, essen­tiel au bon développe­ment neu­rocog­ni­tif et com­porte­men­tal, notam­ment chez le jeune enfant. Les direc­tives actuelles de suivi de l’enfant por­teur de l’anomalie chro­mo­somique recom­man­dent ain­si un dépistage sys­té­ma­tique du SAOS par polysomno­gra­phie, avant l’âge de 4 ans. « Mais ces recom­man­da­tions n’étant pas fondées sur des études sci­en­tifiques, le moment opti­mal pour le dépistage et le cas échéant, la prise en charge de l’ap­née, restait flou », pour­suit Brigitte Fauroux.

Grâce à un finance­ment de la Fon­da­tion Jérôme Leje­une, les chercheurs de Neck­er et l’In­sti­tut Jérôme Leje­une ont donc ten­té d’évaluer l’impact d’une détec­tion et d’un traite­ment pré­co­ces du SAOS chez l’enfant dès l’âge de 6 mois ; c’était la pre­mière fois que ce type d’études était mené dans le monde.

L’équipe a suivi 40 nour­ris­sons suiv­is à l’In­sti­tut Jérôme Leje­une, pre­mier cen­tre de soin et de recherche en Europe spé­cial­isé dans la tri­somie 21, qui ont béné­fi­cié de polysomno­gra­phies à domi­cile tous les 6 mois, de l’âge de 6 mois à l’âge de 3 ans. En cas de diag­nos­tic de SAOS, la prise en charge était faite à l’hôpital Neck­er, et con­sis­tait le plus sou­vent en une chirurgie ORL pour traiter l’obstruction des voies aéri­ennes supérieures. Le développe­ment neu­rocog­ni­tif de ces enfants a ensuite été éval­ué à l’âge de 3 ans, et com­paré à celui d’un groupe de 40 enfants de 3 ans por­teurs de T21, mais ayant reçu un suivi stan­dard, sans les explo­rations sys­té­ma­tiques du som­meil. Les résul­tats, pub­liés dans The Lancet Region­al Health – Europe en octo­bre 20242, révè­lent à la fois la très grande pré­va­lence du SAOS chez les enfants dès 6 mois (39 enfants con­cernés sur les 40 enfants con­sid­érés, dont 21 avaient un SAOS sévère), et d’autre part un meilleur développe­ment intel­lectuel et com­porte­men­tal chez les enfants dépistés (avec notam­ment un score médi­an de 55,4 au test glob­al de développe­ment Grif­fiths III chez les enfants traités con­tre 50,7 pour le groupe « témoin »).

Un dépistage du SAOS dès l’âge de 6 mois avec une prise en charge pré­coce offrirait ain­si des béné­fices à long terme sur le développe­ment socio-émo­tion­nel, l’ap­pren­tis­sage et les apti­tudes à la com­mu­ni­ca­tion des enfants por­teurs de T21. Le diag­nos­tic par polysomno­gra­phie est toute­fois déli­cat à met­tre en œuvre à grande échelle sur des enfants aus­si jeunes, et Brigitte Fau­roux insiste sur la néces­sité de dévelop­per de nou­veaux out­ils diag­nos­tiques. « Pour être réelle­ment effi­caces, nous avons besoin de dis­posi­tifs fiables, non invasifs, peu coû­teux, et pou­vant être util­isés à domi­cile. »

Un candidat-médicament pour corriger la déficience intellectuelle

Une sec­onde piste promet­teuse, cette fois pour traiter la défi­cience intel­lectuelle elle-même, nous amène dans le Fin­istère, à Roscoff, au sein de la start-up Per­ha Phar­ma­ceu­ti­cals. La société, financée pour moitié par des fonds publics ou issus de fon­da­tions, et pour moitié par des lev­ées de fonds privés, tra­vaille sur un can­di­dat-médica­ment, la Leucettinib-21, qui pour­rait à la fois cor­riger les trou­bles cog­ni­tifs asso­ciés à la T21 et ceux asso­ciés à la mal­adie d’Alzheimer3. « Plusieurs études sur mod­èles murins ont mon­tré que la surac­tiv­ité d’un même gène local­isé sur le chro­mo­some 21, DYRK1A, était impliquée dans l’une et l’autre famille de trou­bles », explique Lau­rent Mei­jer, prési­dent de Per­ha Phar­ma­ceu­ti­cals et ancien directeur de recherch­es au CNRS. « Nous avons donc cher­ché com­ment réduire cette activ­ité, et fini par iden­ti­fi­er une molécule très promet­teuse fab­riquée par une éponge marine, la Leucetta­mine B ».

