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π Santé et biotech

Personnalisée, préventive, prédictive, participative : les 4P de la médecine de demain

Pierre-Marie Lledo
Pierre-Marie Lledo
directeur de recherche au CNRS, chef d’unité à l’Institut Pasteur et membre de l’Académie européenne des sciences
En bref
  • La médecine évolue, passant d'une approche curative à une pratique plus préventive.
  • La médecine des 4P (personnalisée, préventive, prédictive, participative) émerge pour traiter les causes sous-jacentes des maladies et promouvoir le bien-être global.
  • Les avancées technologiques et interdisciplinaires sont essentielles pour la collecte et l'analyse des données de santé, favorisant des traitements personnalisés et précis.
  • La participation active des patients dans leur parcours de soins et la collaboration entre professionnels de santé sont cruciales pour le succès de cette nouvelle approche médicale.
  • Des défis techniques, systémiques et éthiques doivent être surmontés pour garantir la confidentialité des données et l'accessibilité équitable des soins de santé personnalisés.

Le par­a­digme de la médecine tra­di­tion­nelle axée prin­ci­pale­ment sur le traite­ment curatif est aujour­d’hui en pleine muta­tion pour faire place à une pra­tique plus préven­tive que cura­tive. Selon cette médecine de demain, le patient n’est plus oblig­a­toire­ment une per­son­ne souf­frante. Il est con­sid­éré comme un sujet sain à l’instant « t », mais poten­tielle­ment malade demain. Cet arti­cle vise à pré­cis­er la réal­ité d’une révo­lu­tion silen­cieuse qui oblige à repenser le statut du nor­mal et du pathologique.

Un patient en bonne santé

Le mot « patient » trou­ve son orig­ine dans le latin clas­sique, patiens, dérivé du verbe pati, « souf­frir ». À l’o­rig­ine « patient » qual­i­fie donc une per­son­ne souf­frant d’une mal­adie, ou d’un trou­ble quel­conque, qu’elle endure. Pour la médecine de demain, cette déf­i­ni­tion ne con­vient plus dans la mesure où le futur « patient » pour­ra être en bonne san­té, au moins lors de l’examen médi­cal, mais il béné­ficiera mal­gré tout de soins pour traiter une mal­adie potentielle.

Cette con­cep­tion dynamique d’un état de san­té (bien aujourd’hui mais malade demain) mar­que la fin de l’ère d’une médecine tra­di­tion­nelle qui se voulait d’abord être réac­tive et cura­tive. Cette vision dynamique est à l’origine du con­cept de mal­adies chroniques, reléguant les affec­tions aiguës au sec­ond plan puisqu’il est désor­mais rare d’en mourir. Doré­na­vant, la très grande majorité des patients com­posent avec leur mal­adie de longue durée (surtout car­dio­vas­cu­laire, métabolique, ou men­tale et neu­rologique) qui affecte con­sid­érable­ment leur qual­ité de vie.

La hausse des cas de mal­adies chroniques, con­juguée à une meilleure con­nais­sance de l’origine des patholo­gies, plaide pour un aban­don du classe­ment des mal­adies tel qu’il fut établi vers la fin du 19ème siè­cle1. On entre de plain-pied dans une nou­velle ère de la médecine qui requiert une approche plus glob­ale et durable, de la san­té. Cette nou­velle pra­tique s’appelle la médecine « des 4P ». Elle promeut l’idée que la médecine ne doit pas être seule­ment réac­tive et cura­tive, elle doit aus­si se mon­tr­er proac­tive en inter­venant bien avant que la mal­adie ne se déclare. L’appellation « des 4P » vise à iden­ti­fi­er l’origine de la rup­ture séman­tique avec la pra­tique tra­di­tion­nelle : per­son­nal­isée, préven­tive, pré­dic­tive et participative.

Pour com­pren­dre l’avène­ment de cette nou­velle pra­tique, il con­vient d’abord de mieux appréhen­der les enjeux his­toriques aux­quels la médecine tra­di­tion­nelle fut con­fron­tée, puis de con­sid­ér­er les par­tic­u­lar­ités de cette approche glob­ale de la san­té qu’offre la médecine des 4P. Enfin, il importe d’ex­am­in­er les défis éthiques que nous devrons relever lorsque ce con­cept sera dévelop­pé à grande échelle.

