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Les algorithmes, un outil majeur dans la quête du « bien vieillir »

Etienne Minvielle
Etienne Minvielle
directeur du Centre de recherche en gestion de l'École polytechnique (IP Paris)
Yves Rolland
Yves Rolland
professeur de médecine interne et de gériatrie au Gérontopôle de Toulouse
Olivier Guérin
Olivier Guerin
professeur à l'Université Côte d'Azur et membre du conseil scientifique du Président de la république
En bref
  • Depuis les années 60, l’espérance de vie humaine croît rapidement, mais les années gagnées ne riment pas toujours avec « bonne qualité de vie ».
  • Simultanément à cette transition démographique, le dérèglement climatique pèsera sur une population humaine, fragilisée par l’âge.
  • La « bonne santé » se définit par le maintien de bonnes capacités fonctionnelles, c’est-à-dire un environnement de vie adapté cumulé à de bonnes capacités intrinsèques.
  • Des programmes numériques tels qu’ICOPE entendent prévenir la dépendance des personnes âgées pour leur assurer une bonne qualité de vie.
  • Ces outils de médecine digitale, permettent un parcours de soin personnalisé et recentré sur le patient.

On con­state aujourd’hui une aug­men­ta­tion rapi­de de l’espérance de vie. Entre les années 60 et le début du 21ème siè­cle, la pop­u­la­tion a gag­né env­i­ron 20 ans de longévité. Toute­fois, ces années sup­plé­men­taires ne riment pas tou­jours avec « bonne qual­ité de vie ». Même si les « géro­sciences » et les pro­grès de la médecine per­me­t­tent de mieux appréhen­der les signes de l’âge, l’enjeu aujourd’hui est de « bien vieil­lir ». Pour ce faire, l’utilisation du numérique s’avère une réelle oppor­tu­nité. L’algorithmique, déjà util­isée pour prévenir la sur­v­enue des can­cers ou pour prédire les risques épidémiques, peut doré­na­vant aider à anticiper la dépen­dance et les patholo­gies liées à l’âge.

Médecine digitale : un programme innovant

Le pro­gramme numérique ICOPE (Inte­grat­ed Care for Old­er Peo­ple)1, conçu par l’OMS, est déployé depuis 2019 en France. Pour la pre­mière fois, un dis­posi­tif expéri­men­tal teste une nou­velle approche préven­tive, en ciblant la capac­ité intrin­sèque des patients au-delà de 60 ans. En auto-éval­u­a­tion, ou accom­pa­g­né d’un aidant pro­fes­sion­nel ou non, on éval­ue à par­tir de tests sim­ples six domaines essen­tiels dans la quête d’une bonne qual­ité de vie :

  • Loco­mo­tion
  • État nutri­tion­nel
  • San­té mentale
  • Cog­ni­tion
  • Audi­tion
  • Vision

Si l’une d’elles s’avère restreinte, le per­son­nel médi­cal for­mé fait une éval­u­a­tion clin­ique plus détail­lée et éla­bore, au besoin, un par­cours de soins per­son­nal­isé sur le long terme. Les soins pro­posés sont divers (sou­tiens social, amé­nage­ment du domi­cile, kinésithérapie, adap­ta­tion thérapeu­tique…) et vari­ent selon les pathologies.

ICOPE, qui est né en Occ­i­tanie, est en plein déploiement nation­al. Aujourd’hui 42 000 séniors tes­tent ce pro­gramme, ce qui per­me­t­tra, à terme, d’établir des normes de référence pour les patholo­gies liées au vieil­lisse­ment. Le pro­gramme est acces­si­ble sous la forme d’une appli­ca­tion (ICOPE MONITOR) et d’un robot con­ver­sa­tion­nel (ICOPE BOT). Grâce à cela, la per­son­ne âgée, autonome et vivant à domi­cile s’implique active­ment dans le ren­force­ment ou la préser­va­tion de sa capac­ité intrin­sèque. En par­al­lèle, près de 10 000 pro­fes­sion­nels de san­té qui ont été for­més à répon­dre aux alertes.

Avec ce dis­posi­tif déployé depuis cinq ans, l’OMS mod­i­fie la déf­i­ni­tion de la bonne san­té. Être une per­son­ne en bonne san­té c’est avant tout le main­tien de bonnes capac­ités fonc­tion­nelles. Ce main­tien résulte d’un envi­ron­nement de vie adap­té com­biné à une bonne capac­ité intrin­sèque, c’est-à-dire le main­tien des domaines sen­sorielles, psy­chologiques, nutri­tion­nels, moteurs et cog­ni­tifs. Selon les experts en géri­a­trie, ces paramètres con­di­tion­nent forte­ment le vieil­lisse­ment en san­té. Leur préser­va­tion retarde l’entrée dans la dépen­dance et donc favorise le main­tien d’une bonne qual­ité de vie.

