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La jeunesse face aux défis de notre époque 

La santé mentale des jeunes s’est-elle réellement dégradée ?

Guillaume Bronsard, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent à l'Université de Bretagne Occidentale
Le 16 avril 2024 |
4 min. de lecture
Guillaume Bronsard
Guillaume Bronsard
psychiatre de l’enfant et de l’adolescent à l'Université de Bretagne Occidentale
En bref
  • Depuis 2020, plusieurs rapports et organismes nationaux et internationaux alertent sur une augmentation des souffrances psychiques chez les enfants et adolescents.
  • Cette croissance des besoins en soins psychiatriques s’explique partiellement par la période du Covid-19, qui a fragilisé des jeunes déjà vulnérables.
  • Les jeunes filles sont particulièrement touchées par les troubles internalisés.
  • Il existe en effet une dégradation, mais seulement pour une partie minoritaire, qu’il faut mieux et plus aider qu’auparavant.
  • La fausse impression de « dégradation généralisée » s’expliquerait notamment par une meilleure compréhension des enjeux de santé mentale.
  • Depuis plusieurs années, la pédopsychiatrie fait face à une carence importante d’offre de soins psychiques, saturant ainsi des lieux d’accueil.

Depuis la pandémie de Covid-19, l’état men­tal de la jeunesse inquiète. Le sujet a même été cité comme une des caus­es impor­tantes du gou­verne­ment, par le Pre­mier min­istre Gabriel Attal, lors de son dis­cours de poli­tique générale en jan­vi­er dernier. En effet, à l’image du Haut com­mis­sari­at à l’enfance et à la famille en mars 2023, plusieurs organ­ismes nationaux et inter­na­tionaux pointent une aug­men­ta­tion de la souf­france psy­chique. Au même moment, la Cour des comptes note une « fréquence élevée des trou­bles psy­chiques chez les enfants et ado­les­cents dans tous les pays indus­tri­al­isés. »

« Il y a une aug­men­ta­tion sig­ni­fica­tive de la demande d’aide psy­chologique que l’on peut recevoir dans les cen­tres médi­co-psy­chologiques, les Maisons des ado­les­cents et aux urgences médi­cales ou en pédi­a­trie », pré­cise Guil­laume Bron­sard, chef de ser­vice de pédopsy­chi­a­trie à Brest et prési­dent de l’École des par­ents et des édu­ca­teurs d’Ile-de-France en charge du Fil san­té jeunes (EPE-IDF).

Il n’existe pas d’explosion des trou­bles psy­chiques de façon générale ni diffuse

Suite à la pandémie et aux con­fine­ments, de nom­breux rap­ports pointent une aug­men­ta­tion des trou­bles psy­chiques chez les enfants et ado­les­cents. La Cour des comptes avance une hausse des symp­tômes anx­ieux et dépres­sifs, des détress­es psy­chologiques et des idées sui­cidaires. En effet, entre 2016 et 2021, le nom­bre de pas­sages aux urgences pour trou­bles psy­chiques a aug­men­té de 65 % chez les mineurs. En com­para­i­son, pour cette même tranche d’âge, l’ensemble des pas­sages aux urgences – tout autres motifs con­fon­dus – a con­nu une aug­men­ta­tion de 4 %.

Cepen­dant, pour Guil­laume Bron­sard, il serait com­pliqué de déduire de ces con­stats un état général de la san­té men­tale des jeunes. « On ne peut pas déduire d’une explo­sion des trou­bles psy­chiques – comme on l’entend assez sou­vent – qui serait dif­fuse, général­isée et incon­trôlable ». En effet, la Cour des comptes note bien que « l’évolution dans le temps des pré­va­lences des trou­bles psy­chiques infan­to-juvéniles n’est pas doc­u­men­tée, et ne per­met pas de con­clure à une diminu­tion ou à une aug­men­ta­tion glob­ale. »

Des situations déjà fragiles se sont aggravées

La soi-dis­ant dégra­da­tion général­isée cache, en fait, une sit­u­a­tion hétérogène. La hausse des deman­des d’aide psy­chologique n’est pas répar­tie de façon homogène sur le ter­ri­toire français. Il y a, par exem­ple, plus de deman­des dans les endroits où l’offre en pédopsy­chi­a­trie est plus impor­tante. Selon Guil­laume Bron­sard, cela met bien en évi­dence la décor­réla­tion entre le nom­bre de deman­des et l’état réel de la souffrance.

L’augmentation des deman­des d’aide, depuis la pandémie, con­cerne prin­ci­pale­ment des per­son­nes déjà frag­iles. « Pen­dant cette péri­ode, de nom­breux repères ont été bous­culés et des sit­u­a­tions se sont aggravées. Cepen­dant, la majorité de la jeunesse ne mon­tre aucun signe de souf­france par­ti­c­ulière. Il s’agit davan­tage d’une inten­si­fi­ca­tion d’un sous-groupe minori­taire déjà vul­nérable, que d’une aug­men­ta­tion absolue du nom­bre de per­son­nes touchées », pré­cise le médecin.