La médecine des 4P

Le terme de médecine des 4P fut ini­tiale­ment forgé pour sig­ni­fi­er qu’une nou­velle façon de pra­ti­quer la médecine émergeait2. Cette approche pro­pose un nou­veau cadre thérapeu­tique qui vise à traiter non seule­ment les symp­tômes, mais aus­si les caus­es sous-jacentes des mal­adies, en met­tant davan­tage l’ac­cent sur la préven­tion et la pro­mo­tion d’un équili­bre glob­al. C’est pour cette rai­son que l’Organisation mon­di­ale de la san­té (OMS) définit la san­té comme « un état com­plet de bien-être physique, men­tal et social qui ne con­siste pas seule­ment en une absence de mal­adie ou d’infirmité ».

Pour appréhen­der cette nou­velle déf­i­ni­tion de la san­té, la médecine des 4P est d’abord qual­i­fiée de per­son­nal­isée, car con­traire­ment à la médecine con­tem­po­raine qui se pra­tique à l’échelle d’une pop­u­la­tion générale3, la médecine des 4P tient compte des par­tic­u­lar­ités d’un indi­vidu, comme son pro­fil géné­tique et épigéné­tique, en util­isant le nuage de don­nées qui le con­cerne. Il devient alors pos­si­ble d’évaluer la con­tri­bu­tion géné­tique et envi­ron­nemen­tale sur sa san­té. Aux États-Unis, la dose admin­istrée de cer­tains traite­ments anti­co­ag­u­lants se fait désor­mais après la déter­mi­na­tion du pro­fil géné­tique du sujet. Cette focal­i­sa­tion sur l’individu per­met d’entrevoir des avan­tages promet­teurs dans l’élaboration d’essais clin­iques d’un médica­ment, car con­sid­ér­er que tous les indi­vidus réagis­sent de la même façon à un traite­ment est utopique.

Chaque can­cer, chaque tumeur a des dif­férences géné­tiques et biochim­iques pou­vant être util­isées pour con­cevoir des médica­ments de précision.

Cette nou­velle pra­tique médi­cale est égale­ment préven­tive car elle con­sid­ère l’état de bien-être avant la mal­adie. Pour cela, elle s’appuie sur la révo­lu­tion numérique qui per­met la col­lecte de don­nées mas­sives4, une sur­veil­lance épidémi­ologique, et une per­son­nal­i­sa­tion des recom­man­da­tions­de san­té en fonc­tion des car­ac­téris­tiques indi­vidu­elles des patients. Elle est aus­si pré­dic­tive puisqu’elle per­met d’envisager le traite­ment le plus appro­prié à un patient en max­imisant son effi­cac­ité. Comme pour la per­son­nal­i­sa­tion, une con­nais­sance pré­cise du patient per­met égale­ment d’anticiper d’éventuels effets sec­ondaires. Enfin, con­traire­ment à la médecine tra­di­tion­nelle qui utilise prin­ci­pale­ment le pro­fes­sion­nel de san­té et les ser­vices publics pour réalis­er l’éducation à la san­té, la médecine des 4P met en son cœur les réseaux (publics, de patients et de pro­fes­sion­nels de san­té) pour ren­seign­er et édu­quer les patients, les pro­fes­sion­nels de san­té, les aidants et l’entourage. C’est pour cette rai­son qu’elle est qual­i­fiée de par­tic­i­pa­tive puisqu’elle invite le sujet à devenir acteur de son pro­gramme de soins5.

