Nous pourrions « guérir » du vieillissement, mais est-ce une bonne idée ?
- La possibilité de concevoir des traitements contre le vieillissement soulève un bon nombre de questions éthiques, concernant la surpopulation ou encore le sens de la vie.
- Si la vieillesse n’était plus considérée comme cause potentielle de décès, la population augmenterait d’environ 16 % d’ici 2050 (en admettant que la vieillesse soit éradiquée en 2025).
- « Guérir » du vieillissement équivaudrait à des milliards économisés : face aux coûts colossaux de la vieillesse pour l’économie mondiale, les médicaments anti-âge auraient un prix abordable.
- Les implications éthiques des nouveaux traitements se doivent d’être discutées, y compris pour les médicaments anti-âge.
Les scientifiques qui étudient la biologie du processus de vieillissement ont fait des découvertes incroyables au cours des dernières décennies : le processus de vieillissement n’est pas inévitable et, en comprenant les mécanismes moléculaires et cellulaires qui en sont à l’origine, développer des traitements susceptibles de ralentir ou même d’inverser ce processus pourrait être possible. Pouvons-nous en apprendre suffisamment pour que les humains puissent vivre 400 ans, comme le requin du Groenland ? Voilà une question fascinante, mais souvent suivie d’une autre : est-ce souhaitable ? L’idée que nous puissions traiter le vieillissement comme n’importe quel autre problème médical soulève de grandes questions éthiques. Examinons les plus importantes d’entre elles.
Que ferions-nous de tous ces gens ?
L’objection la plus courante au traitement du vieillissement se résume souvent à un seul mot : « surpopulation ». Le climat est déjà mis à rude épreuve par nos émissions collectives de dioxyde de carbone, et nous polluons également la planète d’une multitude d’autres façons — de l’agriculture à la surpêche en passant par les microplastiques et les déchets toxiques. Or, si les gens vivaient plus longtemps, nous serions forcément plus nombreux. Ce fait n’aura-t-il pas des conséquences d’autant plus graves pour la planète ?
Le premier problème lié à cette préoccupation est la façon dont elle est formulée : la « surpopulation » implique que ce sont les personnes qui posent problème, plutôt que les ressources que nous utilisons. Elle diabolise aussi injustement les régions du monde où la population croît le plus rapidement — précisément les pays pauvres dont les populations utilisent le moins de ressources par personne. Mais il est certain que l’augmentation de la population rend les différents problèmes environnementaux plus difficiles à résoudre, même si ce n’est pas la population en soi qui est à blâmer.Le plus surprenant réside dans le fait que même un remède complet contre le vieillissement — une pilule hypothétique qui réduirait considérablement le risque de cancer, de maladie cardiaque, de démence et bien plus encore — aurait tout de même un impact assez modeste sur la population mondiale. Si l’on prend les projections démographiques populaires des Nations Unies et que l’on supprime totalement le vieillissement comme cause de décès d’ici 2025 (un scénario un peu ridicule qui dépasse même les prévisions les plus optimistes concernant la médecine anti-âge), on obtient une augmentation de 16 % seulement de la population d’ici 20501.
Il est alors important de se rappeler ce qui se trouve de l’autre côté de la balance : le vieillissement est la cause de la plupart des cancers, des crises cardiaques et des démences, ainsi que de la fragilité, de l’incontinence, de la perte de l’audition et de la vue, et de bien d’autres choses encore. Il est responsable d’environ deux tiers des décès dans le monde2. Je serais heureux de travailler 16 % de plus pour réduire mon empreinte carbone si cela permettait de réduire considérablement les décès et les souffrances dus à des dizaines de causes, partout dans le monde.
Vue sous cet angle, la population est certainement un élément à prendre en compte (et des organismes comme l’ONU feraient bien d’accorder un peu plus d’attention à cette science — aucune de leurs prévisions n’envisage une espérance de vie dépassant largement les 80 ans dans le monde), mais ce n’est pas la catastrophe environnementale inévitable qu’elle semblait être au départ.
Ces traitements ne seront-ils pas qu’à la portée des riches ?
Avec Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, qui est le dernier (et le plus riche) milliardaire à investir dans la recherche contre le vieillissement, il est clair que les ultra-riches s’intéressent au ralentissement du processus de vieillissement. Mais, s’ils y parviennent, le reste d’entre nous aura-t-il les moyens de se payer les traitements qui en découleront ? La bonne nouvelle, c’est qu’il y a trois sérieuses raisons de l’espérer.
Tout d’abord, certains de ces traitements pourraient être très peu coûteux : les premiers prétendants aux médicaments anti-âge, comme la metformine et la rapamycine, sont des médicaments existants dont les brevets ont déjà expiré et qui coûtent seulement quelques centimes par pilule3. Même les thérapies plus avancées sont susceptibles de coûter des milliers plutôt que des millions, en raison de l’automatisation et des économies d’échelle dans le cas où les traitements sont applicables à chaque humain sur la planète, et pas seulement à un sous-ensemble atteint d’une forme particulière de cancer, par exemple4.
Les médicaments permettraient aux gouvernements et aux systèmes de santé d’économiser des sommes considérables, qui compenseraient ainsi le coût des traitements.
