Les performances sportives semblent s’améliorer d’année en année, à l’image de ces records qui ne cessent d’être battus. A contrario, l’activité physique mondiale, elle, ne fait que diminuer. Cette diminution serait généralement liée aux innovations et serait présente sur presque tous les plans de la société. Par exemple, l’agriculture demande de moins en moins d’efforts physiques ou le simple fait de se déplacer à pied ou à vélo se raréfie. Dans les études scientifiques menées sur le sport, il est donc important de distinguer l’activité physique de l’activité sportive. « Dans sport, il y a activité physique et sportive, explique Vincent Nougier, professeur à l’Université Grenoble Alpes. Ce n’est donc pas seulement le sport de haut niveau, mais bien le simple mouvement. La marche, dans sa plus simple application, est déjà une forme d’activité physique. »
Les deux sont peut-être intimement liées, et les étudier n’expose pas les mêmes intérêts scientifiques. « Le premier intérêt, qui est très trivial, est bien entendu dans l’amélioration des performances du sportif, poursuit le professeur. Un second intérêt se trouve dans le domaine du sport-santé, où les questions tournent plus autour de l’activité physique. Le dernier intérêt, un peu mis à l’écart, est que le sport reste un modèle complexe, mettant en jeu bon nombre de caractéristiques physiques de notre monde. L’étudier nous permet aussi de mieux les comprendre. » La recherche dans le milieu du sport étant peu présente au CNRS, le Groupement de recherche Sport & Activité s’est formé pour répondre à ces trois axes.
De l’activité sportive…
Avec l’arrivée des Jeux olympiques et paralympiques à Paris, l’intérêt des recherches se focalise logiquement sur l’optimisation des performances de nos sportifs. Les recherches peuvent impacter les performances de bien des manières. « La plus évidente est au travers des innovations technologiques, ajoute Vincent Nougier. Comme améliorer les matériaux utilisés dans les équipements pour jouer sur leur poids, leur aérodynamisme, et autres. » Par la compréhension des éléments physiques entrant en jeu durant la performance, il est possible d’optimiser les équipements des sportifs. Des chaussures pour les coureurs qui se perfectionnent chaque année, aux raquettes de ping-pong et leur mousse à l’utilité particulière. Ces optimisations peuvent même être poussées à l’échelle de l’individu. « J’utilise souvent l’exemple du foil de la planche à voile, développe-t-il. Bien qu’ils soient standardisés dans leur fabrication, ils ne sont pas exactement les mêmes dans leurs caractéristiques physiques. L’intérêt est de faire converger les sensations de l’athlète, ayant son foil de préférence, avec les indicateurs objectifs du foil qui lui donnent ses caractéristiques physiques. »
Dans certains sports, l’optimisation peut avoir un impact tel, que le règlement se doit d’évoluer. Aujourd’hui, des avocats se spécialisent dans les règlements de sports pour déterminer les limites à ne pas dépasser, amenant inéluctablement les compétiteurs à vouloir s’en rapprocher le plus possible. « L’exemple récent du voilier de François Gabart le montre, note Vincent Nougier. Les architectes du bateau considéraient qu’il respectait le règlement, la classe Ultim n’était pas du même avis. Cette histoire est allée jusqu’au tribunal, et a fini par la modification du bateau en question. » Cette optimisation poussée aux limites ne se cantonne pas à l’équipement utilisé, elle peut aussi se retrouver dans les entraînements. « Certaines méthodes d’entraînement semblent plus efficaces sur certains aspects. L’entraînement en altitude permet au corps de s’adapter à une activité physique dans un environnement où l’oxygène est moindre. Même si le sujet n’est pas encore très maîtrisé, la recherche montre que cela peut avoir de nombreux impacts positifs sur la performance [ndlr : pour tout sport nécessitant de travailler l’endurance]. »
Voilà un autre levier que la science a pour optimiser les performances : l’entraînement. « Il y a ensuite tout ce qui concerne l’homme, l’athlète, constate le professeur. Mieux comprendre les mécanismes physiologiques pour la préparation physique, mais aussi mieux comprendre la préparation mentale. » Car, bien que le sport se joue en apparence sur le physique, et que la science apporte aussi un meilleur contrôle sur les potentielles blessures du sportif, la partie cachée de l’iceberg reste le mental. La psychologie devient donc un domaine clé. « De là, de nombreuses dimensions apparaissent dans les études, rapporte-t-il. Comment gérer le stress, la pression et même l’échec ? Comment notre cerveau coordonne nos mouvements ? Comment faire pour qu’il soit plus efficace, pour qu’il apprenne plus vite et mieux ? » Tous ces éléments sont encore peu connus aujourd’hui. Alors que jouer dessus offre une meilleure préparation physique (en évitant les blessures et en tirant le meilleur de l’athlète), une meilleure préparation mentale lui permet d’exercer au meilleur niveau. « Aujourd’hui, au plus haut niveau sportif, la différence se fait au mental », insiste le professeur.