ICOPE est un pro­gramme adap­tatif. Il con­tin­ue d’être ajusté et déployé selon les obser­va­tions théoriques et pra­tiques. Jusque-ici ce pro­gramme a prou­vé que la médecine numérique per­met de repér­er pré­co­ce­ment les déter­mi­nants de la fragilité pour inter­venir tôt avec un par­cours de soin inté­gré et personnalisé.

De la prise en charge de la dépendance à sa prévention

Com­parée aux autres médecines, la médecine géri­a­trique a une approche qui lui est pro­pre. Tan­dis que l’on cherche habituelle­ment une patholo­gie unique, en géri­a­trie, une var­iété de symp­tômes découle sou­vent de mul­ti­ples fac­teurs asso­ciés à l’âge (isole­ment, dépres­sions, mal­nu­tri­tion, etc.). L’objectif de cet out­il numérique inno­vant est de replac­er le patient au cœur du par­cours de soin. On ne prend plus unique­ment en charge les mal­adies, mais le patient dans son entièreté. 

De l’observation à l’innovation

C’est dans les années 80 que le doc­teur Lau­rence Z. Ruben­stein impulse cette idée. Voy­ant ses patients recon­sul­ter peu de temps après leur prise en charge, il soupçonne une faille dans le sys­tème de san­té. Il pub­lie donc en 1984 dans the New Eng­land Jour­nal of Medecine les résul­tats promet­teurs de son étude. La mise en place d’une éval­u­a­tion glob­ale de ses patients, qu’importe la patholo­gie qui les ame­nait, per­me­t­tait de prévenir leur déclin fonc­tion­nel et de préserv­er leur autonomie. Ce pro­jet (réal­isé sur un échan­til­lon de 200 per­son­nes âgées) est con­fir­mé 10 ans plus tard par une pre­mière méta-analyse. Pro­gres­sive­ment, une prise de con­science col­lec­tive s’opère : notre sys­tème de san­té n’est pas adap­té aux per­son­nes âgées, qui néces­si­tent une prise en charge glob­ale et individualisée.

Env­i­ron 10 % des per­son­nes âgées per­dent de l’autonomie lors d’une hos­pi­tal­i­sa­tion. Pour assur­er une fin de vie qual­i­ta­tive, traiter les mal­adies ne suf­fit pas. En faisant entr­er la médecine dig­i­tale dans les par­cours de soins (via des dis­posi­tifs comme ICOPE), l’OMS a dif­férents objec­tifs : réduire les hos­pi­tal­i­sa­tions et leurs coûts, retarder les entrées en mai­son de retraite et prévenir le déclin fonctionnel.

La menace simultanée de deux grandes transitions

« Il faut abor­der la prob­lé­ma­tique des per­son­nes âgées avec une approche plus glob­ale », assure Yves Rol­land. La pop­u­la­tion mon­di­ale vieil­lit rapi­de­ment. Selon l’OMS d’ici 2050 le nom­bre de per­son­nes d’au moins 80 ans devrait tripler. Cette tran­si­tion démo­graphique promet de boule­vers­er le monde à plusieurs niveaux, à com­mencer par le secteur de la san­té. Simul­tané­ment à l’augmentation des besoins d’une pop­u­la­tion vieil­lis­sante, le nom­bre de soignants promet de dimin­uer forte­ment d’ici une ving­taine d’années. S’additionne à cela une men­ace d’ordre envi­ron­nemen­tal. Le dérè­gle­ment cli­ma­tique, déjà bien avancé, pèsera sur une pop­u­la­tion humaine frag­ilisée par l’âge.

Avec cette con­cor­dance des men­aces, la préven­tion en san­té devient une néces­sité vitale. Il est pri­mor­dial de réor­gan­is­er le sys­tème de soin, de le ren­dre plus acces­si­ble et de mul­ti­pli­er nos efforts en com­mu­ni­ca­tion préven­tive. Les efforts ne devront pas se restrein­dre au secteur hos­pi­tal­ier, mais s’étendre aux dis­ci­plines plus « uni­ver­si­taires ». On par­le de préven­tion en « san­té-bio-clin­i­co-socio-envi­ron­nement ». En clair, assur­er le « bien vieil­lir » requiert le main­tien de la san­té et de l’autonomie via des dis­ci­plines var­iées : la médi­ta­tion, le sport, l’alimentation, la psy­cholo­gie, etc. Le but étant de touch­er une large pop­u­la­tion, prin­ci­pale­ment la plus éloignée du sys­tème de santé.

Loraine Odot
1Soins inté­grés pour les per­son­nes âgées

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