Accueil / Chroniques / Les avancées en médecine permettent-elles de guérir du VIH ?
π Santé et biotech

Les avancées en médecine permettent-elles de guérir du VIH ?

Tania Louis
Tania Louis
docteure en biologie et chroniqueuse chez Polytechnique Insights 
En bref
  • On peut vivre avec le VIH mais pas en guérir, car il fait partie de la famille des rétrovirus, qui sont capables d’insérer leur matériel génétique dans celui des cellules qu’ils infectent.
  • Pourtant, 3 rares cas de guérison apparente existent, à chaque fois grâce à une greffe de moëlle osseuse dans le but de soigner leucémie ou lymphome.
  • Mais la greffe de moëlle osseuse n’est pas un traitement généralisable : elle présente beaucoup de risques ; reste difficile à mettre en place et ne garantit pas la rémission.
  • La quête d’un vaccin efficace reste compliquée à cause des capacités d’adaptation virales : tous les essais cliniques n’ont pas été concluants.
  • À défaut de pouvoir guérir du VIH, on peut diminuer les risques de l’attraper avec la prophylaxie pré-exposition ou vivre avec, sans être contagieux, avec les traitements adaptés.

Éclip­sé depuis 2020 par le SARS-CoV­‑2, le VIH, Virus de l’Immunodéficience Humaine, est respon­s­able d’une pandémie qui dure depuis plus de quar­ante ans et qui a déjà provo­qué env­i­ron 40 mil­lions de décès. Nous avons fait le point dans un précé­dent arti­cle sur la sit­u­a­tion actuelle du syn­drome d’immunodéficience acquise (sida) dans le monde et sur les pro­grès des traite­ments et approches préven­tives. Une pub­li­ca­tion parue en févri­er dernier dans la revue Nature, décrivant un patient man­i­feste­ment débar­rassé du VIH1, a remis une ques­tion fon­da­men­tale sur le devant de la scène : peut-on guérir du VIH ?

Greffes de moëlle et VIH

Les trithérapies font aujourd’hui du sida une mal­adie chronique : on peut vivre avec le VIH, mais pas en guérir. C’est dû à une spé­ci­ficité des rétro­virus, la famille dont le VIH fait par­tie, qui sont capa­bles d’insérer leur matériel géné­tique dans celui des cel­lules qu’ils infectent. Le génome viral peut donc rester tapi dans l’organisme et relancer la pro­liféra­tion du virus en cas d’arrêt du traite­ment. Ce réser­voir viral per­sis­tant fait l’objet de nom­breux travaux de recherche et, si on le con­nait de mieux en mieux2, il reste impos­si­ble de l’éliminer effi­cace­ment. À quelques très rares excep­tions près. 

Recon­sti­tu­tion 3D de par­tic­ules virales de VIH.

Il est tou­jours déli­cat de par­ler de guéri­son dans le cas de mal­adies con­nues pour être per­sis­tantes, comme les can­cers ou le sida. Même si aucune trace de la patholo­gie n’est détec­tée pen­dant de longues péri­odes, rien ne garan­tit que ce soit défini­tif. Les spé­cial­istes préfèrent générale­ment le terme de rémis­sion et n’utilisent celui de guéri­son qu’au bout d’une péri­ode con­sid­érée comme assez longue, dont la durée est for­cé­ment arbi­traire et varie selon les cas.

Reste que trois patients ont été présen­tés comme « guéris » du VIH, avec des par­cours thérapeu­tiques assez sim­i­laires. Le pre­mier, Tim­o­thy Brown, est con­nu comme le « patient de Berlin »3. Ayant dévelop­pé une leucémie, il a été traité avec une greffe de moëlle osseuse en 2007 pour rem­plac­er ses cel­lules san­guines. En l’absence de VIH détectable, sa trithérapie a été stop­pée en 2008 et aucun rebond viral n’a été observé jusqu’à son décès en 20204. Une dizaine d’années plus tard, en 2016, Adam Castille­jo, le « patient de Lon­dres », a subi une greffe de moëlle pour soign­er un lym­phome. Son traite­ment anti-VIH a été stop­pé l’année suiv­ante et, après plus de cinq ans, l’infection n’a tou­jours pas repris5. Depuis févri­er dernier, l’anonyme « patient de Düs­sel­dorf » allonge cette liste ! Ayant subi une greffe de moëlle en 2013 pour lut­ter con­tre une leucémie, son traite­ment antirétro­vi­ral a été arrêté en 2018, sans reprise de la mal­adie depuis. Pour com­pren­dre com­ment ces greffes ont per­mis de con­trôler le VIH, il faut faire un petit peu de biolo­gie moléculaire.

Les quelques cas de guéri­son du VIH restent plus intéres­sants pour la recherche que directe­ment promet­teurs pour les patients.

Pour infecter une cel­lule, le VIH a besoin d’y entr­er. Cela néces­site que la pro­téine d’enveloppe présente en sur­face du virus, qu’on peut con­sid­ér­er comme une clé molécu­laire, ren­con­tre les bonnes ser­rures. La prin­ci­pale est le récep­teur CD4, présent notam­ment sur les lym­pho­cytes T4. Mais ce n’est pas la seule, un co-récep­teur est égale­ment impliqué : il peut s’agir de la pro­téine CXCR4 ou de la pro­téine CCR5. Or les don­neurs de moëlle sélec­tion­nés pour les greffes des patients de Berlin, Lon­dres et Düs­sel­dorf avaient été soigneuse­ment choi­sis : en plus d’être com­pat­i­bles avec les receveurs, tous pos­sé­daient une muta­tion du gène codant la pro­téine CCR5. Appelée Δ32, celle-ci empêche l’entrée du VIH dans les cel­lules. Après leurs greffes, les sys­tèmes immu­ni­taires des trois patients se sont recon­stru­its à par­tir de moëlle por­tant cette muta­tion, et le VIH présent dans leurs organ­ismes s’est retrou­vé face à une porte close.