… à l’activité physique
« Outre la performance, mieux comprendre les enjeux de l’activité physique à des fins de santé est important aujourd’hui, complète Vincent Nougier. D’autant plus dans une société où la condition physique de la population baisse drastiquement chaque année. » La science a déjà démontré les bienfaits du sport sur la santé. Entre autres, des études soulignent que la pratique régulière d’une activité physique réduirait les risques de développer une maladie chronique1. En plus des bienfaits physiques connus — amélioration de la condition physique, du sommeil, etc. – cette pratique renforcerait également le système immunitaire et améliorerait la santé mentale.
« En parallèle, il y a une hausse du nombre de maladies chroniques, ajoute le professeur. Que ce soit pour le diabète, l’obésité, des problèmes cardiovasculaires ou respiratoires, la pratique du sport est importante et il faut la répandre. » Seulement, la répandre demande de nombreux coûts sociétaux. « Il faut donc mieux comprendre comment ce « médicament » [ndlr : l’activité physique] peut être administré et aussi mieux comprendre les aspects d’éducation, ou encore de développement durable du territoire. »
En cela, l’étude du sport s’éloigne de l’intérêt des innovations technologiques pour se concentrer sur les leviers qui augmenteront la pratique. « Comprendre les mécanismes individuels qui poussent à la pratique d’activités physiques, comme la motivation, et optimiser l’aménagement des territoires (en créant de nouvelles infrastructures sportives) sont deux angles d’attaques pour favoriser cette pratique », déclare Vincent Nougier.
Un échange donnant-donnant
Autre intérêt, plus rarement souligné, des études scientifiques sur le sport : la compréhension des caractéristiques physiques terrestres. Vincent Nougier détaille quelques exemples : « Certains problèmes sont posés par la pratique sportive, en particulier de haut niveau. Rien que considérer la trajectoire d’une balle ou d’un javelot rend le sport scientifique compliqué à gérer, à expliquer. » L’intérêt, démontré plus haut, d’optimiser la performance demande de comprendre et de gérer au mieux possible ces problématiques. Et, généralement, une fois les connaissances obtenues, elles profiteront à d’autres secteurs.
« Dans la question de “ comment irons-nous sur Mars ? ”, il y a celle de l’activité physique réduite des astronautes pendant une période prolongée, argumente-t-il. L’Homme ne pouvant pas rester sans mouvement, les connaissances que nous avons développées sur la préparation physique d’athlètes peuvent nous être utiles. » Semblablement, les techniques de récupération musculaire ont été adaptées aux patients en rééducation après blessure ou opération. Les prothèses ou les équipements de travail ergonomiques trouvent aussi leur optimisation au travers de la pratique sportive.
Et que dire, dans ce cas, des innovations technologiques induites par la compétition telles que les matériaux légers d’une formule 1, leur aérodynamisme ou les innovations dans la sécurité du pilote, le montrent. Nombreuses sont celles qui se répandent à d’autres secteurs. Pour Vincent Nougier, c’est une évidence : « Le sport apporte autant à la science que la science lui apporte. »