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La santé des femmes investie par la médecine  

Les inégalités biologiques homme-femme face à la maladie

Shannon Dunn, professeure associée au département d'immunologie de l'Université de Toronto
Le 9 octobre 2024 |
7 min. de lecture
Shannon Dunn
Shannon Dunn
professeure associée au département d'immunologie de l'Université de Toronto
En bref
  • Alors que la recherche médicale se spécialise de plus en plus en fonction du sexe et du genre, des différences spécifiques au sexe apparaissent dans les études de sciences fondamentales.
  • Le fait d'avoir des chromosomes sexuels XX par opposition à XY peut notamment avoir une incidence sur la réaction d'un individu face à une infection, au cancer, à l'hypertension, à l'asthme et même à la neurodégénérescence.
  • Les différences spécifiques au sexe doivent être mieux comprises pour s'assurer que les traitements médicaux sont adéquats pour les personnes assignées au sexe féminin à la naissance.

Lorsque l’on pense à la san­té des femmes, il peut être facile de pass­er directe­ment aux men­stru­a­tions, à la grossesse et à la ménopause. Les chercheurs com­men­cent tout juste à com­pren­dre l’im­por­tance du rôle que jouent les dif­férences spé­ci­fiques au sexe dans notre corps.

Depuis une dizaine d’années, on commence à s’intéresser de plus près aux différences spécifiques au sexe. Qu’est-ce qui a changé ?

Shan­non Dunn. Nous con­nais­sons l’in­flu­ence du sexe sur la san­té depuis un cer­tain temps déjà. Cela a été ren­du pos­si­ble par les recherch­es de plusieurs pio­nniers dans ce domaine, qui ont util­isé des ani­maux ou des humains des deux sex­es dans leurs recherch­es pen­dant des décen­nies, et par des organ­i­sa­tions telles que la Société pour la Recherche sur la San­té des Femmes. Dans mon domaine, par exem­ple, deux sci­en­tifiques, le Dr Rhon­da Voskuhl (UCLA) et le Dr Hali­na Offn­er (Uni­ver­sité de l’Ore­gon), ont réal­isé des travaux fon­da­men­taux dans les années 1990 et 2000 qui décrivaient com­ment les femelles mon­traient des répons­es auto-immunes plus fortes dans le mod­èle ani­mal de lab­o­ra­toire en ce qui con­cerne la sclérose en plaques. Elles définis­saient égale­ment com­ment les stéroïdes sex­uels, notam­ment la testostérone, l’estra­di­ol et les chro­mo­somes sex­uels (XX vs XY) con­trôlaient ces dif­férences entre les deux sex­es. Mais pour l’essen­tiel, jusqu’à récem­ment, il était courant de se con­cen­tr­er sur l’é­tude d’un seul sexe, que ce soit en lab­o­ra­toire ou chez l’homme. 

Cepen­dant, au cours de la dernière décen­nie, les choses ont com­mencé à chang­er, en par­tie grâce à ces pio­nniers et à d’autres qui se sont réu­nis pour faire pres­sion con­cer­nant l’adop­tion de nou­velles poli­tiques. Les organ­ismes de recherche deman­dent désor­mais aux chercheurs de men­er leurs études à la fois sur des hommes et des femmes. Par exem­ple, en 2009, le gou­verne­ment du Cana­da a mis en œuvre une poli­tique d’analyse fondée sur le sexe et le genre : SGBA Plus (Sex- and Gen­der-Based Analy­sis Plus) ; le Plus inclut l’in­ter­sec­tion du genre avec d’autres vari­ables cul­turelles afin de guider la recherche. Pour les sci­ences biologiques, cela sig­ni­fie que les chercheurs sont désor­mais cen­sés men­er des recherch­es sur les hommes et les femmes. En 2016, l’In­sti­tut nation­al améri­cain de la san­té (Nation­al Insti­tutes of Health) a emboîté le pas et pub­lié la poli­tique « Sex as a Bio­log­i­cal Vari­able » (le sexe en tant que vari­able biologique) en 20161.

