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π Santé et biotech

Jumeaux numériques et prévention : une nouvelle ère pour la médecine

Etienne Minvielle
Etienne Minvielle
directeur du Centre de recherche en gestion de l'École polytechnique (IP Paris)
BIOT Claire
Claire Biot
vice-présidente de l’Industrie de la Santé Dassault Systèmes
Stanley Durrleman
Stanley Durrleman
directeur de recherche Inria et responsable de l'équipe Aramis à l'Institut du cerveau de Paris (ICM)
En bref
  • Les jumeaux numériques se développent dans le secteur de la santé pour personnaliser et prédire les soins selon les données des patients.
  • La France a longtemps négligé la prévention santé, favorisant un système de soin curatif qui « guérit » au lieu de « prévenir ».
  • Il existe deux types de préventions : la prévention primaire (pour éviter d’attraper la maladie) et secondaire (qui stoppe ou ralentit son développement).
  • Dassault Systèmes a lancé le projet MediTwin pour créer des jumeaux numériques en oncologie, neurologie et cardiologie, afin de guider les décisions médicales.
  • Les jumeaux numériques peuvent révolutionner la prévention des maladies comme Alzheimer, en permettant un diagnostic précoce et en personnalisant les traitements basés sur les prédictions des modèles numériques.

Les jumeaux numériques pren­nent de plus en plus d’ampleur dans le monde indus­triel. Les portes qu’un tel out­il ouvre lui per­me­t­tent de s’étendre dans le domaine de la san­té — avec notam­ment l’utilisation de poumons numériques pour une per­son­nal­i­sa­tion des soins. Être capa­ble de mod­élis­er un organe, per­son­nalis­er ce mod­èle à l’aide des don­nées d’un patient, pour en simuler son fonc­tion­nement pour­rait nous amen­er à prévoir, anticiper, prédire son développe­ment et son vieillissement.

Après tout, et comme le rap­pelle à juste titre Claire Biot, vice-prési­dente de l’Industrie de la san­té à Das­sault Sys­tèmes « aujourd’hui, en ayant le jumeau numérique d’un Rafale, mais aus­si plein de don­nées de vol – l’équivalent des bio­mar­queurs en aéro­nau­tique – nous pou­vons faire de la main­te­nance pré­dic­tive en opéra­tion. Cela, en pas­sant du jumeau numérique d’un con­cept, l’avion, au jumeau numérique per­son­nal­isé de chaque Rafale en opéra­tion. » 

La ques­tion se jus­ti­fie donc pleine­ment : quel rôle peut jouer le jumeau numérique dans la préven­tion en santé ?

Cette ques­tion a été au cœur des échanges du 5ème sémi­naire du groupe poly­tech­nique san­té, coor­don­né par le Cen­tre de recherche en ges­tion de l’École poly­tech­nique (IP Paris), et ani­mé par Éti­enne Min­vielle (Directeur de recherche CNRS)1.

Voir aujourd’hui la maladie de demain

La préven­tion en san­té est sou­vent jugée comme un sujet qui a été délais­sé jusqu’à un passé récent. Stan­ley Dur­rle­man, directeur de recherche à l’Inria, ne manque pas de le rap­pel­er. « Par­ler de préven­tion reste peu courant en France, car nous sommes d’abord dans un sys­tème de soin avant d’être dans un sys­tème de san­té.» Selon lui, la devise de la recherche actuelle se rap­procherait plus de « mieux vaut guérir que prévenir ».

Du côté de Das­sault Sys­tèmes, les jumeaux numériques sont util­isés depuis un cer­tain temps. « Notre ambi­tion est d’aider les gens à vivre en meilleure san­té à un coût souten­able pour les sys­tèmes de soins et nous plaçons les jumeaux numériques au cœur de notre stratégie, explique Claire Biot, car ils per­me­t­tent de représen­ter l’invisible et de faire col­la­bor­er plusieurs dis­ci­plines. » Un nou­veau pro­jet a ain­si vu le jour : « Med­iTwin2 est un pro­jet de créa­tion de dif­férents jumeaux numériques, lancé par Das­sault Sys­tèmes, dans trois aires thérapeu­tiques : oncolo­gie, neu­rolo­gie et car­di­olo­gie, développe-t-elle. Ces jumeaux numériques servi­ront avant tout à faire du traite­ment ou du diag­nos­tic, en guidant la déci­sion médicale. »