Deuxièmement, il sera impératif, d’un point de vue économique, de fournir des traitements assez abordables, précisément parce que le vieillissement lui-même est très coûteux. On estime que la démence — qui n’est, bien sûr, qu’une des nombreuses maladies du vieillissement — coûte plus de 1 000 milliards de dollars dans le monde, et que ce chiffre atteindra les 2 000 milliards de dollars d’ici 20305. Les médicaments qui pourraient alléger l’énorme fardeau que représentent ces maladies permettraient aux gouvernements et aux systèmes de santé d’économiser des sommes considérables, qui compenseraient ainsi le coût des traitements.
Enfin, si vous considérez que les milliardaires ne pensent qu’à eux, songez que, même d’un point de vue égoïste, accumuler les pilules n’a aucun sens. Imaginez que vous soyez Jeff Bezos : voulez-vous être la première personne à prendre un médicament anti-âge expérimental, ou la 100 000e, après des tests approfondis de sécurité et d’efficacité ? Le meilleur résultat pour les milliardaires est le même que pour le reste d’entre nous : une industrie de la longévité florissante, avec des traitements suffisamment bon marché pour des essais cliniques à grande échelle, et donc une utilisation généralisée.
Et si la mort était ce qui donne sens à la vie ?
Depuis que l’humain existe, sa mort existe avec lui. Il est prouvé que les rituels funéraires remontent à des centaines de milliers d’années6. Il est donc probable que notre espèce soit aux prises avec sa finitude depuis au moins des dizaines de millénaires. Est-ce le fait de savoir que tout à une fin qui nous motive à réussir, ou simplement qui donne un sens à notre vie ?Premièrement, il s’agit là d’une des nombreuses objections qui démontrent comment la recherche sur le vieillissement est placée dans sa propre catégorie éthique — personne ne demanderait à un chercheur en cancérologie s’il est préoccupé par le fait qu’une réduction de la mortalité résultant de ses recherches pourrait avoir un effet négatif sur la condition humaine. Pourtant, pour les biologistes du vieillissement, c’est une question courante.
Deuxièmement, il faut se rendre à l’évidence : même si nous parvenions à guérir complètement le vieillissement, les gens continueraient à mourir. Il y aura toujours des bus à percuter, des maladies infectieuses à attraper, les cancers, les maladies cardiaques et autres, qui concerneront les personnes biologiquement jeunes, même si c’est à un rythme bien moindre que les personnes âgées. Cependant, un monde où notre jeunesse biologique serait prolongée, peut-être indéfiniment, serait certainement un monde où il y aurait moins de morts — et je ne suis pas sûr que ce soit une mauvaise chose.
Une grande partie du sens de notre vie provient des personnes qui la remplissent, nos familles et nos amis. Et une grande partie de la douleur, tant émotionnelle que physique, résulte d’une mauvaise santé, la leur ou la nôtre. Si nous vivions tous plus longtemps et en bonne santé, comme le promettent les médicaments contre le vieillissement, pourquoi ne voudrions-nous pas continuer à vivre ? Et comme l’art, la musique, la science, la technologie et bien d’autres choses encore n’ont de cesse que de progresser (peut-être vers de nouveaux horizons qui ne sont possibles que grâce à des créateurs ou à des chercheurs ayant une longue carrière, capables de faire des découvertes que seules des décennies d’expérience supplémentaires rendent possibles), il semble incroyablement improbable que nous nous ennuyions.
Et, même si nous nous lassons de la vie elle-même à 250 ans, ne préféreriez-vous pas partir de manière brève et sans douleur, au moment de votre choix, plutôt que de voir la vie vous être retirée lentement et douloureusement pendant des décennies par la vieillesse ?
Le point essentiel revient à comprendre que les médicaments contre le vieillissement ne sont que cela : de la médecine. Ils ne sont pas plus étranges qu’un médicament pour réduire le cholestérol visant de prolonger la vie en bonne santé d’une personne atteinte d’une maladie cardiaque. Rien ne prouve vraiment que les années supplémentaires gagnées en prévenant les crises cardiaques ont ôté tout sens à la vie moderne — alors pourquoi ajouter quelques années supplémentaires sans crise cardiaque, sans cancer et sans fragilité le ferait-il ?
Tous les médicaments ont des effets secondaires. Pour les médicaments dont la portée est suffisamment large, les effets peuvent être sociologiques, économiques et éthiques. La pilule contraceptive a transformé la société, en particulier pour les femmes ; les antibiotiques et les vaccins n’ont pas seulement sauvé des millions de vies, mais ont fondamentalement réorienté notre relation millénaire avec les maladies infectieuses ; les premiers médicaments amaigrissants véritablement sûrs et efficaces sont déjà en train de fomenter une autre révolution sociale et médicale. Nous devrions discuter des implications éthiques de tous les nouveaux traitements — mais, même s’il y aura toujours des effets secondaires à affronter, je pense que le monde serait bien meilleur si l’on ajoutait à cette liste de véritables médicaments anti-âge.
Il y a beaucoup plus à dire sur l’éthique de la biologie du vieillissement, et vous pouvez trouver un chapitre gratuit du livre d’Andrew Steele, Ageless, sur ageless.link/ethics.