Ces poli­tiques ne sont pas infail­li­bles. Un exa­m­en récent des résumés de sub­ven­tions financées par le gou­verne­ment du Cana­da a révélé que seul un faible pour­cent­age (<2 %) des descrip­tions de sub­ven­tions men­tion­nait la recherche en san­té axée sur le sexe ou la femme2. Néan­moins, ces poli­tiques sig­ni­fient que les éval­u­a­teurs sont invités à pren­dre en compte cet aspect lorsqu’ils déci­dent des pro­jets qui seront financés. Je pense que la « vague » va dans la bonne direc­tion. Des recherch­es intéres­santes com­men­cent à émerg­er de ce mou­ve­ment. Alors que de plus en plus de chercheurs s’in­téressent aux dif­férences entre les sex­es, ils remar­quent le plus sou­vent des dif­férences entre les sex­es dans leurs résultats.

Que savons-nous de l’influence des différences entre les sexes sur la santé ?

Les dif­férences entre les sex­es peu­vent influer sur la san­té de nom­breuses manières. Je me con­cen­tr­erai sur la réponse immu­ni­taire, que j’é­tudie. Les femmes ont ten­dance à avoir une réponse immu­ni­taire plus robuste que les hommes. Selon le con­texte, cela peut être une bonne ou une mau­vaise chose. Les femmes, par exem­ple, sont dis­pro­por­tion­nelle­ment plus sus­cep­ti­bles de souf­frir de trou­bles auto-immuns – selon les esti­ma­tions, 78 % des per­son­nes atteintes de mal­adies auto-immunes aux États-Unis sont des femmes3. Les femmes sont égale­ment plus sus­cep­ti­bles de rejeter des greffes d’organes et d’être sujettes à l’asthme après la puberté que les hommes4

À l’in­verse, cette propen­sion à l’in­flam­ma­tion peut s’avér­er pro­tec­trice, par exem­ple dans le con­texte du can­cer. Des études sug­gèrent que les hommes ont presque deux fois plus de risques de mourir d’un can­cer malin que les femmes. Les cel­lules immu­ni­taires féminines pour­raient égale­ment être plus résis­tantes à l’épuisement56. Une série d’ar­ti­cles très médi­atisés pub­liés ces dernières années ont mon­tré que les cel­lules immu­ni­taires féminines avaient ten­dance à rester actives plus longtemps que les cel­lules mas­cu­lines face au can­cer. Il est intéres­sant de not­er qu’une équipe de chercheurs est par­v­enue à mod­i­fi­er la dif­férence entre les sex­es en mod­u­lant les niveaux d’an­drogènes. Il s’ag­it là d’une décou­verte très intéres­sante qui pour­rait chang­er la façon dont les femmes et les hommes atteints de can­cer sont traités.

Les femmes sem­blent égale­ment mieux résis­ter aux  infec­tions que les hommes  et dévelop­pent sou­vent de meilleures répons­es des cel­lules T et des anti­corps à la vac­ci­na­tion7. Les biais mas­culins, quant à eux, sem­blent encour­ager l’ac­tiv­ité des cel­lules T régu­la­tri­ces, qui peu­vent prévenir l’au­to-immu­nité. Les hommes pour­raient égale­ment être plus sus­cep­ti­bles de dévelop­per une autre réponse pro-inflam­ma­toire appelée T helper 17, qui pour­rait jouer un rôle dans le développe­ment de l’hy­per­ten­sion en agis­sant sur les reins et la rate.

Pouvez-vous nous donner un exemple de mécanisme à l’origine de ces différences entre les sexes ?

