Depuis la pandémie de Covid-19, l’état mental de la jeunesse inquiète. Le sujet a même été cité comme une des causes importantes du gouvernement, par le Premier ministre Gabriel Attal, lors de son discours de politique générale en janvier dernier. En effet, à l’image du Haut commissariat à l’enfance et à la famille en mars 2023, plusieurs organismes nationaux et internationaux pointent une augmentation de la souffrance psychique. Au même moment, la Cour des comptes note une « fréquence élevée des troubles psychiques chez les enfants et adolescents dans tous les pays industrialisés. »
« Il y a une augmentation significative de la demande d’aide psychologique que l’on peut recevoir dans les centres médico-psychologiques, les Maisons des adolescents et aux urgences médicales ou en pédiatrie », précise Guillaume Bronsard, chef de service de pédopsychiatrie à Brest et président de l’École des parents et des éducateurs d’Ile-de-France en charge du Fil santé jeunes (EPE-IDF).
Il n’existe pas d’explosion des troubles psychiques de façon générale ni diffuse
Suite à la pandémie et aux confinements, de nombreux rapports pointent une augmentation des troubles psychiques chez les enfants et adolescents. La Cour des comptes avance une hausse des symptômes anxieux et dépressifs, des détresses psychologiques et des idées suicidaires. En effet, entre 2016 et 2021, le nombre de passages aux urgences pour troubles psychiques a augmenté de 65 % chez les mineurs. En comparaison, pour cette même tranche d’âge, l’ensemble des passages aux urgences – tout autres motifs confondus – a connu une augmentation de 4 %.
Cependant, pour Guillaume Bronsard, il serait compliqué de déduire de ces constats un état général de la santé mentale des jeunes. « On ne peut pas déduire d’une explosion des troubles psychiques – comme on l’entend assez souvent – qui serait diffuse, généralisée et incontrôlable ». En effet, la Cour des comptes note bien que « l’évolution dans le temps des prévalences des troubles psychiques infanto-juvéniles n’est pas documentée, et ne permet pas de conclure à une diminution ou à une augmentation globale. »
Des situations déjà fragiles se sont aggravées
La soi-disant dégradation généralisée cache, en fait, une situation hétérogène. La hausse des demandes d’aide psychologique n’est pas répartie de façon homogène sur le territoire français. Il y a, par exemple, plus de demandes dans les endroits où l’offre en pédopsychiatrie est plus importante. Selon Guillaume Bronsard, cela met bien en évidence la décorrélation entre le nombre de demandes et l’état réel de la souffrance.
L’augmentation des demandes d’aide, depuis la pandémie, concerne principalement des personnes déjà fragiles. « Pendant cette période, de nombreux repères ont été bousculés et des situations se sont aggravées. Cependant, la majorité de la jeunesse ne montre aucun signe de souffrance particulière. Il s’agit davantage d’une intensification d’un sous-groupe minoritaire déjà vulnérable, que d’une augmentation absolue du nombre de personnes touchées », précise le médecin.
Par ailleurs, cette augmentation touche particulièrement les jeunes filles. « Les jeunes filles à l’adolescence sont, de façon générale et depuis très longtemps, beaucoup plus sujettes aux troubles internalisés, c’est-à-dire les tentatives de suicide, les scarifications, le rapport douloureux avec le corps, etc. Cela est notamment lié à la réalité pubertaire, plus violente chez les jeunes filles que chez les jeunes garçons. C’est un phénomène connu et ancien, que la période du Covid-19 a renforcé », explique le pédopsychiatre.
Informer et sensibiliser, sans pour autant inquiéter
Affirmer que la jeunesse va mal est donc faux, selon Guillaume Bronsard. De surcroît, alimenter une inquiétude injustifiée pourrait avoir des conséquences négatives. « Cette affirmation découle peut-être d’une projection des adultes sur la jeunesse. Il y a toujours eu une relation ambivalente entre les générations, il ne faudrait pas basculer dans une agressivité intergénérationnelle cachée derrière une compassion », prévient le président de l’association en charge du Fil santé jeunes.
Ces dernières années, la sensibilisation aux enjeux de santé mentale se généralise. Des campagnes de communication ont été mises en place, en plus d’une médiatisation de certaines situations comme les agressions et le harcèlement. « Tout cela est positif, tant qu’il y a une communication sur les endroits d’accueil et de prise en charge. Cela va augmenter la demande et c’est tant mieux. Toutefois, il faut prendre garde à informer et sensibiliser, sans pour autant inquiéter », avertit Guillaume Bronsard. Ce dernier indique qu’en parallèle, certaines dynamiques sociétales attestent d’une bonne santé mentale, comme l’engagement politique d’adolescents, bien plus rare auparavant.
Un changement de société démarré dans les années 1970
Pour le pédopsychiatre, la situation actuelle ne s’explique pas uniquement par la pandémie, ou par une meilleure prise de conscience de l’importance de la santé mentale. Les demandes en psychiatrie d’enfants et d’adolescents ont commencé à croître à la fin des années 1990, pour se stabiliser vers 2010. Ceci s’explique avant tout par une modification importante de l’organisation familiale et scolaire, qui a démarré dans les années 1970, précise Guillaume Bronsard. « De nombreuses anomalies ou perturbations étaient auparavant gérées dans l’intimité de la famille. Les comportements perturbateurs n’étaient pas médicalisés, car les familles ou l’école s’en occupaient, généralement de façon éducative, souvent punitive et parfois violente. C’est un changement de société globalement heureux », relate le médecin. Depuis, il y a une meilleure reconnaissance des troubles psychiatriques chez les enfants et adolescents, un meilleur dépistage des troubles d’apprentissage, et une prise en charge médicale.
« Ces éléments décuplent les demandes, sans pour autant qu’il n’y ait eu d’augmentation suffisante des moyens en pédopsychiatrie, regrette Guillaume Bronsard. La demande et l’offre se rejoignaient dans les années 1990. Aujourd’hui, la demande a énormément augmenté, mais l’offre trop peu, ce qui donne cette ambiance de liste d’attente, d’embouteillage que l’on retrouve dans le domaine de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. » Les professionnels du secteur alertent depuis plusieurs années sur cette carence des soins psychiques, pour la jeunesse notamment. Selon une tribune publiée dans Le Monde en avril 2023, sur les 1,6 million d’enfants et adolescents en souffrance psychique, seuls 750 000 à 850 000 reçoivent des soins spécifiques par des professionnels de la pédopsychiatrie.
Sirine Azouaoui
Référence : La Cour des comptes : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023–10/20230321-pedopsychiatrie.pdf