L’émergence d’une révolution conceptuelle

On doit l’avènement de cette médecine à la con­ver­gence de cinq nou­veaux par­a­digmes. Le pre­mier con­cerne le développe­ment et la démoc­ra­ti­sa­tion des out­ils d’analyse des mécan­ismes du vivant. Cette étape est le fruit de la nais­sance de la biolo­gie molécu­laire mar­quée par l’attribution du prix Nobel de médecine à trois chercheurs français, André Lwoff, Jacques Mon­od et François Jacob, fon­da­teurs de cette nou­velle dis­ci­pline6 qui per­mit dans un pre­mier temps de dévelop­per le clon­age des gènes, puis de pos­er les fon­da­tions tech­nologiques pour les biotech­nolo­gies. Le deux­ième par­a­digme fut la réal­i­sa­tion de grands pro­jets fédéra­teurs et transna­tionaux qui per­mirent notam­ment le séquençage du génome humain. Pour la pre­mière fois, il devint pos­si­ble de cor­réler les vari­ants géné­tiques avec les phéno­types7. Le troisième par­a­digme se fonde sur la créa­tion d’équipes médi­cales et sci­en­tifiques pluridis­ci­plinaires, alliant médecins, biol­o­gistes, chimistes, ingénieurs, infor­mati­ciens, etc. Cette néces­sité de l’interdisciplinarité con­stitue un véri­ta­ble défi aux pro­grammes péd­a­gogiques actuels des cur­sus uni­ver­si­taires des sci­ences bio­médi­cales. Enfin, le qua­trième fut la for­mal­i­sa­tion d’une nou­velle dis­ci­pline, la biolo­gie des sys­tèmes. Cette biolo­gie étudie de façon plus glob­ale et inté­gra­tive les règles du vivant. Elle dif­fère de l’ancienne stratégie réduc­tion­niste qui con­siste à appréhen­der la biolo­gie par son niveau le plus sim­ple, gène par gène, puis pro­téine par pro­téine, etc. Le dernier change­ment par­a­dig­ma­tique fut la con­cep­tu­al­i­sa­tion d’une nou­velle pra­tique médi­cale qual­i­fiée de médecine des sys­tèmes, fruit de l’application de la biolo­gie sys­témique à la pra­tique médicale.

Une médecine personnalisée au service des soins pour tous

Pour la médecine per­son­nal­isée, les soins et les traite­ments sont ori­en­tés vers l’in­di­vidu. Il s’agit de sélec­tion­ner le ou les traite­ments les plus adap­tés en fonc­tion de ses car­ac­téris­tiques géné­tiques, phéno­typ­iques, et de son style de vie. La médecine per­son­nal­isée est une réal­ité aujourd’hui en oncolo­gie et 70 % des molécules dévelop­pées dans ce domaine sont des médica­ments dits de pré­ci­sion. Cela fait par­ti­c­ulière­ment sens depuis l’amélioration des con­nais­sances et de la com­préhen­sion des mécan­ismes des can­cers. Chaque can­cer, chaque tumeur a des dif­férences géné­tiques et biochim­iques pou­vant être util­isées pour con­cevoir des médica­ments de précision.

La médecine de demain lais­sera une part impor­tante à l’implication et à la par­tic­i­pa­tion active du patient dans le soin, le ren­dant plus effi­cace. Cette médecine a pour objec­tif de faciliter la coopéra­tion médecin-patient grâce à la meilleure com­préhen­sion de leur patholo­gie et de leurs con­séquences sur leur vie quo­ti­di­enne, et d’améliorer sig­ni­fica­tive­ment leur espérance et leur qual­ité de vie. Dans la pra­tique, cette dimen­sion col­lab­o­ra­tive trans­forme le patient autre­fois pas­sif, en un acteur cen­tral du par­cours de soin.

Pour faciliter cette tran­si­tion, la « Loi Kouch­n­er » mar­qua un tour­nant majeur en favorisant :

  1. le con­sen­te­ment libre et éclairé du patient aux actes et traite­ments qui lui sont proposés
  2. le droit du patient d’être infor­mé sur son état de santé.

Mais le droit n’a pas été le seul catal­y­seur de cette trans­for­ma­tion. Les pos­si­bil­ités tech­nologiques qui favorisent la mise en place de cette médecine par­tic­i­pa­tive sont infinies. Citons, entre autres, les appli­ca­tions mobiles de ges­tion de patholo­gie et/ou de traite­ment, les objets con­nec­tés, les out­ils de com­mu­ni­ca­tion entre patients et pro­fes­sion­nels de san­té, la e‑prescription, la pos­si­bil­ité de con­sul­ter les résul­tats et comptes ren­dus de divers­es analy­ses et actes de soin en ligne.