Il existe des sub­til­ités dans le sys­tème immu­ni­taire qui le ren­dent plus act­if chez les femmes et moins act­if chez les hommes. Un exem­ple, qui a attiré beau­coup d’at­ten­tion récem­ment, est l’ex­pres­sion dif­féren­tielle des gènes du chro­mo­some X chez les hommes et les femmes. Par exem­ple, le récep­teur Toll-like 7 (TLR7), une molécule trans­portée par les cel­lules immu­ni­taires qui détecte les virus, est plus forte­ment exprimé dans cer­taines cel­lules immu­ni­taires féminines. Cela peut s’ex­pli­quer en par­tie par le fait que la plu­part des femmes sont por­teuses de deux copies de ce gène codé par l’X qui est incom­plète­ment réduit au silence : dans la plu­part des cel­lules immu­ni­taires féminines, la deux­ième copie des gènes codés par l’X est réduite au silence. TLR7 sem­ble être une exception. 

Jean-Charles Guery, par exem­ple, a mon­tré que les cel­lules den­dri­tiques plas­ma­cy­toïdes femelles pro­duisent plus d’in­ter­férons de type I que les cel­lules mâles. Cela s’ex­plique en par­tie par le fait que les femelles ont des niveaux d’ex­pres­sion plus élevés de ce TLR7. Et si je devais choisir une cytokine pour lut­ter con­tre les virus, je dirais les inter­férons de type I. Cette décou­verte explique donc pourquoi le sys­tème immu­ni­taire inné des femmes réag­it plus forte­ment con­tre les virus. Il existe égale­ment des preuves que l’œstra­di­ol, une hor­mone plus élevée chez les femmes que chez les hommes, peut activ­er cette même voie, ce qui souligne la com­plex­ité de cette régulation.

À l’in­verse, les androgènes comme la testostérone sup­pri­ment générale­ment la réponse immu­ni­taire en se liant au récep­teur des androgènes sur divers­es cel­lules immu­ni­taires, notam­ment les macrophages, les neu­trophiles, les lym­pho­cytes B et cer­tains lym­pho­cytes T8

Ces biais sexuels peuvent également agir sur la neurodégénérescence, n’est-ce pas ?

Oui, c’est exact. Deux tiers des Améri­cains atteints de la mal­adie d’Alzheimer sont des femmes. À l’âge de 45 ans, le risque de démence lié à la mal­adie d’Alzheimer est env­i­ron deux fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Cela s’ex­plique en par­tie par le fait qu’elles vivent plus longtemps, mais les dif­férences entre les sex­es pour­raient égale­ment jouer un rôle9.

Par exem­ple, Mari­na Lynch et ses col­lègues ont con­staté de nettes dif­férences entre les sex­es au niveau de la microglie. On pense que ces cel­lules présentes dans le cerveau pour­raient aider à con­trôler le développe­ment des plaques amy­loïdes. Nous ne com­prenons pas encore tout à fait les mécan­ismes qui con­duisent à la mal­adie d’Alzheimer. Mais une chose très claire ressort des recherch­es récentes : la microglie fémi­nine sem­ble moins bien lut­ter con­tre la for­ma­tion des plaques d’amyloïde. 

Quelles sont les prochaines étapes dans ce domaine de recherche ?

Lorsque nous par­lons de dif­férences entre les sex­es, nous enten­dons la manière dont la san­té est influ­encée par les chro­mo­somes sex­uels – la com­bi­nai­son la plus courante étant XX ou XY – et tous les événe­ments en cas­cade qui en découlent, comme la for­ma­tion des gonades et les dif­férents niveaux de stéroïdes sexuels. 

La prochaine grande étape con­sis­tera à mieux appréhen­der les dif­férences liées au sexe. Cer­taines études humaines ont au moins com­mencé à enreg­istr­er l’i­den­tité de genre, ce qui est cer­taine­ment un pas en avant. Nous com­mençons égale­ment à voir des études por­tant sur l’in­flu­ence de l’hor­monothérapie, admin­istrée dans le cadre de la prise en charges des per­son­nes trans­gen­res, sur le sys­tème immu­ni­taire et d’autres organes. Mais pour com­pren­dre pleine­ment l’in­flu­ence du genre sur la san­té, nous devons avoir une appré­ci­a­tion plus com­plète de ce que sig­ni­fie le genre, ce qui implique de le plac­er dans un con­texte plus large de cul­ture, de reli­gion, d’eth­nic­ité, etc. De plus, l’i­den­ti­fi­ca­tion des fac­teurs qui suiv­ent des mil­liers de par­tic­i­pants peut réelle­ment aider à mieux com­pren­dre l’analyse basée sur le genre.