Par ailleurs, cette aug­men­ta­tion touche par­ti­c­ulière­ment les jeunes filles. « Les jeunes filles à l’ado­les­cence sont, de façon générale et depuis très longtemps, beau­coup plus sujettes aux trou­bles inter­nal­isés, c’est-à-dire les ten­ta­tives de sui­cide, les scar­i­fi­ca­tions, le rap­port douloureux avec le corps, etc. Cela est notam­ment lié à la réal­ité puber­taire, plus vio­lente chez les jeunes filles que chez les jeunes garçons. C’est un phénomène con­nu et ancien, que la péri­ode du Covid-19 a ren­for­cé », explique le pédopsychiatre.

Informer et sensibiliser, sans pour autant inquiéter

Affirmer que la jeunesse va mal est donc faux, selon Guil­laume Bron­sard. De sur­croît, ali­menter une inquié­tude injus­ti­fiée pour­rait avoir des con­séquences néga­tives. « Cette affir­ma­tion découle peut-être d’une pro­jec­tion des adultes sur la jeunesse. Il y a tou­jours eu une rela­tion ambiva­lente entre les généra­tions, il ne faudrait pas bas­culer dans une agres­siv­ité intergénéra­tionnelle cachée der­rière une com­pas­sion », prévient le prési­dent de l’association en charge du Fil san­té jeunes.

Ces dernières années, la sen­si­bil­i­sa­tion aux enjeux de san­té men­tale se généralise. Des cam­pagnes de com­mu­ni­ca­tion ont été mis­es en place, en plus d’une médi­ati­sa­tion de cer­taines sit­u­a­tions comme les agres­sions et le har­cèle­ment. « Tout cela est posi­tif, tant qu’il y a une com­mu­ni­ca­tion sur les endroits d’accueil et de prise en charge. Cela va aug­menter la demande et c’est tant mieux. Toute­fois, il faut pren­dre garde à informer et sen­si­bilis­er, sans pour autant inquiéter », aver­tit Guil­laume Bron­sard. Ce dernier indique qu’en par­al­lèle, cer­taines dynamiques socié­tales attes­tent d’une bonne san­té men­tale, comme l’engagement poli­tique d’adolescents, bien plus rare auparavant.

Un changement de société démarré dans les années 1970

Pour le pédopsy­chi­a­tre, la sit­u­a­tion actuelle ne s’explique pas unique­ment par la pandémie, ou par une meilleure prise de con­science de l’importance de la san­té men­tale. Les deman­des en psy­chi­a­trie d’enfants et d’adolescents ont com­mencé à croître à la fin des années 1990, pour se sta­bilis­er vers 2010. Ceci s’explique avant tout par une mod­i­fi­ca­tion impor­tante de l’organisation famil­iale et sco­laire, qui a démar­ré dans les années 1970, pré­cise Guil­laume Bron­sard. « De nom­breuses anom­alies ou per­tur­ba­tions étaient aupar­a­vant gérées dans lintim­ité de la famille. Les com­porte­ments per­tur­ba­teurs n’étaient pas médi­cal­isés, car les familles ou l’école s’en occu­paient, générale­ment de façon éduca­tive, sou­vent puni­tive et par­fois vio­lente. C’est un change­ment de société glob­ale­ment heureux », relate le médecin. Depuis, il y a une meilleure recon­nais­sance des trou­bles psy­chi­a­triques chez les enfants et ado­les­cents, un meilleur dépistage des trou­bles d’apprentissage, et une prise en charge médicale. 

« Ces élé­ments décu­plent les deman­des, sans pour autant qu’il n’y ait eu d’augmentation suff­isante des moyens en pédopsy­chi­a­trie, regrette Guil­laume Bron­sard. La demande et l’offre se rejoignaient dans les années 1990. Aujourd’hui, la demande a énor­mé­ment aug­men­té, mais l’of­fre trop peu, ce qui donne cette ambiance de liste dattente, d’embouteil­lage que l’on retrou­ve dans le domaine de la psy­chi­a­trie de l’enfant et de lado­les­cent. » Les pro­fes­sion­nels du secteur aler­tent depuis plusieurs années sur cette carence des soins psy­chiques, pour la jeunesse notam­ment. Selon une tri­bune pub­liée dans Le Monde en avril 2023, sur les 1,6 mil­lion d’enfants et ado­les­cents en souf­france psy­chique, seuls 750 000 à 850 000 reçoivent des soins spé­ci­fiques par des pro­fes­sion­nels de la pédopsychiatrie.

Sirine Azouaoui

Référence : La Cour des comptes : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023–10/20230321-pedopsychiatrie.pdf

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