Nous avons tous dû voir passer, dans nos manuels de biologie, le schéma d’un poumon. Avec ces différents schémas, nous avons pu apprendre le fonctionnement de celui-ci. Pour autant, ce schéma inanimé ne peut montrer l’activité de l’organe d’un individu en particulier, ce n’est qu’un modèle générique. Aujourd’hui, par la numérisation de ces modèles, il est possible d’y intégrer les données traduisant cette activité. Ainsi, les variabilités entre les individus sont prises en compte grâce à un modèle personnalisé. Ce modèle, qui, par définition, est plus précis, s’appelle un jumeau numérique.
Un jumeau numérique est la numérisation d’un objet et de son environnement, qui se veut fidèle à leurs caractéristiques physiques. Il permet ainsi de simuler le comportement réel d’un objet dans un environnement virtuel. C‘est un modèle qui propose une telle personnalisation de la version numérisée de l’objet qu’il en revient presque à étudier sa version réelle.
L’idée est de se diriger vers des modèles de plus en plus fins, tout en sachant qu’aucun modèle n’est infiniment fin.
Ce type de simulation numérique est utilisé dans de nombreux domaines d’ingénierie. Et il n’est pas difficile d’imaginer que le modèle si spécifique d’un objet peut être utile au domaine de la santé. Car, finalement, lorsqu’un objet se résume àun ensemble d’équations correspondant à ses caractéristiques physiques, tout peut être numérisé, même l’organe d’un être vivant. Martin Genet, chercheur en biomécanique, et plusieurs collègues de l’équipe de recherche MΞDISIM au Laboratoire de Mécanique des Solides (LMS*) de l’École polytechnique1, travaillent sur la modélisation personnalisée des poumons pour étudier la fibrose pulmonaire idiopathique. Ils ont en tête l’hypothèse que le processus mécanique de la respiration pourrait favoriser l’apparition et le développement de la maladie — une sorte de cercle vicieux mécanique. Ces recherches sont faites dans l’optique de fournir aux médecins un type d’outils facilitant autant le diagnostic que la prise en charge du patient.
Personnaliser un modèle générique
Tout d’abord, il faut commencer par le modèle générique de l’organe ciblé. Dans le cas de Martin Genet, il s’agit du poumon. Ensuite, sur cette base, certaines informations spécifiques au patient sont appliquées afin de personnaliser le modèle générique. Le but : créer un modèle numérique qui correspond le « plus possible » à l’organe à étudier. « L’idée est de se diriger vers des modèles de plus en plus fins, tout en sachant qu’aucun modèle n’est infiniment fin, insiste le chercheur. Un jumeau numérique est donc un modèle personnalisé intégrant les données spécifiques à un patient. »
Même si obtenir une simulation parfaite semble impossible, Martin Genet rappelle que la perfection n’est pas nécessaire pour tirer des informations médicales pertinentes. « Le modèle parfait n’existe pas. Un jumeau numérique reste un modèle, une approximation du réel. On ne peut donc pas reproduire toutes les expériences possibles sur une chose réelle,admet-il. Mais une maladie donnée est liée à un certain nombre de processus physiques, chimiques, mécaniques. Ainsi, pour mieux comprendre la maladie, et in fine mieux la traiter, il faut évidemment prendre en compte ces processus, mais il est inutile de comprendre tous les phénomènes physico-chimiques qui ont eu lieu dans la vie du patient », insiste-t-il.
En ce qui concerne les recherches de Martin Genet et l’équipe MΞDISIM, la maladie en question est la fibrose pulmonaire – une maladie fortement liée à la mécanique du tissu, qui correspond notamment à une surproduction de collagène dans le tissu pulmonaire. Comme le collagène est rigide, une présence trop importante a pour effet de rigidifier le tissu. Une personne ayant du collagène en excès finira par forcer sa respiration, ce qui aggraverait à son tour la maladie. « C’est l’aspect fondamental de notre recherche, explique Martin Genet. Établir si les contraintes mécaniques ont tendance à favoriser l’apparition et/ou l’évolution de la maladie, et donc si l’hypothèse de ce cercle vicieux est valable. »
Comprendre et classifier les fibroses
La modélisation personnalisée permet également d’aller plus loin dans le diagnostic, notamment pour la classification potentielle du type de fibrose dont le patient est atteint, ou simplement dans le suivi, et l’optimisation, des traitements à lui administrer. Pour cela, à nouveau, il est inutile de connaître toute la vie du patient en question. Il pourrait suffire de se focaliser sur un aspect de la maladie, comme la rigidification du tissu. D’autant que, aujourd’hui, « des jumeaux numériques de tissus vivants sont développés : ils décrivent jusqu’à l’interaction d’une molécule de médicament avec un sous-réseau d’une molécule d’ADN. » Et tout cela de manière non-invasive.
Les médecins sont très demandeurs de ce type d’outils car aujourd’hui, il existe très peu d’outils performants pour ce type de maladie.
La suite : le diagnostic médical – bien qu’au stade de la recherche il soit plus judicieux de parler de classification de la maladie. « Parmi tous les types de fibroses pulmonaires, serons-nous capables de classifier, de manière quantitative et objective, celle dont est atteint le patient en question ? », se demande le chercheur. Si l’équipe MΞDISIM y parvient, le médecin n’aura plus qu’à voir le comportement du poumon numérique pour déterminer le traitement adéquat.
La médecine de demain
De plus, un tel outil a également une multitude d’autres intérêts en santé, et les professionnels de ce domaine en sont conscients. « Les médecins sont très demandeurs de ce type d’outils d’ingénierie biomédicale, ajoute Martin Genet. Ces outils ont vocation à faciliter le travail du médecin. » Car aujourd’hui, il existe très peu d’outils performants pour ce type de maladie. D’autant que, si cet « aspect fondamental » de la recherche venait à valider cette « hypothèse du cercle vicieux », un jumeau numérique donnerait une possibilité au médecin de prédire le potentiel développement d’une fibrose chez un patient, et donc, pourquoi pas, d’essayer de la prévenir.
Enfin, un des intérêts majeurs du jumeau numérique en matière de santé repose sur la possibilité d’optimiser les traitements administrés. Notre propre organe peut être modélisé dans une simulation qui reproduit son fonctionnement et son interaction avec d’autres éléments, eux-mêmes modélisés. Il suffit alors qu’un de ces éléments soit le médicament à administrer : l’influence chimique sur l’organe en question peut être simulée. Ainsi, ce jumeau numérique de notre organe donnera une indication quantitative au médecin de l’efficacité du traitement à prescrire (anti-fibrosant, anti-inflammatoire…) tout en lui permettant de réaliser un suivi quantitatif de ce traitement.
« Nous espérons pouvoir décrire, par le modèle, l’évolution de la maladie, synthétise le chercheur. Pour, ensuite, optimiser et automatiser cet outil au maximum, afin qu’il soit utilisable en clinique facilement. Le rêve serait que l’outil soit directement intégré dans les pipelines logiciels de l’hôpital. »