Réanimation : une appli pour sauver des vies
L’une des plus grosses difficultés rencontrées lors de la première vague de la pandémie concernait le nombre de places disponibles dans les unités de soins intensifs. Lors du pic, de nombreux hôpitaux se sont retrouvés sous pression, obligeant de fait les intervenants à décider où orienter les patients afin d’éviter de surcharger les services de réanimation. Au début de la crise, le personnel soignant recensait le nombre de lits disponibles dans les différents établissements hospitaliers sur des tableaux Excel et se les échangeait par le biais de la messagerie WhatsApp. Même si la crise impliquait de faire au plus vite, ce n’était ni le moyen le plus efficace ni le plus sûr de partager des données, d’autant plus qu’il s’agissait en l’occurrence d’informations susceptibles de créer un climat de panique si elles étaient interceptées.
Je travaille quotidiennement auprès de médecins et d’infirmières qui interviennent au sein de ces services. Après avoir discuté tous ensemble du problème, il m’est apparu qu’il était possible d’y remédier par un processus d’automatisation. Notre équipe a donc mis au point ICUBAM (Intensive Care Unit Bed Availability Monitor), un outil numérique facile à utiliser afin d’assurer le suivi de la disponibilité des lits. Dès les premiers jours du confinement, nous avons travaillé sans relâche pour rendre l’application opérationnelle en trois ou quatre jours à peine. Elle a été immédiatement adoptée par les autorités sanitaires de la région Grand Est, qui compte plus de 5,5 millions d’habitants.
Deux fois par jour, ICUBAM adresse aux personnels des services de réanimation un SMS dans lequel figure un lien vers un formulaire en ligne. Quelques secondes suffisent à renseigner les informations requises, à savoir la quantité de lits disponibles, en précisant s’ils sont équipés ou non pour la prise en charge de patients COVID+, ainsi que le nombre de sorties. Les données recueillies ont été compilées, ce qui nous a permis de générer en temps réel des modélisations et des analyses sur l’évolution de la pandémie. Nous avons continué à échanger avec les médecins tout au long de la crise, en leur communiquant les synthèses de nos modélisations et de nos statistiques. Les données mises à disposition étaient destinées à les aider dans leurs prises de décision, mais celles-ci relevaient bien entendu de leur entière responsabilité.
ICUBAM a été relativement simple à mettre en place. Tout ce dont nous avions vraiment besoin, c’était d’un endroit pour stocker les données, et d’un budget pour couvrir les dépenses liées aux SMS. Au fur et à mesure, les éléments recueillis nous ont permis d’établir une cartographie de la pandémie à travers tout le pays. Dans un second temps, nous avons associé les données de différents hôpitaux à des modélisations épidémiologiques, de façon à pouvoir estimer le nombre de lits disponibles sous quelques jours. Notre objectif était de fournir des informations cruciales aux médecins confrontés à des prises de décisions difficiles pour déterminer où envoyer les patients à risque.
Après le confinement, au début de l’été, nous avons cessé de faire fonctionner l’ICUBAM. Cependant, nous avons récemment été contactés par de nombreux professionnels de santé et des soins intensifs qui nous ont demandé de le remettre en service en vue de la deuxième vague. De notre côté, nous aimerions que les autorités déploient le système à un niveau national ; les aides-soignants des unités de soins intensifs en ont besoin. Pour faire face à la deuxième vague, l’ICUBAM a été remis en service par l’INRIA et quatre régions françaises. Pour moi, cela démontre notre capacité à redéployer l’outil quand cela est nécessaire.
Les outils numériques tels que l’ICUBAM sont en mesure d’apporter un véritable éclairage sur les questions de santé publique, car ils fournissent aux médecins un suivi des données et facilitent leur analyse, ce qui permet aux autres intervenants de mieux appréhender une situation donnée. Quelques jours nous ont suffi pour mettre au point cette application, et son concept pourrait facilement être adapté à d’autres types de crises. En fonction du contexte, elle pourrait servir à évaluer la disponibilité du matériel médical, déterminer leur lieu de stockage, etc. Dans les pays en développement, des dispositifs analogues de collecte de données permettraient aussi d’apporter une aide et d’assurer un suivi en cas de crise sanitaire.
Enfin, j’ai pu constater une hausse des inscriptions en doctorat dans mon domaine d’études à l’issue du confinement. Il semble que la pandémie ait contribué à démontrer que la statistique peut être appliquée à des situations concrètes. Les jeunes chercheurs souhaitent mettre leurs connaissances en pratique, et il existe bien d’autres défis passionnants à relever dans le domaine de l’intelligence artificielle au service de la santé.