Par exem­ple, le fait d’être une femme peut avoir une sig­ni­fi­ca­tion dif­férente en fonc­tion du con­texte cul­turel, religieux et socié­tal. Ain­si, une femme céli­bataire, dis­posant d’un revenu élevé mais d’un emploi peu stres­sant, pou­vant s’of­frir une ali­men­ta­tion saine et de qual­ité et pra­ti­quant quo­ti­di­en­nement le yoga, peut avoir un état de san­té très dif­férent de celui d’une femme stressée essayant de met­tre de la nour­ri­t­ure sur la table et de s’oc­cu­per de ses six enfants et de ses par­ents âgés. De même, le con­texte cul­turel d’un homme peut sig­ni­fi­er qu’il est plus con­traint que d’autres ou non, par exem­ple s’il doit sub­venir aux besoins de sa pro­pre famille, mais égale­ment à ceux de sa famille élargie, cela implique plus de stress et d’ex­po­si­tion à des fac­teurs liés au tra­vail. C’est là qu’in­ter­vi­en­nent les grandes études de san­té publique qui com­men­cent à mesur­er ces facteurs. 

Un autre grand défi dans ce domaine sera de com­pren­dre com­ment le sexe influ­ence la réponse au traite­ment. Je pense que la plu­part des per­son­nes qui étu­di­ent les dif­férences entre les sex­es com­men­cent à com­pren­dre que le corps d’une femme est dif­férent de celui d’un homme, mais cela ne s’est pas encore réper­cuté sur les soins clin­iques et, dans la plu­part des cas, tout le monde reçoit les mêmes médica­ments. Les femmes ont égale­ment été his­torique­ment sous-représen­tées dans les essais clin­iques, notam­ment à la suite de la recom­man­da­tion de 1977 de la Food and Drug Admin­is­tra­tion améri­caine qui demandait d’ex­clure les femmes en âge de pro­créer. Les essais clin­iques doivent être mieux adap­tés pour mesur­er les effets des médica­ments et des traite­ments sur les hommes et les femmes.

Marianne Guenot
1https://​orwh​.od​.nih​.gov/​s​e​x​-​g​e​n​d​e​r​/​o​r​w​h​-​m​i​s​s​i​o​n​-​a​r​e​a​-​s​e​x​-​g​e​n​d​e​r​-​i​n​-​r​e​s​e​a​r​c​h​/​n​i​h​-​p​o​l​i​c​y​-​o​n​-​s​e​x​-​a​s​-​b​i​o​l​o​g​i​c​a​l​-​v​a​r​iable
2https://​orwh​.od​.nih​.gov/​s​e​x​-​g​e​n​d​e​r​/​o​r​w​h​-​m​i​s​s​i​o​n​-​a​r​e​a​-​s​e​x​-​g​e​n​d​e​r​-​i​n​-​r​e​s​e​a​r​c​h​/​n​i​h​-​p​o​l​i​c​y​-​o​n​-​s​e​x​-​a​s​-​b​i​o​l​o​g​i​c​a​l​-​v​a​r​iable
3https://​pubmed​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​9​2​8​1381/
4https://www.nature.com/articles/s41467-022–35742‑z
5https://​www​.nature​.com/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​n​r​i​.​2​0​16.90
6https://​www​.sci​ence​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​1​2​6​/​s​c​i​i​m​m​u​n​o​l​.​a​b​q2630
7https://​www​.nature​.com/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​n​r​i​.​2​0​16.90
8https://​pubmed​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​3​7​9​9​3681/
9https://​www​.alz​.org/​m​e​d​i​a​/​d​o​c​u​m​e​n​t​s​/​a​l​z​h​e​i​m​e​r​s​-​f​a​c​t​s​-​a​n​d​-​f​i​g​u​r​e​s.pdf

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