La société a ain­si syn­thétisé des cen­taines de dérivés de la Leucetta­mine B pour en amélior­er les car­ac­téris­tiques, avant de tomber sur la Leucettinib-21, aujourd’hui pro­tégée par 4 brevets. Après les tra­di­tion­nelles études de tolérance/toxicité chez l’animal, et les pre­miers résul­tats con­clu­ants sur l’efficacité de la molécule sur les capac­ités cog­ni­tives de mod­èles ani­maux, le can­di­dat-médica­ment est actuelle­ment en essais clin­iques de phase 1 pour démon­tr­er son innocuité. 120 per­son­nes par­ticipent à ces essais, qui dureront jusqu’en avril 2025 : 96 volon­taires sains, 12 adultes por­teurs de T21 et 12 patients atteints d’Alzheimer. Si les résul­tats sont con­clu­ants, les essais de phase 2 sur des enfants por­teurs de T21 pour­raient être réal­isés en 2026, afin d’évaluer les impacts sur leur courbe de développe­ment cognitif.

Fin 2024, la société bor­de­laise Ael­is­Far­ma a quant à elle annon­cé avoir obtenu des résul­tats promet­teurs pour les essais de phase 1 sur 2 sur un autre can­di­dat-médica­ment, AEF0217, qui cible les récep­teurs CB1, qui con­trô­lent les proces­sus de mémori­sa­tion et de cog­ni­tion, ain­si que la régu­la­tion de l’humeur. Des essais clin­iques de phase 2 devraient débuter mi-2025.

Des recherches difficiles à financer

Ces résul­tats sont d’autant plus encour­ageants que les recherch­es visant à cor­riger le déficit intel­lectuel asso­cié à la T21 restent rares. « Notre société est très dure avec les déficits men­taux, et la tri­somie 21 n’intéresse pas grand monde », explique Lau­rent Mei­jer. Au regard de la loi, la T21 fait par­tie des affec­tions « d’une par­ti­c­ulière grav­ité, recon­nue comme incur­able au moment du diag­nos­tic » pour lesquelles une inter­rup­tion médi­cale de grossesse (IMG) peut être pra­tiquée, jusqu’au dernier jour de grossesse. La France est l’un des pays où le dépistage pré­na­tal de la tri­somie 21 est le plus fréquent : en 2021, plus de 90,9 % des femmes enceintes y avaient recours selon un rap­port de l’Inserm4.

Une étude datant de 2008 indi­quait qu’en région parisi­enne, près de 95 % des grossess­es pour lesquelles une T21 avait été détec­tée don­naient lieu à une IMG5. « Ain­si, le plus sou­vent, nos inter­locu­teurs con­sid­èrent que la T21 n’est pas un prob­lème, puisqu’il existe un dépistage et qu’il con­duit dans une immense majorité des cas à une inter­rup­tion de la grossesse. Or, il y a plus de 5 mil­lions de tri­somiques dans le monde. Et la tri­somie 21 ouvre la porte sur des traite­ments de mal­adies qui con­cer­nent la pop­u­la­tion générale, telles que la mal­adie d’Alzheimer, le dia­bète, l’infarctus du myocarde ou dif­férentes leucémies. Trou­ver des finance­ments pour effectuer des recherch­es sur la T21 reste pour­tant très dif­fi­cile », con­clut Lau­rent Mei­jer. On estime qu’un fœtus sur 700 serait por­teur d’une T21.

Anne Orliac
1Chiffre don­né par l’Académie nationale de médecine en 2021 https://​www​.acad​e​mie​-medecine​.fr/​j​o​u​r​n​e​e​-​m​o​n​d​i​a​l​e​-​s​u​r​-​l​a​-​t​r​i​s​o​m​i​e-21/
2Fau­roux, Brigitte et al., « Ear­ly detec­tion and treat­ment of obstruc­tive sleep apnoea in infants with Down syn­drome: a prospec­tive, non-ran­domised, con­trolled, inter­ven­tion­al study », The Lancet Region­al Health – Europe, Vol­ume 45, 101035
3Lind­berg, Mat­tias F. et al., 2023. Chem­i­cal, bio­chem­i­cal, cel­lu­lar, and phys­i­o­log­i­cal char­ac­ter­i­za­tion of Leucettinib-21, a Down syn­drome and Alzheimer’s dis­ease drug can­di­date. J. Med. Chem. 66, 15648.
4Inserm/Santé publique France, Enquête nationale péri­na­tale, rap­port 2021 https://​enp​.inserm​.fr/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​3​/​0​6​/​E​N​P​2​0​2​1​_​R​a​p​p​o​r​t​_​M​A​J​_​J​u​i​n​2​0​2​3.pdf
5C. de Vigan & al.Diagnostic pré­na­tal et pré­va­lence de la tri­somie 21 en pop­u­la­tion parisi­enne, 2001–2005 Gyné­colo­gie Obstétrique & Fer­til­ité Vol­ume 36, Issue 2, Feb­ru­ary 2008, Pages 146–150

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