Les algorithmes, un outil majeur dans la quête du « bien vieillir »
- Depuis les années 60, l’espérance de vie humaine croît rapidement, mais les années gagnées ne riment pas toujours avec « bonne qualité de vie ».
- Simultanément à cette transition démographique, le dérèglement climatique pèsera sur une population humaine, fragilisée par l’âge.
- La « bonne santé » se définit par le maintien de bonnes capacités fonctionnelles, c’est-à-dire un environnement de vie adapté cumulé à de bonnes capacités intrinsèques.
- Des programmes numériques tels qu’ICOPE entendent prévenir la dépendance des personnes âgées pour leur assurer une bonne qualité de vie.
- Ces outils de médecine digitale, permettent un parcours de soin personnalisé et recentré sur le patient.
On constate aujourd’hui une augmentation rapide de l’espérance de vie. Entre les années 60 et le début du 21ème siècle, la population a gagné environ 20 ans de longévité. Toutefois, ces années supplémentaires ne riment pas toujours avec « bonne qualité de vie ». Même si les « gérosciences » et les progrès de la médecine permettent de mieux appréhender les signes de l’âge, l’enjeu aujourd’hui est de « bien vieillir ». Pour ce faire, l’utilisation du numérique s’avère une réelle opportunité. L’algorithmique, déjà utilisée pour prévenir la survenue des cancers ou pour prédire les risques épidémiques, peut dorénavant aider à anticiper la dépendance et les pathologies liées à l’âge.
Médecine digitale : un programme innovant
Le programme numérique ICOPE (Integrated Care for Older People)1, conçu par l’OMS, est déployé depuis 2019 en France. Pour la première fois, un dispositif expérimental teste une nouvelle approche préventive, en ciblant la capacité intrinsèque des patients au-delà de 60 ans. En auto-évaluation, ou accompagné d’un aidant professionnel ou non, on évalue à partir de tests simples six domaines essentiels dans la quête d’une bonne qualité de vie :
- Locomotion
- État nutritionnel
- Santé mentale
- Cognition
- Audition
- Vision
Si l’une d’elles s’avère restreinte, le personnel médical formé fait une évaluation clinique plus détaillée et élabore, au besoin, un parcours de soins personnalisé sur le long terme. Les soins proposés sont divers (soutiens social, aménagement du domicile, kinésithérapie, adaptation thérapeutique…) et varient selon les pathologies.
ICOPE, qui est né en Occitanie, est en plein déploiement national. Aujourd’hui 42 000 séniors testent ce programme, ce qui permettra, à terme, d’établir des normes de référence pour les pathologies liées au vieillissement. Le programme est accessible sous la forme d’une application (ICOPE MONITOR) et d’un robot conversationnel (ICOPE BOT). Grâce à cela, la personne âgée, autonome et vivant à domicile s’implique activement dans le renforcement ou la préservation de sa capacité intrinsèque. En parallèle, près de 10 000 professionnels de santé qui ont été formés à répondre aux alertes.
Avec ce dispositif déployé depuis cinq ans, l’OMS modifie la définition de la bonne santé. Être une personne en bonne santé c’est avant tout le maintien de bonnes capacités fonctionnelles. Ce maintien résulte d’un environnement de vie adapté combiné à une bonne capacité intrinsèque, c’est-à-dire le maintien des domaines sensorielles, psychologiques, nutritionnels, moteurs et cognitifs. Selon les experts en gériatrie, ces paramètres conditionnent fortement le vieillissement en santé. Leur préservation retarde l’entrée dans la dépendance et donc favorise le maintien d’une bonne qualité de vie.
ICOPE est un programme adaptatif. Il continue d’être ajusté et déployé selon les observations théoriques et pratiques. Jusque-ici ce programme a prouvé que la médecine numérique permet de repérer précocement les déterminants de la fragilité pour intervenir tôt avec un parcours de soin intégré et personnalisé.
De la prise en charge de la dépendance à sa prévention
Comparée aux autres médecines, la médecine gériatrique a une approche qui lui est propre. Tandis que l’on cherche habituellement une pathologie unique, en gériatrie, une variété de symptômes découle souvent de multiples facteurs associés à l’âge (isolement, dépressions, malnutrition, etc.). L’objectif de cet outil numérique innovant est de replacer le patient au cœur du parcours de soin. On ne prend plus uniquement en charge les maladies, mais le patient dans son entièreté.
De l’observation à l’innovation
C’est dans les années 80 que le docteur Laurence Z. Rubenstein impulse cette idée. Voyant ses patients reconsulter peu de temps après leur prise en charge, il soupçonne une faille dans le système de santé. Il publie donc en 1984 dans the New England Journal of Medecine les résultats prometteurs de son étude. La mise en place d’une évaluation globale de ses patients, qu’importe la pathologie qui les amenait, permettait de prévenir leur déclin fonctionnel et de préserver leur autonomie. Ce projet (réalisé sur un échantillon de 200 personnes âgées) est confirmé 10 ans plus tard par une première méta-analyse. Progressivement, une prise de conscience collective s’opère : notre système de santé n’est pas adapté aux personnes âgées, qui nécessitent une prise en charge globale et individualisée.
Environ 10 % des personnes âgées perdent de l’autonomie lors d’une hospitalisation. Pour assurer une fin de vie qualitative, traiter les maladies ne suffit pas. En faisant entrer la médecine digitale dans les parcours de soins (via des dispositifs comme ICOPE), l’OMS a différents objectifs : réduire les hospitalisations et leurs coûts, retarder les entrées en maison de retraite et prévenir le déclin fonctionnel.
La menace simultanée de deux grandes transitions
« Il faut aborder la problématique des personnes âgées avec une approche plus globale », assure Yves Rolland. La population mondiale vieillit rapidement. Selon l’OMS d’ici 2050 le nombre de personnes d’au moins 80 ans devrait tripler. Cette transition démographique promet de bouleverser le monde à plusieurs niveaux, à commencer par le secteur de la santé. Simultanément à l’augmentation des besoins d’une population vieillissante, le nombre de soignants promet de diminuer fortement d’ici une vingtaine d’années. S’additionne à cela une menace d’ordre environnemental. Le dérèglement climatique, déjà bien avancé, pèsera sur une population humaine fragilisée par l’âge.
Avec cette concordance des menaces, la prévention en santé devient une nécessité vitale. Il est primordial de réorganiser le système de soin, de le rendre plus accessible et de multiplier nos efforts en communication préventive. Les efforts ne devront pas se restreindre au secteur hospitalier, mais s’étendre aux disciplines plus « universitaires ». On parle de prévention en « santé-bio-clinico-socio-environnement ». En clair, assurer le « bien vieillir » requiert le maintien de la santé et de l’autonomie via des disciplines variées : la méditation, le sport, l’alimentation, la psychologie, etc. Le but étant de toucher une large population, principalement la plus éloignée du système de santé.