Nouvelle-Zélande : vers la première génération sans tabac ?
La Nouvelle-Zélande deviendra-t-elle la première nation sans tabac d’ici 2025 ? Pour atteindre cet objectif – et éviter le décès prématuré de 4 500 Néo-Zélandais chaque année – le pays pourrait prochainement proposer différentes mesures inédites, dont l’interdiction de la vente de tabac à toute personne née après 2004. Les derniers chiffres de l’OMS, datant du mois de mai 2020, montrent que le monde compte plus de 1,3 milliard de fumeurs, et que 80% d’entre eux se trouvent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire1. Ces mêmes données indiquent également que le tabagisme tue chaque année 8 millions de personnes sur la planète.
L’interdiction, proposée par le gouvernement de la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern, soulève de nombreuses interrogations sur son efficacité, et sa capacité à être, à terme, exportée dans d’autres pays. Nous avons soumis ces interrogations à Karine Gallopel-Morvan, membre du Haut Conseil de santé publique (HCSP) et des conseils scientifiques de Santé publique France.
La Nouvelle-Zélande pourra-t-elle totalement abolir le tabagisme ?
Cela fait longtemps que ce pays multiplie les campagnes désincitatives pour réduire le tabagisme, et elles ont porté leurs fruits. Aujourd’hui, environ 10 % des Néo-Zélandais non-Maoris (et environ 30 % des Maoris) fument, ce qui est extrêmement faible si l’on compare ces chiffres à ceux de la France et de l’Allemagne, où entre 30 et 32 % des plus de 15 ans fument occasionnellement et plus de 25 % quotidiennement23. Au global, en Europe, ce sont 29 % des adultes qui sont fumeurs.
Mais la Nouvelle-Zélande n’est pas le seul pays à souhaiter la fin du tabagisme (« tobacco endgame »). Ce projet de société est aussi envisagé en Australie, en Finlande ou en Norvège – des pays où la prévalence du tabagisme est également très faible (environ 12–15 % de fumeurs). Ces pays ont adopté les nombreuses mesures préconisées par l’OMS dans le cadre de la Convention-cadre anti-tabac, et ont réussi à fortement réduire la proportion de mineurs fumeurs, jusqu’à atteindre environ 5 % aujourd’hui. La Nouvelle-Zélande souhaite aller plus loin, et a proposé en 2021 un plan de suppression du tabac pour 20254.
Comment la Nouvelle-Zélande pourrait-elle s’y prendre pour supprimer le tabac en 2025 ?
Différentes mesures sont proposées. Parmi les propositions phares, on trouve la réduction de la nicotine dans les produits du tabac. Cela aura pour double objectif de réduire la dépendance des fumeurs (et donc de faciliter l’arrêt) et de ne pas installer rapidement la dépendance des jeunes qui commencent.
La dernière mesure phare est d’interdire en 2025 la vente de tabac aux jeunes nés après 2004, dans le but, bien sûr, de faire émerger la première génération sans tabac.
L’autre mesure phare est la réduction du nombre de points de vente de tabac, qui sont entre 6 000 et 8 000 en Nouvelle-Zélande, puisque n’importe quel magasin peut en commercialiser. On trouve ainsi de nombreux points de vente dans les quartiers où résident les populations les plus touchées par le tabagisme, comme les Maoris et les plus précaires. Réduire le nombre de boutiques autorisées à en vendre, notamment dans les environs des collèges et des lycées, permettra de réduire l’accès au tabac, d’empêcher l’initiation des jeunes et de faciliter l’arrêt.
La dernière mesure phare est d’interdire en 2025 la vente de tabac aux jeunes nés après 2004, dans le but, bien sûr, de faire émerger la première génération sans tabac. D’autres réformes sont également envisagées pour atteindre cet objectif : augmenter les prix, interdire les filtres (très polluants pour l’environnement), augmenter le nombre de campagnes de marketing social (du type « mois sans tabac » en France), réduire l’attrait des formes de cigarettes (en interdisant notamment les cigarettes à capsules aromatisées).
Avez-vous des exemples de politiques publiques ayant démontré leur efficacité sur le marketing du tabac ?
Oui, j’ai par exemple travaillé pendant plusieurs années sur le paquet de cigarettes neutre5 qui a vu le jour en France en 2017, et a aujourd’hui été adopté par de nombreux pays (dont la Nouvelle-Zélande). Ce paquet ne comporte aucun signe publicitaire, le nom de la marque y est inscrit de manière standardisée et sa couleur est la moins attractive possible (vert foncé pour la France).
L’un des objectifs du paquet neutre est d’annihiler la fonction marketing de l’emballage – fonction essentielle pour attirer les jeunes vers la tabagie. Avant 2017, les marques misaient ainsi sur des paquets innovants et attractifs, comme le « phosphopack », dont la caractéristique était de s’éclairer la nuit et de faire disparaître les mentions sanitaires, le paquet à l’effigie du Che pour évoquer la rébellion ou encore le paquet « high-tech / capsule » tactile, qui rappelait que les cigarettes qu’il contenait changeaient de goût au gré des envies des fumeurs.
Les recherches que nous avons réalisées en France, et celles de chercheurs d’autres pays, montrent que le paquet neutre influence les comportements et les perceptions des fumeurs, et qu’il réduit l’envie des adolescents de l’acheter et de commencer à fumer. Le paquet neutre évite également de tromper les consommateurs sur la dangerosité réelle du produit qu’il contient : un produit qui tue un consommateur régulier sur deux. Enfin, il amplifie l’efficacité des avertissements sanitaires apposés sur les emballages, qui sont plus visibles, mieux mémorisés, jugés plus crédibles.
Mais pour défendre cet espace de communication qu’est le packaging, les industriels du tabac sont allés en 2012 jusqu’à poursuivre l’Australie en justice quand le pays a décidé de l’imposer. Ils ont perdu leur procès et ont été déboutés par un arrêt de la Haute Cour de Sydney.
Sera-t-il un jour possible d’interdire le tabac dans des pays où la prévalence tabagique est supérieure à 30 %, comme la France ou l’Allemagne ?
Rien n’est impossible. La prévalence du tabagisme est élevée en Europe, mais elle diminue depuis 2016 (sauf en 2020, une année rendue particulière par le Covid-19), parce qu’il y a eu une réelle volonté politique d’atteindre cet objectif avec la mise en place de mesures efficaces.
Si les prochains gouvernements continuent sur cette lancée, la baisse de la part des fumeurs pourrait être très rapide. En Grande-Bretagne, par exemple, l’adoption depuis une quinzaine d’années de mesures très efficaces (hausse des prix, campagnes massives de marketing social, interdiction de publicité, de vente aux mineurs, paquets neutres, aides déployées sur tout le territoire pour aider les fumeurs à arrêter…) a eu des effets significatifs : les Britanniques sont passés d’environ 30 % de fumeurs à moins de 15 % aujourd’hui. Le cas échéant, il pourrait être envisageable de passer à une France ou une Allemagne sans tabac d’ici 2030.
Une interdiction de la vente de tabac ne risquerait-elle pas d’engendrer une recrudescence des trafics clandestins ?
Comme précisé dans la question précédente, il n’est pas question d’interdire la vente de tabac en France alors que la prévalence est proche de 30 %. Mais dès qu’elle avoisinera les 5 %, l’interdiction deviendra envisageable sans générer un trafic illicite d’ampleur, puisque peu de personnes seront intéressées par le produit. Dans ce cas de figure, il sera bien sûr essentiel d’aider les fumeurs restants à gérer leur dépendance à la nicotine, avec par exemple des aides médicamenteuses et des substituts nicotiniques.