Il existe deux types de préven­tions : la préven­tion pri­maire (mise en place pour éviter d’attraper la mal­adie) et la préven­tion sec­ondaire qui stoppe ou ralen­tit le développe­ment de cette dernière. La préven­tion pri­maire con­cerne en par­ti­c­uli­er les mal­adies trans­mis­si­bles, le préser­vatif ou le con­fine­ment en sont des exem­ples. Il est donc cer­tain que, pour cer­taines mal­adies, une préven­tion pri­maire se com­plique. La sec­onde forme de préven­tion présente quelques con­traintes, notam­ment la néces­sité d’un diag­nos­tic rapi­de et de la prise en charge du patient sur le long terme. « Com­ment pour­rais-je suiv­re des patients durant des décen­nies pour voir si, in fine, ma mesure de préven­tion était effi­cace ? », se demande Stan­ley Dur­rle­man. C’est donc ici qu’un sys­tème de mod­éli­sa­tion numérique per­me­t­tant une sim­u­la­tion fidèle du fonc­tion­nement d’un sys­tème biologique per­son­nal­isé avec les don­nées d’un patient prend toute son importance.

Le cas Alzheimer

Afin d’illustrer la com­plé­men­tar­ité entre la préven­tion et les sys­tèmes algo­rith­miques pré­dic­tifs que pro­posent les jumeaux numériques, Stan­ley Dur­rle­man con­sid­ère le cas de la mal­adie d’Alzheimer comme étant le par­fait exem­ple. Cette mal­adie représente actuelle­ment, non loin du can­cer, l’un des plus grands engoue­ments de la recherche sci­en­tifique en san­té. « Mal­gré les investisse­ments colos­saux dans la recherche, cela fai­sait 20 ans que nous n’avions pas eu d’essai clin­ique posi­tif pour cette mal­adie, pré­cise le chercheur. Et encore aujourd’hui, les prati­ciens n’ont qua­si­ment rien à pre­scrire à leur patient [NDLR : le médica­ment en ques­tion n’est disponible pour l’instant qu’aux États-Unis, la demande de com­mer­cial­i­sa­tion en Europe est tou­jours en cours d’instruction par les autorités.]»

Ce traite­ment soigne l’accumulation des plaques amy­loïdes dans le cerveau du patient, qui se met en place 10 à 15 ans avant l’apparition des pre­miers symp­tômes liés à la mal­adie. « Cepen­dant, les effets du traite­ment sur le déclin cog­ni­tif du patient restent assez faibles, admet-il. Le change­ment dans notre sché­ma thérapeu­tique, lui, est con­séquent. Nous ne sommes plus tant à la recherche de médica­ments pour guérir la mal­adie, mais plutôt dans une optique de la prévenir. »

Il est donc impor­tant de com­pren­dre com­ment la mal­adie se développe, quels sont ses pre­miers signes, afin d’établir un diag­nos­tic pré­coce. Pour cela, l’équipe de recherche de Stan­ley Dur­rle­man a établi des mod­èles de pré­dic­tions – des jumeaux numériques – pou­vant déter­min­er l’évolution de la mal­adie chez dif­férentes per­son­nes. Après la présen­ta­tion de ce mod­èle, Claire Biot se demande : « La mal­adie d’Alzheimer est-elle prête pour un dépistage de masse ?» Ce à quoi Stan­ley Dur­rle­man répond que des pro­grès sont encore à faire. « Pour une mal­adie non-trans­mis­si­ble, il est plus juste de par­ler de repérage, explique le chercheur. En général, pour cette mal­adie, il y a d’abord une plainte du patient, qui l’amène à con­sul­ter. »

Le repérage dépend ain­si d’une action volon­taire de la per­son­ne, et il ne faut pas rater ce pre­mier mail­lon. « Compte tenu des enjeux déjà évo­qués, je pense qu’il reste tout de même pas mal de tra­vail à faire pour inten­si­fi­er le repérage des trou­bles cog­ni­tifs en pop­u­la­tion générale », con­clut-il. Un des axes à dévelop­per serait l’identification de bio­mar­queurs spé­ci­fiques au développe­ment de la mal­adie d’Alzheimer. Seule­ment, à l’image de cette accu­mu­la­tion de plaques amy­loïdes dans le cerveau du patient qui n’est pas tout le temps syn­onyme de pre­miers signes de la mal­adie, la préven­tion dépen­dra tou­jours de nos capac­ités de prédictions.

Ces enseigne­ments con­fir­ment que, même si des inter­ro­ga­tions sub­sis­tent, le jumeau numérique est sus­cep­ti­ble de jouer un rôle impor­tant ces prochaines années. Il pour­rait affirmer une nou­velle forme de préven­tion en san­té, plus algo­rith­mique, plus per­son­nal­isée et offrant des capac­ités de repérage jusque-là inenvisageables. 

Pablo Andres
1https://​www​.youtube​.com/​w​a​t​c​h​?​v​=​Z​p​m​4​Y​F​4D4wc
2https://​www​.3ds​.com/​n​e​w​s​r​o​o​m​/​p​r​e​s​s​-​r​e​l​e​a​s​e​s​/​m​e​d​i​t​w​i​n​-​l​aunch

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