Les mondes virtuels sont une manière d’étendre et d’améliorer le monde réel, et c’est également le rôle d’un jumeau numérique. Concrètement, il s’agit d’un référentiel sur lequel vont s’associer différentes disciplines pour faire avancer un projet commun : en additionnant leurs connaissances et leurs savoir-faire, elles vont pouvoir partager, sur la base d’une même représentation, plusieurs scénarios possibles.
Personne n’attend d’un jumeau numérique qu’il soit parfait. Si je prends le parallèle avec l’automobile, 95 % des crash tests des voitures commercialisées sont réalisés sur support informatique. Grâce au jumeau numérique d’un véhicule, même incomplet, on peut tester sa résistance lors d’un choc, par exemple. Cela signifie que l’on a confiance en ces modèles. Le corps humain, évidemment, est plus complexe qu’une automobile, mais notre objectif est similaire : nous souhaitons améliorer l’espérance de vie et garder les individus en bonne santé, à un coût soutenable pour les systèmes de soins.
Un projet multidisciplinaire
Pour ce faire, nous avons mis en place chez Dassault Systèmes une réelle flexibilité entre les différentes échelles et les différentes disciplines qui sont utilisées par ces référents virtuels. Notre jumeau numérique du cœur se définit comme multiphysique. Le cœur est une pompe, et a donc un comportement mécanique qui va le faire se contracter sous l’effet d’un signal électrique. Il nous est possible de dupliquer numériquement ce phénomène et la manière dont la pompe va être commandée. Ce jumeau est ainsi capable de reproduire la géométrie du cœur à partir d’un système d’imagerie, mais également le comportement des fibres musculaires : c’est un premier type de physique que nous avons utilisé.
Si un modèle ne contient que ce que l’on y met, il permet donc tout de même de faire des prédictions.
Ce cœur se contracte ensuite pour faire circuler le sang. Nous sommes donc allés chercher un autre type de physique pour reproduire tout ce qui concerne la mécanique des fluides afin de caractériser au mieux le comportement hémodynamique. L’enjeu, c’est de personnaliser ce modèle de cœur en fonction de chaque individu afin de pouvoir, par exemple, tester différentes manières de soigner un patient dès lors qu’il a une maladie. À partir de ce modèle paramétrable, il est possible d’aller vers une reproduction très fine du cœur du patient du point de vue de son comportement, à la fois sur le plan de la géométrie, mais aussi de l’ellipse électrophysiologique ou de la physique. Si un modèle ne contient que ce que l’on y met, il permet donc tout de même de faire des prédictions.
Nous sommes également capables d’être multi-échelle. Pour le cœur, il est tout à fait possible de changer de discipline afin de reproduire des comportements de cardiotoxicité. Certains médicaments vont être capables de s’introduire dans les cellules du cœur et de contrôler le système d’ouverture/fermeture de canaux ioniques. Ici, nous rentrons dans le domaine de la chimie et de la biologie moléculaire. On peut ainsi générer des arythmies du cœur qui vont aller jusqu’à des torsades de pointe, que nos logiciels sont capables de reproduire en fonction du dosage des médicaments. Ici, nous sommes à l’échelle moléculaire, et plus seulement dans le domaine de la physique.
Les différents types de jumeaux numériques
Ainsi, nous avons besoin de mettre en œuvre plusieurs jumeaux numériques du patient pour comprendre son état de santé, définir sa pathologie et pouvoir tester différents scénarios d’intervention. Si la longévité augmente ces dernières années – selon les chiffres de l’OMS –, l’espérance de vie en bonne santé stagne. Pour dépasser ce palier, cette multiplicité sera nécessaire. Un scénario d’intervention peut ainsi utiliser un médicament ou un dispositif médical, ou même les deux. Un autre jumeau numérique destiné à tester la molécule ou le dispositif médical sera alors requis. Ce soin sera administré dans un environnement particulier : si c’est une opération, elle aura lieu à l’hôpital, mais il peut s’agir d’une consultation à distance ou en présentiel dans un cabinet de médecine. Nous aurons alors besoin d’un jumeau numérique du site.
Enfin, réaliser un jumeau numérique du système de soins est également nécessaire pour l’éprouver, comprendre comment se font les flux d’argent et tester différentes manières de mieux le piloter. Il peut même se présenter en 2D : un jumeau numérique n’a pas nécessairement besoin d’être en 3D, même si c’est le modèle le plus parlant pour illustrer cette technologie. Et dans les faits, nous n’avons pas besoin d’attendre d’avoir un jumeau numérique complet du corps humain pour avoir déjà des résultats concrets.
Une aide cruciale pour les médecins
Ces progrès permettront de rentrer dans la médecine personnalisée, et de trouver le bon traitement pour le bon patient, au bon moment. Il y aura également un certain nombre de bénéfices secondaires. D’abord, le patient comprendra mieux ce qui va se produire lors de l‘intervention. Il pourra ainsi devenir acteur de sa propre santé, et la prévention sera renforcée. De plus, ces progrès permettraient aux médecins d’avoir plus de temps disponible. En effet, si le jumeau numérique teste à leur place un certain nombre de configurations réalisées autrefois à la main, on libère du temps médical sans briser pour autant le lien avec le patient, bien au contraire. Cela promet également une meilleure collaboration entre médecins.
Il existe déjà une demande très forte de la part des médecins pour utiliser ces jumeaux numériques.
Il existe déjà une demande très forte de la part des médecins pour utiliser ces jumeaux numériques, d’autant plus qu’ils se plaignent aujourd’hui de passer trop de temps dans la gestion administrative et pas assez de temps avec les malades. Mais nous sommes au début de cette aventure, et si certains sont convaincus du bien-fondé de cette démarche, ils sont encore pionniers en la matière. C’est un besoin d’autant plus pressant qu’aujourd’hui, les connaissances médicales doublent tous les 70 jours. Et ces médecins voient bien l’intérêt de pouvoir mettre en commun leurs connaissances afin de pouvoir former les jeunes générations ou de discuter d’un cas complexe à plusieurs praticiens.
On peut citer en exemple le Boston Children’s Hospital, l’hôpital pédiatrique de Boston, où le chef de service en charge de la chirurgie pédiatrique, le docteur Hogan, utilise un modèle de cœur avant d’intervenir sur des enfants en bas âge ayant des malformations congénitales. Ce jumeau numérique du cœur l’aide à mieux comprendre la pathologie de l’enfant, et lui permet d’expliquer visuellement aux parents la pathologie de leur enfant pour les mettre en confiance.
C’est une preuve que cette technologie peut être utilisée dans une pratique médicale poussée, mais nous sommes encore loin d’une adoption générale. Si le monde médical est friand d’innovations, il souhaite en parallèle qu’elles soient éprouvées. Ces technologies sont pourtant assez raisonnables en termes de coût et de temps. Dans deux ou trois ans, elles auront grandement évolué en termes de rapidité, de rendu, de résultats et de consommation de ressources technologiques, ce qui favorisera leur utilisation dans l’entièreté du corps médical.