Un traitement d’exception

L’idée de pou­voir guérir le VIH est ent­hou­si­as­mante. Néan­moins, plusieurs lim­ites empêchent cette approche par greffe de moëlle de con­stituer un traite­ment général­is­able. La pre­mière : la procé­dure médi­cale est extrême­ment lourde, peut entraîn­er des décès dans env­i­ron 10 % des cas et a des effets sec­ondaires con­séquents. Son util­i­sa­tion est légitime en dernier recours dans le cas d’un can­cer résis­tant aux traite­ments, mais, en ce qui con­cerne le VIH, la bal­ance béné­fice-risque des trithérapies est indis­cutable­ment meilleure. 

Par ailleurs, pour pou­voir effectuer une telle greffe, il faut trou­ver un don­neur com­pat­i­ble (ce qui est déjà déli­cat, comme le rap­pel­lent les cam­pagnes d’appel au don de moëlle6) qui soit aus­si por­teur de la muta­tion Δ32. Or celle-ci est rare. Sa fréquence varie selon les pop­u­la­tions mais, au mieux, elle n’est présente que chez env­i­ron une per­son­ne sur cent : une vraie per­le rare. Une alter­na­tive con­siste à pro­duire un gref­fon mixte, issu de cel­lules souch­es de cor­don ombil­i­cal et d’un don, tous deux par­tielle­ment com­pat­i­bles. Cette approche a été util­isée en 2017 pour traiter une femme métisse por­teuse du VIH et souf­frant d’une leucémie. En mars 2023, il a été annon­cé que le virus demeure indé­tectable dans son organ­isme alors que son traite­ment a été arrêté il y a plus de deux ans7. Cette rémis­sion devien­dra peut-être une guérison !

Enfin, même si cela a moins d’écho dans les médias, tous les patients ayant reçu des greffes de moëlles por­teuses de la muta­tion Δ32 n’ont pas guéri du VIH. Qu’il s’agisse de soucis liés à la greffe et au can­cer con­tre lequel elle devait per­me­t­tre de lut­ter8 ou d’adaptations du virus pour se pass­er de CCR5 en util­isant plutôt le co-récep­teur CXCR49, la réus­site est loin d’être systématique. 

Les quelques cas de guéri­son du VIH réper­toriés à ce jour restent donc plus intéres­sants pour la recherche que directe­ment promet­teurs pour les patients, tout comme ceux des quelques per­son­nes qui sem­blent naturelle­ment capa­bles de maîtris­er ce virus10. La quête d’un vac­cin effi­cace est quant à elle com­pliquée par les capac­ités d’adaptation virales : tous les can­di­dats promet­teurs ont fini par être déce­vants lors des essais clin­iques de phase 3, comme le rap­pelle l’arrêt récent de l’essai Mosaico11. Mais, à défaut de pou­voir guérir du VIH, nous sommes loin d’être dému­nis face à ce virus ! La pro­phy­lax­ie pré-expo­si­tion, ou PreP, dimin­ue con­sid­érable­ment les risques de l’attraper12 et les traite­ments per­me­t­tent aujourd’hui de vivre avec ce virus, sans être con­tagieux13

Quelques sites utiles pour s’informer sur le VIH/sida : 

https://​www​.unaids​.org/fr

https://​www​.aides​.org/

https://​vih​.org

https://​www​.sida​-info​-ser​vice​.org

https://​www​.sidac​tion​.org/

1https://www.nature.com/articles/s41591-023–02213‑x
2https://​www​.sci​encedi​rect​.com/​s​c​i​e​n​c​e​/​a​r​t​i​c​l​e​/​p​i​i​/​S​1​8​7​9​6​2​5​7​2​3​0​00019
3https://​www​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​p​m​c​/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​P​M​C​4​2​8​7108/
4https://​www​.nejm​.org/​d​o​i​/​f​u​l​l​/​1​0​.​1​0​5​6​/​N​E​J​M​o​a​0​8​02905
5https://www.thelancet.com/journals/lanhiv/article/PIIS2352-3018(20)30069–2/fulltext
6https://​www​.don​de​moelleosseuse​.fr/
7https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(23)00173–3
8https://​pubmed​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​2​6​4​2​3196/
9https://​aca​d​e​m​ic​.oup​.com/​c​i​d​/​a​r​t​i​c​l​e​/​6​8​/​4​/​6​8​4​/​5​0​55336
10https://​www​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​p​m​c​/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​P​M​C​6​8​1​6117/
11https://​www​.aidsmap​.com/​n​e​w​s​/​f​e​b​-​2​0​2​3​/​m​o​s​a​i​c​o​-​t​r​i​a​l​-​c​l​o​s​u​r​e​-​s​h​i​f​t​s​-​v​a​c​c​i​n​e​-​f​o​c​u​s​-​n​e​u​t​r​a​l​i​s​i​n​g​-​a​n​t​i​b​odies
12https://​www​.aides​.org/prep
13https://​www​.cdc​.gov/​h​i​v​/​r​i​s​k​/​a​r​t​/​e​v​i​d​e​n​c​e​-​o​f​-​h​i​v​-​t​r​e​a​t​m​e​n​t​.html

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter