« La pollution de la mer par les microplastiques aggrave la résistance aux antibiotiques »
C’est un phénomène tout à fait naturel. Nous savons aujourd’hui que l’utilisation massive des antibiotiques – pour soigner les patients, mais surtout pour traiter les animaux d’élevage – a accéléré la résistance des bactéries à ces traitements, les rendant pour la plupart inefficaces. Aucun nouvel antibiotique n’a été découvert depuis des décennies et nous risquons donc, dans un avenir proche, de nous retrouver contraints de nous en passer – ce qui nous rendrait vulnérables aux infections microbiennes chez l’humain. Le phénomène croissant de la résistance aux antibiotiques représente donc aujourd’hui l’une des menaces les plus graves pour la santé humaine et animale. Et mieux comprendre les différents moteurs de cette résistance devient urgent.
Récemment, les chercheurs ont fait le rapprochement entre ce problème et un autre enjeu majeur de notre époque : la pollution de la mer par les microplastiques. Ces particules de plastique, dont la taille est inférieure à 5 millimètres, proviennent de la dégradation des déchets plastiques, ou directement des produits eux-mêmes, notamment dans le cas des cosmétiques. Du fait de leur petite taille, les microplastiques se trouvant dans l’eau (océans, lacs, rivières) sont souvent ingérés par des animaux aquatiques, mais également par les humains, puisqu’ils sont également présents dans l’eau de robinet et les bouteilles. Ils sont soupçonnés d’avoir des effets néfastes sur la santé, et des études destinées à mieux comprendre les risques encourus sont donc menées actuellement.
Depuis une dizaine d’années, lors de l’étude d’échantillons microbiens présents sur des microplastiques flottant dans les mers et les océans, des bactéries pathogènes [capables d’infecter les humains] de la famille des Vibrio, Salmonella ou Legionella ont été retrouvées. Un bon nombre d’entre elles étaient porteuses des gènes de la résistance aux antibiotiques. En temps normal, ces bactéries ne sont pas présentes dans les eaux marines car elles ne survivent pas au pH de l’eau, à la salinité ou à d’autres facteurs environnementaux, mais leur présence s’est particulièrement accrue dans les eaux côtières, entre autres. Cela serait principalement dû au rejet d’eaux usées domestiques, industrielles ou agricoles… mais également de microplastiques. L’association entre microplastiques et bactéries pathogènes semble être responsable de la longévité de ces bactéries dans les milieux marins, de leur reproduction et de leur transport vers des régions très éloignées du lieu de rejet en mer. La biologiste Maria Belen Sathicq, post-doctorante à l’IRSA (CNRS), étudie ces problématiques d’écologie microbienne à travers le projet de recherche AENEAS.
Quels sont les principaux dangers du binôme microplastiques / bactéries résistantes aux antibiotiques pour la santé humaine et environnementale ?
La pollution plastique a un impact majeur sur les activités de pêche commerciale et d’aquaculture. Quand les microplastiques s’accumulent dans les tissus des animaux marins, ils contaminent également tous les niveaux de la chaîne alimentaire, jusqu’à notre assiette. Mais les débris plastiques fournissent également un substrat flottant qui agit comme un support pour le transport d’algues nocives, de polluants organiques et de micro-organismes potentiellement pathogènes. En outre, les microplastiques peuvent faciliter le transfert des gènes de résistance aux antibiotiques aux animaux aquatiques qui les ingèrent ou les filtrent… puis aux consommateurs de poisson et de fruits de mer, a fortiori lorsqu’ils sont ingérés crus.
Une étude de 2018 a montré que le microbiote des personnes qui passent beaucoup de temps près des côtes polluées est souvent porteur de bactéries résistantes aux antibiotiques.
Une étude de 2018 a montré que le microbiote des personnes qui passent beaucoup de temps près des côtes polluées est souvent porteur de bactéries résistantes aux antibiotiques. Quant à l’environnement, les microplastiques induisent également une résistance des écosystèmes microbiens aquatiques à d’autres polluants, tels que les métaux lourds. Cependant, si ces phénomènes sont confirmés par plusieurs études expérimentales, la recherche de preuves de l’impact des microplastiques sur les communautés microbiennes en milieu naturel n’en est qu’à ses débuts.
Qu’est-ce que la « plastisphère » et comment se forme cette nouvelle niche écologique sur laquelle prolifèrent, entre autres, les bactéries résistantes aux antibiotiques ?
Les bactéries, les algues et les champignons se fixent à la surface de divers substrats durs – naturels ou artificiels. Cela donne alors naissance au biofilm, une matrice adhésive et protectrice produite par les microorganismes eux-mêmes, et dans laquelle ils vivent. En 2013, Zettler et ses collègues ont proposé le terme « plastisphère » pour désigner les communautés microbiennes découvertes sur des microplastiques collectés dans l’Atlantique Nord. Depuis, plusieurs recherches ont montré que le plastique pouvait permettre à des communautés microbiennes spécifiques de survivre dans l’eau. Les microplastiques sont donc une nouvelle niche écologique offrant aux bactéries de plus grandes chances de survie en milieu naturel, et dans lesquelles un échange génétique entre différents individus ou espèces est favorisé par la proximité assurée par le biofilm.
Votre projet AENEAS touche à sa fin. Quels sont les méthodes utilisées et les résultats obtenus ?
Le projet, né en 2019 grâce au soutien du AXA Research Fund, visait à étudier l’impact des microplastiques sur les communautés microbiennes des eaux côtières du nord de la Méditerranée, avec un focus particulier sur la sélection potentielle de résistance aux antibiotiques au sein des communautés exposées à la pollution microplastique. Nous avons d’abord évalué la composition des plastiques et la diversité des communautés microbiennes sur les microplastiques dans six sites de la côte nord de la mer Tyrrhénienne. Nous avons trouvé que le polymère dominant y était le polyéthylène, et que sa plus grande concentration ne se trouvait pas dans les sites à l’impact anthropique le plus important (comme les ports), comme on aurait pu s’y attendre, mais dans des zones moins fréquentées, telles que les réserves naturelles.
Les communautés bactériennes présentes sur les microplastiques et dans l’eau sont très diverses, mais les bactéries potentiellement pathogènes Vibrio et les gènes de résistance aux antibiotiques (en particulier à la tétracycline), sont les plus abondants sur les microplastiques par rapport à l’eau. Dans un second temps, nous avons analysé de façon expérimentale le rôle de différents polymères sur les bactéries, en particulier sur les pathogènes. Nous avons principalement étudié la gomme des pneus, un type de plastique avec une composition chimique très complexe. En effet, ce matériau exerce une sélection, et les bactéries potentiellement pathogènes (par exemple Pseudomonas, Aeromonas, Acinetobacter) y sont relativement plus abondantes. Enfin, nous prévoyons une enquête pour comprendre le niveau de perception du risque des citoyens vivant sur la côte de notre zone d’étude sur ces enjeux, impliquant des lycéens.
À l’avenir, quels sont les aspects les plus urgents à étudier pour tenter de freiner la propagation de la résistance aux antibiotiques ?
Il reste encore beaucoup de choses à apprendre sur le rôle des microplastiques dans la propagation de la résistance aux antibiotiques, même si la recherche a déjà accumulé de nombreuses preuves via des travaux de laboratoire. Les résultats suggèrent cependant fortement que les microplastiques agissent comme un réservoir à long terme pour la résistance aux antibiotiques en raison de leur durabilité, mais le rôle de chaque type de polymère et d’additif doit continuer à être étudié. Il est également important d’évaluer le comportement des bioplastiques – un substitut prometteur aux plastiques à base de pétrole – qui pourrait être similaire à celui d’autres plastiques classiques en ce qui concerne la formation de communautés microbiennes.
La menace croissante de la résistance aux antibiotiques nécessite une approche multisectorielle, qui considère la santé des humains, des animaux et de l’environnement comme connectées et dépendantes les unes des autres (concept de One Health). Il reste encore de nombreux problèmes à résoudre : l’abus humain d’antibiotiques, l’usage excessif de ces médicaments dans les élevages et l’efficacité des stations d’épuration des eaux usées pour éliminer les polluants tels que les microplastiques.