Enfin, soulignons que l’usage d’une médecine per­son­nal­isée offre l’occasion d’un renou­veau en matière de recherche bio­médi­cale. En effet, les patients peu­vent être sol­lic­ités dans le cadre de pro­grammes de recherche, en dehors des études clin­iques clas­siques sur la recherche de nou­veaux médica­ments. Afin de ren­dre le proces­sus de mise au point de nou­veaux médica­ments plus court et moins cher, le pro­gramme de recherche All of us par exem­ple, con­duit aux USA par les Nation­al Insti­tutes of Health, vise à recueil­lir les don­nées d’au moins un mil­lion de per­son­nes vivant aux États-Unis. L’objectif est d’offrir aux chercheurs des don­nées per­son­nelles pour étudi­er les per­spec­tives offertes par la médecine de pré­ci­sion, en exam­i­nant les dif­férences exis­tantes entre le mode de vie, l’environnement et les car­ac­téris­tiques biologiques de chaque per­son­ne. À par­tir de l’exposition envi­ron­nemen­tale, des fac­teurs géné­tiques et de l’interaction entre ces deux élé­ments, il devien­dra pos­si­ble d’évaluer le risque de con­tracter un cer­tain nom­bre de mal­adies, de déter­min­er les caus­es des dif­férences exis­tant d’une per­son­ne à une autre en ce qui con­cerne les effets pro­duits par les médica­ments couram­ment util­isés, de met­tre en évi­dence des mar­queurs biologiques asso­ciés à un risque accru ou moin­dre de dévelop­per cer­taines mal­adies courantes, d’établir de nou­velles clas­si­fi­ca­tions des mal­adies et de nou­veaux liens entre elles, de com­mu­ni­quer des don­nées et des infor­ma­tions aux par­tic­i­pants à l’étude pour leur don­ner les moyens d’améliorer leur état de san­té et enfin de créer une plate­forme des­tinée à per­me­t­tre la réal­i­sa­tion d’essais de thérapie ciblée.

Cette évo­lu­tion irréversible de la médecine est un défi majeur pour le 21ème siè­cle et ses généra­tions futures.

Des pro­grammes sim­i­laires exis­tent en France, comme le pro­gramme pub­lic Com­PaRe (la Com­mu­nauté de patients pour la recherche)8 pro­posé par l’APHP (Assis­tance publique des hôpi­taux de Paris) en col­lab­o­ra­tion avec l’Université Paris-Cité. Celui-ci repose sur une e‑cohorte de patients adultes souf­frant de mal­adies chroniques, qui vont don­ner un peu de leur temps pour répon­dre régulière­ment à des ques­tion­naires en ligne sur l’état de leurs mal­adies et traite­ments, à par­tir d’une plate­forme col­lab­o­ra­tive. Cette démarche vise à pou­voir utilis­er les don­nées col­lec­tées pour répon­dre à des ques­tions de recherche sur les mal­adies chroniques. Cela se fait grâce à une com­mu­nauté de patients qui peu­vent s’impliquer dans la con­cep­tion, grâce à la mise en place et l’analyse des pro­jets de recherche. Ain­si, comme c’est le cas pour la médecine préven­tive, pré­dic­tive et per­son­nal­isée, cette dimen­sion col­lab­o­ra­tive se base sur la généra­tion, le stock­age et l’analyse de don­nées mul­ti­di­men­sion­nelles pour amélior­er la qual­ité de vie, opti­miser le par­cours de soin et garan­tir le bien-être des pop­u­la­tions. Cette ten­dance mon­tre qu’il est donc pos­si­ble de s’intéresser au sujet et à la fois au col­lec­tif, sans pour autant devoir sur­mon­ter des injonc­tions paradoxales.

Les trois défis de la médecine de demain

Mal­gré les avan­tages indé­ni­ables offerts par cette nou­velle pra­tique médi­cale, elle pose plusieurs défis qu’il con­vien­dra de relever avant de pou­voir pleine­ment béné­fici­er de ses effets positifs.

#1 Défis techniques

Dans toute étude clin­ique, seule une frac­tion de la vari­abil­ité biologique est saisie (et donc analysée) en rai­son des lim­i­ta­tions tech­niques (har­mon­i­sa­tion des don­nées, hétérogénéité des don­nées), des out­ils expéri­men­taux disponibles et du coût engen­dré. Le développe­ment d’outils expéri­men­taux génér­era de nou­velles infor­ma­tions, certes, mais en même temps, des quan­tités mas­sives de don­nées devront être traitées, analysées et inter­prétées de manière adéquate. Cela pose donc cer­tains défis tech­nologiques sur le sens des don­nées ain­si recueil­lies, qui pour­raient trou­ver une solu­tion grâce à l’intelligence arti­fi­cielle généra­tive. Les tech­niques infor­ma­tiques de machine learn­ing pour l’apprentissage et la général­i­sa­tion à par­tir de don­nées, ain­si que les tech­niques sta­tis­tiques de pointe, joueront un rôle impor­tant dans l’analyse de l’ensemble des don­nées mul­ti­di­men­sion­nelles générées par les tech­nolo­gies de la médecine de demain. Mal­heureuse­ment, ni la France, ni l’Europe, ne peu­vent actuelle­ment garan­tir la sou­veraineté de ces analyses.

