La Covid-19 n’est pas une maladie des villes
Que peut-on dire de la crise du Covid-19 d’un point de vue démographique ?
Dans Serons-nous submergés ?, livre que j’ai publié en octobre, j’ai étudié le déroulement de la première vague en France, Suisse, Italie et Espagne, au niveau départemental, cantonal et provincial, jour après jour. Dans ces quatre pays, la dynamique n’est pas sociale mais géographique. Certes, comme le montrent de nombreuses études, les immigrés et les pauvres courent un risque de décès plus important que le reste de la population. Mais ce n’est pas à cause de leur origine ou de leurs revenus, mais en raison de leur proximité avec le virus : ils travaillent dans les hôpitaux, ils sont caissiers, livreurs, chauffeurs de taxis. C’est pour cette raison qu’ils sont plus atteints. Le virus n’est pas capable de reconnaitre un immigré d’un non-immigré, ni d’estimer les revenus. Il va au plus proche et c’est ce plus proche que la géographie permet d’appréhender.
On a beaucoup parlé de « maladie des villes ». Pourtant, parmi les facteurs de diffusion importants, vous écartez la densité.
En comparant la mortalité due au Covid-19 du 1er mars au 15 mai 2020 et la densité des départements français, on constate des différences énormes. Sur cette période, le risque de décès dans le Territoire de Belfort (1,18 pour 1 000 habitants, voir ci-dessous) est 170 fois plus élevé qu’en Ariège (0,007 pour 1 000). La densité n’est donc pas un facteur de propagation du virus à grande échelle. Ce qui compte, c’est l’apparition des “clusters” qui sont au départ le fait d’un seul individu. Plus il contamine de personnes avant que l’on ne s’en rende compte, plus il devient difficile de contenir l’épidémie. C’est ce qui s’est produit avec la seconde vague, mais les différences de mortalité restent cependant considérables, du simple au décuple.
Le « patient zéro » apparait aussi bien en ville qu’à la campagne. En France, ça a été à Mulhouse et à Ajaccio, mais aussi à Auray, Creil et dans un village savoyard, les Contamines Montjoie. La densité joue une fois que l’épidémie se diffuse, mais au départ elle n’a pas d’impact. La seule chose que l’on peut avancer est que le patient zéro est un voyageur. Il apparait donc plus souvent à proximité des grands hubs internationaux (Genève, Milan, Roissy, New-York, etc.), mais s’il se rend aussitôt aux alentours, c’est là que le cluster se développe : Crépy en Valois, La Bastide Montjoie, Bergame. La même observation a été faite dans le cas des débuts de l’épidémie du sida.
Le contrôle de l’épidémie est donc avant tout un contrôle des déplacements, ce qui a été le cas avec les confinements. Après une croissance exponentielle des cas dans les premiers clusters, que ce soit à Mulhouse, Auray ou Milan, la première vague a été contenue. Elle n’a pratiquement pas franchi la Loire, ni n’est parvenue en Andalousie ou en Italie du sud. La mortalité a ainsi été trente fois plus élevée à Milan qu’à Naples. Cela rappelle le rôle des lignes de soldats déployées pendant la dernière peste française, celle de 1721 à Marseille, où, par ce moyen, l’épidémie n’a pas dépassé la Provence.
Revenons aux critères sociaux. Lesquels avez-vous retenus pour votre étude ?
Dans chacun des pays de l’étude, la mortalité par Covid-19 a été comparée à quatre indicateurs : la densité, la pauvreté, la part des immigrés dans la population et la proportion des plus de 70 ans. Les distributions géographiques de ces quatre facteurs ne donnent aucun renseignement sur la répartition des décès. Les cartes sont éloquentes. Cela tient au fait que la première vague a été contenue dans les quatre pays étudiés.
Qu’en est-il de la deuxième vague ?
Paradoxalement, la deuxième vague est la conséquence du déconfinement. Le nombre de cas constatés chaque jour à partir de la fin juin était très faible. Mais pour les deux tiers, les nouveaux malades étaient jeunes (de 15 à 49 ans). Beaucoup d’entre eux n’ont pas été constatés car ils étaient asymptomatiques. Avec les déplacements liés aux congés annuels, ils ont propagé la maladie dans toute la France et ont aussi contaminé les générations plus âgées, particulièrement les grands-parents.
En octobre, la France s’est ainsi retrouvée avec une multitude de clusters que, à l’exception de celui de la Mayenne, elle n’a pas pu gérer comme elle l’avait fait pour ceux d’Ajaccio, d’Auray et des Contamines-Montjoie. Dès lors, l’épidémie s’est étendue à la manière de ce qui s’était produit dans les deux gros clusters de la première vague, Creil et Mulhouse.
Les précautions étant plus pratiquées et les soins s’étant améliorés, elle a cependant progressé moins vite. Sa généralisation à presque tout le territoire produit de nouvelles différenciations sociales liées à l’histoire de la première vague : certains groupes se protègent plus que d’autres comme le montrent les débats sur l’usage du masque. Toutefois, les différences territoriales demeurent non négligeables : entre la Bretagne maritime et la région lyonnaise, le taux d’incidence et celui de létalité varient de 1 à 10.
Comme dans le cas de la première vague, le nouveau confinement qui instaure une interdiction de circuler conservera sans doute cette différence, une fois la vague stoppée. Comme lors des épidémies anciennes transmises par contact, la maîtrise de la mobilité demeure un paramètre essentiel de contrôle. Il serait utile de s’en souvenir pour éviter une troisième vague.