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Réanimation : une appli pour sauver des vies

Julie Josse
Julie Josse
chercheuse en statistiques à Inria

L’une des plus gross­es dif­fi­cultés ren­con­trées lors de la pre­mière vague de la pandémie con­cer­nait le nom­bre de places disponibles dans les unités de soins inten­sifs. Lors du pic, de nom­breux hôpi­taux se sont retrou­vés sous pres­sion, oblig­eant de fait les inter­venants à décider où ori­en­ter les patients afin d’éviter de sur­charg­er les ser­vices de réan­i­ma­tion. Au début de la crise, le per­son­nel soignant recen­sait le nom­bre de lits disponibles dans les dif­férents étab­lisse­ments hos­pi­tal­iers sur des tableaux Excel et se les échangeait par le biais de la mes­sagerie What­sApp. Même si la crise impli­quait de faire au plus vite, ce n’était ni le moyen le plus effi­cace ni le plus sûr de partager des don­nées, d’autant plus qu’il s’agissait en l’occurrence d’informations sus­cep­ti­bles de créer un cli­mat de panique si elles étaient interceptées.

Je tra­vaille quo­ti­di­en­nement auprès de médecins et d’infirmières qui inter­vi­en­nent au sein de ces ser­vices. Après avoir dis­cuté tous ensem­ble du prob­lème, il m’est apparu qu’il était pos­si­ble d’y remédi­er par un proces­sus d’automatisation. Notre équipe a donc mis au point ICUBAM (Inten­sive Care Unit Bed Avail­abil­i­ty Mon­i­tor), un out­il numérique facile à utilis­er afin d’assurer le suivi de la disponi­bil­ité des lits. Dès les pre­miers jours du con­fine­ment, nous avons tra­vail­lé sans relâche pour ren­dre l’application opéra­tionnelle en trois ou qua­tre jours à peine. Elle a été immé­di­ate­ment adop­tée par les autorités san­i­taires de la région Grand Est, qui compte plus de 5,5 mil­lions d’habitants.

Deux fois par jour, ICUBAM adresse aux per­son­nels des ser­vices de réan­i­ma­tion un SMS dans lequel fig­ure un lien vers un for­mu­laire en ligne. Quelques sec­on­des suff­isent à ren­seign­er les infor­ma­tions req­ui­s­es, à savoir la quan­tité de lits disponibles, en pré­cisant s’ils sont équipés ou non pour la prise en charge de patients COVID+, ain­si que le nom­bre de sor­ties. Les don­nées recueil­lies ont été com­pilées, ce qui nous a per­mis de génér­er en temps réel des mod­éli­sa­tions et des analy­ses sur l’évolution de la pandémie. Nous avons con­tin­ué à échang­er avec les médecins tout au long de la crise, en leur com­mu­ni­quant les syn­thès­es de nos mod­éli­sa­tions et de nos sta­tis­tiques. Les don­nées mis­es à dis­po­si­tion étaient des­tinées à les aider dans leurs pris­es de déci­sion, mais celles-ci rel­e­vaient bien enten­du de leur entière responsabilité.

ICUBAM a été rel­a­tive­ment sim­ple à met­tre en place. Tout ce dont nous avions vrai­ment besoin, c’était d’un endroit pour stock­er les don­nées, et d’un bud­get pour cou­vrir les dépens­es liées aux SMS. Au fur et à mesure, les élé­ments recueil­lis nous ont per­mis d’établir une car­togra­phie de la pandémie à tra­vers tout le pays. Dans un sec­ond temps, nous avons asso­cié les don­nées de dif­férents hôpi­taux à des mod­éli­sa­tions épidémi­ologiques, de façon à pou­voir estimer le nom­bre de lits disponibles sous quelques jours. Notre objec­tif était de fournir des infor­ma­tions cru­ciales aux médecins con­fron­tés à des pris­es de déci­sions dif­fi­ciles pour déter­min­er où envoy­er les patients à risque.

ICUBAM four­nit des don­nées en temps réel sur la disponi­bil­ité des lits de réan­i­ma­tion dans tout le pays.

Après le con­fine­ment, au début de l’été, nous avons cessé de faire fonc­tion­ner l’ICUBAM. Cepen­dant, nous avons récem­ment été con­tac­tés par de nom­breux pro­fes­sion­nels de san­té et des soins inten­sifs qui nous ont demandé de le remet­tre en ser­vice en vue de la deux­ième vague. De notre côté, nous aime­ri­ons que les autorités déploient le sys­tème à un niveau nation­al ; les aides-soignants des unités de soins inten­sifs en ont besoin. Pour faire face à la deux­ième vague, l’ICUBAM a été remis en ser­vice par l’INRIA et qua­tre régions français­es. Pour moi, cela démon­tre notre capac­ité à redé­ploy­er l’outil quand cela est nécessaire.

Les out­ils numériques tels que l’ICUBAM sont en mesure d’apporter un véri­ta­ble éclairage sur les ques­tions de san­té publique, car ils four­nissent aux médecins un suivi des don­nées et facili­tent leur analyse, ce qui per­met aux autres inter­venants de mieux appréhen­der une sit­u­a­tion don­née. Quelques jours nous ont suf­fi pour met­tre au point cette appli­ca­tion, et son con­cept pour­rait facile­ment être adap­té à d’autres types de crises. En fonc­tion du con­texte, elle pour­rait servir à éval­uer la disponi­bil­ité du matériel médi­cal, déter­min­er leur lieu de stock­age, etc. Dans les pays en développe­ment, des dis­posi­tifs ana­logues de col­lecte de don­nées per­me­t­traient aus­si d’apporter une aide et d’assurer un suivi en cas de crise sanitaire.

Enfin, j’ai pu con­stater une hausse des inscrip­tions en doc­tor­at dans mon domaine d’études à l’issue du con­fine­ment. Il sem­ble que la pandémie ait con­tribué à démon­tr­er que la sta­tis­tique peut être appliquée à des sit­u­a­tions con­crètes. Les jeunes chercheurs souhait­ent met­tre leurs con­nais­sances en pra­tique, et il existe bien d’autres défis pas­sion­nants à relever dans le domaine de l’intelligence arti­fi­cielle au ser­vice de la santé.

Auteurs

Julie Josse

Julie Josse

chercheuse en statistiques à Inria

Julie Josse était chercheuse invitée à Google Brain. Elle est experte dans le traitement des valeurs manquantes et ses recherches actuelles portent sur les techniques d'inférence causale pour la médecine personnalisée. Sa vocation est d'encourager l'innovation méthodologique afin d'apporter une application utile de ses recherches à l'utilisateur, en particulier dans le domaine des biosciences et de la santé. Elle a dirigé un projet avec le groupe Traumabase dédié à la gestion des patients polytraumatisés pour aider les médecins urgentistes à améliorer les soins aux patients. Julie Josse se consacre à la recherche reproductible avec le logiciel statistique R et elle est membre de la fondation R et de Rforwards pour accroître la participation des minorités dans la communauté.

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