Par ailleurs, il est évi­dent que l’ensemble des out­ils infor­ma­tiques ne suf­fi­ra pas à relever le défi du décryptage de la com­plex­ité du vivant. L’ex­per­tise dans le domaine de la biolo­gie est essen­tielle, car des décen­nies de recherche peu­vent être mis­es à prof­it pour aider à inter­préter les don­nées qui com­men­cent à s’accumuler. Sans une com­préhen­sion pro­fonde et crois­sante des phénomènes du vivant, il ne sera pas pos­si­ble de trou­ver les sig­naux cri­tiques dans l’énorme bruit généré par des vastes ban­ques de don­nées hétérogènes. Trou­ver les sig­naux faibles dans un bruit de fond proche d’un brouha­ha, reste un défi tech­nique impor­tant de la médecine des 4P.

#2 Défis pour les systèmes de soins

Les étapes néces­saires pour que cette nou­velle pra­tique médi­cale devi­enne une réal­ité vont bien au-delà des sim­ples pro­grès tech­no-sci­en­tifiques. La struc­ture du sys­tème de soins de san­té doit être repen­sée dans son entièreté pour fonc­tion­ner avec des équipes mul­ti­dis­ci­plinaires com­posées de médecins, épidémi­ol­o­gistes, biol­o­gistes, infor­mati­ciens, sta­tis­ti­ciens, et enrichies par de nou­velles exper­tis­es (con­seiller en géné­tique, coach com­porte­men­tal, édu­ca­teur spé­cial­isé, etc.).

De plus, les mal­adies chroniques imposent la plu­part du temps une prise en charge com­plexe faisant inter­venir des dizaines d’acteurs dif­férents : des pro­fes­sion­nels de san­té, des per­son­nels paramédi­caux, des pro­fes­sion­nels du médi­co-social etc. Cepen­dant, avec l’hyperspécialisation des pro­fes­sions, le nom­bre d’intervenants se décu­ple et le par­cours patient devient de plus en plus chao­tique. Le besoin de coor­di­na­tion entre tous ces acteurs, et le partage des don­nées du patient, sont vitaux pour le suc­cès d’une bonne prise en charge9.

Con­cer­nant les patients, même si la moitié d’entre eux souhait­ent laiss­er le médecin leur dire ce qui est le mieux pour eux, l’autre moitié souhaite recevoir des soins de cette nou­velle pra­tique. Il sera pri­mor­dial de faire en sorte que l’adoption et la démoc­ra­ti­sa­tion de cette médecine de demain ne pro­duisent pas plus d’inégalités de san­té qu’il n’en existe déjà. Pour cela, il est recom­mand­able d’envisager des pro­grammes d’éducation à la médecine des 4P pour que les citoyens puis­sent avoir con­nais­sance de cette pra­tique et puis­sent en béné­fici­er. Enfin, le coût économique de cette nou­velle pra­tique médi­cale ne doit pas être un frein pour les patients et des busi­ness mod­els inno­vants doivent être pen­sés en conséquence.

#3 Défis éthiques des données

Le respect de la vie privée des patients reste un des prin­ci­paux obsta­cles à l’implémentation d’une nou­velle médecine des 4P. La con­fi­ance vers une médecine fondée sur l’utilisation du numérique pour génér­er, récolter, stock­er et analyser des don­nées privées, est intime­ment liée à la ques­tion de la con­fi­den­tial­ité, l’intégrité, la respon­s­abil­ité, l’authenticité et la ges­tion sécurisée des don­nées. Les défis posés par la cyber­crim­i­nal­ité et la sécu­rité des don­nées per­son­nelles sont des enjeux majeurs dans le suc­cès de la démoc­ra­ti­sa­tion de la médecine des 4P.

Ce n’est qu’en sur­mon­tant l’ensemble de ces défis que la médecine des 4P pour­ra apporter une nou­velle manière de diag­nos­ti­quer, traiter et prévenir les mal­adies, en offrant des soins plus pré­cis et effi­caces, adap­tés aux besoins indi­vidu­els de chacun.

Conclusion

Le 20ème siè­cle a été le théâtre de grandes inno­va­tions médi­cales, comme les antibi­o­tiques, les vac­cins, l’anesthésie, la chimio­thérapie et, plus récem­ment, l’émergence de la médecine factuelle (fondée sur les meilleures preuves sci­en­tifiques), de la chirurgie mini-inva­sive (laparo­scopie), de la chirurgie ambu­la­toire et de la réha­bil­i­ta­tion améliorée. À l’aune du 21ème siè­cle, une autre évo­lu­tion plus glob­ale est en cours pour pro­mou­voir une médecine adap­tée à la con­nais­sance des gènes de chaque indi­vidu, com­binée à son style de vie. Le but de cet arti­cle est d’en présen­ter suc­cincte­ment les fonde­ments, pour nous pré­par­er à cette révo­lu­tion, à ces nou­veaux défis, afin que nous puis­sions favoris­er une appli­ca­tion uni­verselle et non-mer­can­tile du pro­grès des sci­ences médicales.

On aura com­pris que la médecine des 4P pro­pose une vision bien plus glob­ale de la médecine per­son­nal­isée, et qu’elle est des­tinée à trans­former la ges­tion de notre san­té, de nos patholo­gies et de nos pra­tiques médi­cales. Pour cette médecine de demain, la con­sul­ta­tion médi­cale sera moins motivée par les symp­tômes, que par le cal­cul de prob­a­bil­ité d’être atteint d’une mal­adie. Elle soulève bien sûr quelques inter­ro­ga­tions qui nous invi­tent à repenser la rela­tion médecin-patient, et le rôle futur des général­istes. Com­ment for­mer les prochains médecins à cette approche ? Cette médecine de demain met l’accent sur la par­tic­i­pa­tion des indi­vidus, mais cet aspect est dif­férem­ment appré­cié par les par­tic­i­pants. Il ne s’agit pas seule­ment de tenir compte des choix et des valeurs des indi­vidus dans la déci­sion médi­cale partagée, il s’agit aus­si de met­tre les indi­vidus à con­tri­bu­tion pour sur­veiller cer­tains indi­ca­teurs (organiques ou biologiques) grâce à une édu­ca­tion thérapeu­tique opti­male et adap­tée à chaque indi­vidu, en fonc­tion de son con­texte socio-économique. En d’autres ter­mes, si les patients devi­en­nent demain des « experts », serons-nous tous égaux et pré­parés à cette trans­for­ma­tion ? Com­ment ce mou­ve­ment pour­rait-il être inclusif ?

La recherche de fac­teurs de risques et leur annonce des années avant l’éventuelle appari­tion de la mal­adie, com­por­tent des risques évi­dents de dis­crim­i­na­tion à l’embauche ou à l’obtention de prêts ou assur­ances (tar­i­fi­ca­tion révisée selon les risques). Ce prob­lème est impor­tant dans la mesure où la médecine des 4P vise à caté­goris­er le patient en indi­vidu « malade », « à risque », « non malade » ou « guéri ». Se dirige-t-on vers une archipéli­sa­tion médi­cale de la société ? De plus, le regroupe­ment des indi­vidus en strates selon leurs risques médi­caux com­porte le dan­ger de voir revenir une médecine « racial­isée », alors que nous savons que l’expression soma­tique des par­tic­u­lar­ités géné­tiques n’est pas con­stante, et qu’intervient à des degrés vari­ables l’épigénétique10. Enfin, puisque la médecine de demain nous donne des élé­ments de con­nais­sance sur notre avenir, sur nos risques de dévelop­per des patholo­gies, le risque d’une désol­i­dari­sa­tion du col­lec­tif est grand11.

L’enjeu en san­té des années à venir sera la prise en compte de la sin­gu­lar­ité de cha­cun, mais aus­si que chaque indi­vidu soit appréhendé dans sa glob­al­ité, comme un tout. La médecine des 4P fera-t-elle que les mesures de préven­tion et les pre­scrip­tions seront doré­na­vant guidées par la con­nais­sance de notre ADN com­binée à celle de notre style de vie ? Si anticiper l’im­por­tance de la médecine des 4P dans la trans­for­ma­tion de la san­té et de la médecine n’est plus une option, restons engagés dans ce voy­age pas­sion­nant vers un avenir qui nous rassem­ble plutôt qu’il nous divise. Cette évo­lu­tion irréversible de la médecine est un défi majeur pour le 21ème siè­cle et ses généra­tions futures. Ne man­quons pas ce ren­dez-vous pour bâtir un monde plus équitable et sol­idaire à la fois !

1C’était l’ère de la sémi­olo­gie portée, entre autres, par C. Bernard, R. Laen­nec et T. Syden­ham.
2C’est le Prési­dent du Coun­cil of Advi­sors on Sci­ence and Tech­nol­o­gy aux USA qui évoque pour la pre­mière fois la pos­si­bil­ité d’inscrire la médecine dans une démarche per­son­nal­isée. Dans son rap­port inti­t­ulé Pri­or­i­ties for Per­son­al­ized Med­i­cine, il définit la médecine per­son­nal­isée comme une pra­tique « con­sis­tant à adapter un traite­ment médi­cal en fonc­tion des car­ac­téris­tiques indi­vidu­elles de chaque patient. » http://​oncother​a​py​.us/​p​d​f​/​P​M​.​P​r​i​o​r​i​t​i​e​s.pdf
3Sous l’influence du pos­i­tivisme, cher à Auguste Comte (1798–1857), il est pos­si­ble de dicter des normes. Ain­si, la médecine tra­di­tion­nelle reste une médecine des « moyennes » où les traite­ments pro­posés cor­re­spon­dent aux meilleurs traite­ments effi­caces sur une moyenne de patients, sans tenir compte de la sin­gu­lar­ité et des vari­a­tions interindi­vidu­elles.
4Les pro­grès de la tech­nolo­gie ont per­mis de col­lecter et d’analyser des quan­tités mas­sives de don­nées sur la san­té des pop­u­la­tions. Les infor­ma­tions provenant des dossiers médi­caux élec­tron­iques, des cap­teurs de san­té porta­bles (« wear­ables »), des appli­ca­tions mobiles et des réseaux soci­aux offrent des oppor­tu­nités pré­cieuses pour iden­ti­fi­er les ten­dances, les risques et les mod­èles de san­té à grande échelle.
5Nom­bre d’études mon­trent com­bi­en la com­bat­iv­ité du patient face à sa mal­adie est un bon pronos­tic vers la guéri­son. Une psy­cho­logue, Kel­ly Turn­er, a étudié ain­si plus de 1.000 cas de guérisons spon­tanées à tra­vers le monde. Cette chercheuse a con­staté neuf points com­muns dans ces guérisons. Par­mi eux, elle note deux fac­teurs dus au mode de vie et sept fac­teurs psy­cho-émo­tion­nels ! Les fac­teurs dus au mode de vie sont l’alimentation et la sup­plé­men­ta­tion en com­plé­ments ali­men­taires. Les fac­teurs psy­cho-émo­tion­nels con­cer­nent la ges­tion de sa san­té, la com­préhen­sion de ses émo­tions, la libéra­tion des émo­tions refoulées, le sou­tien social, la spir­i­tu­al­ité et enfin le désir de vivre.
6On soulign­era qu’ils sont les décou­vreurs de l’ARN mes­sager.
7Le terme « phéno­type » fait référence ici à l’ensem­ble des car­ac­tères observ­ables d’un organ­isme, résul­tant de l’in­ter­ac­tion entre son géno­type (ensem­ble de ses gènes) et son envi­ron­nement (que l’on nomme « expo­some »). En d’autres ter­mes, le phéno­type représente les traits physiques, phys­i­ologiques et com­porte­men­taux d’un indi­vidu qui peu­vent être observés ou mesurés objec­tive­ment, tels que la couleur des yeux, la taille, la forme du corps, le métab­o­lisme, etc.
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9A titre d’exemple, pour les per­son­nes souf­frant de syn­dromes parkin­soniens, on compte aujourd’hui en moyenne 30 inter­venants : 1 médecin général­iste, 18 spé­cial­istes, 7 pro­fes­sion­nels paramédi­caux et 4 autres pro­fes­sion­nels.
10C’est-à-dire que l’expression de l’activité d’un gène n’est pas déter­minée comme peut l’être un inter­rup­teur élec­trique en mode on  ou  off, mais plutôt soumise à la con­tin­gence.
11Par exem­ple, si l’on décou­vre que vous mon­trez une grande sus­cep­ti­bil­ité de dévelop­per un can­cer du poumon, et que vous êtes en même temps un fumeur invétéré, la sol­i­dar­ité sociale risque de s’estomper.

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