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La santé des femmes investie par la médecine  

Endométriose : les origines de la maladie se précisent

Krina Zondervan, professeur d'épidémiologie reproductive et génomique à l'Université d'Oxford
Le 9 septembre 2024 |
7 min. de lecture
Krina Zondervan
Krina Zondervan
professeur d'épidémiologie reproductive et génomique à l'Université d'Oxford
En bref
  • L'endométriose, longtemps négligée par la recherche scientifique, connaît un regain d’intérêt et de récentes avancées.
  • L’origine de la maladie est dorénavant connue (probablement un dysfonctionnement des cellules endométriales du sang menstruel), mais des questions persistent sur les raisons de son développement chez certaines personnes.
  • L'endométriose est difficile à étudier en raison de l'absence de modèles animaux adéquats et des difficultés à suivre l'évolution de la maladie.
  • Les recherches récentes ont découvert une forte composante génétique dans l'endométriose, avec des liens inattendus avec d'autres maladies inflammatoires et douloureuses.
  • Les traitements actuels de l'endométriose sont principalement hormonaux, mais il y a un besoin urgent de développer des options non-hormonales et adaptées à tous les patients, y compris les hommes transgenres.

L’en­dométriose est un fardeau pour un grand nom­bre de femmes et de per­son­nes assignées femme à la nais­sance (qu’on nom­mera AFAB pour Assigned Female At Birth). Cette mal­adie inflam­ma­toire, qui touche env­i­ron 1 femme sur 10 en âge de pro­créer1, peut provo­quer des douleurs chroniques extrêmes et un prob­lème de fer­til­ité. Récem­ment, il a été décou­vert qu’elle était liée à toute une série de comor­bid­ités. Cette mal­adie a longtemps fait l’objet de très peu de recherch­es, mais des avancées récentes don­nent enfin de l’e­spoir à ce domaine. Jetons un coup d’œil sur ce qui ent­hou­si­asme les chercheurs.

Par le passé, l’endométriose a été négligée, mais les laboratoires de recherche ont récemment fait preuve d’un regain d’intérêt et des avancées notoires commencent à voir le jour. Qu’est-ce qui a changé ?

Ce que nous voyons aujour­d’hui est le résul­tat d’une prise de con­science pro­gres­sive au fil du temps. Lorsque j’ai com­mencé à tra­vailler sur l’en­dométriose en tant qu’é­tu­di­ante au milieu des années 1990, la plu­part des gens n’en avaient jamais vrai­ment enten­du par­ler, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes. J’ai vu cette sit­u­a­tion chang­er rapi­de­ment au cours des dernières décennies.

Ce n’est pas seule­ment l’en­dométriose, c’est la san­té des femmes dans son ensem­ble qui a émergé des marges de la recherche. Dans les annales de la recherche bio­médi­cale en général, les femmes et per­son­nes assignées femme à la nais­sance ont longtemps été traitées comme des « petits hommes », les dos­es de médica­ments dévelop­pées pour les hommes étant sim­ple­ment ajustées en fonc­tion du poids et de la stature. Cela ne tient man­i­feste­ment pas compte de la manière dont les sys­tèmes hor­monaux com­plex­es inter­agis­sent avec la biologie.

Il est aujour­d’hui large­ment recon­nu que cette pénurie de recherche représente un fardeau énorme pour la société. Le World Eco­nom­ic Forum a pub­lié en jan­vi­er un rap­port2 de McK­in­sey qui estime que si on comblait le fos­sé en matière de san­té des femmes, cela per­me­t­trait à l’é­conomie mon­di­ale d’é­conomiser env­i­ron 1 000 mil­liards de dol­lars par an. C’est tout sim­ple­ment stupé­fi­ant – je pense que cela a vrai­ment fait réa­gir les gens. Par­al­lèle­ment, cer­tains pays ont fait de la san­té des femmes un point impor­tant de leur pro­gramme de recherche.

Aux États-Unis, par exem­ple, la pre­mière dame, Jill Biden, a lancé en févri­er dernier une ini­tia­tive de la Mai­son Blanche3 qui con­sacre 100 mil­lions de dol­lars à des aspects clés de la san­té des femmes qui n’ont pas encore été abor­dés de manière appro­priée. La Stratégie pour la san­té des femmes en Angleterre ain­si que la Stratégie pour la san­té des femmes en Écosse, pub­liées respec­tive­ment en 2022 et 2021, ont per­mis de met­tre l’ac­cent sur l’amélio­ra­tion de la ges­tion de la san­té des femmes, ce qui était véri­ta­ble­ment néces­saire. La France a elle aus­si, claire­ment mis l’ac­cent sur l’amélio­ra­tion de la sit­u­a­tion des femmes atteintes d’endométriose.

Que pouvez-vous dire de l’évolution de notre compréhension sur l’origine de l’endométriose ?

Je pense qu’il est assez bien accep­té que la mal­adie péri­tonéale super­fi­cielle, qui peut se pro­duire à l’in­térieur de l’ab­domen, provient de ce que nous appelons la men­stru­a­tion rétro­grade. Presque toutes les femmes et les per­son­nes assignées femmes à la nais­sance ont du sang men­stru­el qui remonte dans les trompes de Fal­lope et dans la cav­ité pelvi­enne. Cer­tains de ces débris men­stru­els con­ti­en­nent des cel­lules endomé­tri­ales viables qui sont très prob­a­ble­ment à l’o­rig­ine des lésions péritonéales.

Cette idée est étayée par de nom­breuses études. Des études en lab­o­ra­toire ont d’ailleurs mon­tré que des cel­lules endomé­tri­ales ense­mencées dans des souris de lab­o­ra­toire dévelop­paient ces lésions. Des études épidémi­ologiques ont mon­tré un lien entre le risque d’en­dométriose et l’âge pré­coce des pre­mières règles, des cycles plus courts et des saigne­ments men­stru­els plus abon­dants4. Et des études géné­tiques, basées sur les travaux de Luiza Moore et pub­liées dans Nature en 20205, ont mon­tré que des muta­tions sur­venant naturelle­ment dans l’en­domètre pou­vaient être retrou­vées dans ces lésions péri­tonéales. Tous ces élé­ments indiquent un lien évi­dent avec l’o­rig­ine de ces lésions.

La ques­tion est main­tenant de savoir pourquoi ces lésions ne se dévelop­pent que chez cer­taines femmes et/ou chez cer­taines AFAB. Existe-t-il des dif­férences au niveau du sys­tème immu­ni­taire ou du sys­tème hor­mon­al ? D’autres fac­teurs sont-ils impliqués ? C’est sur ces orig­ines de la cause que la recherche est prin­ci­pale­ment axée.

L’une des difficultés de cette maladie est-elle que l’endométriose est compliquée à étudier ?

Oui, il est vrai­ment dif­fi­cile de suiv­re l’évo­lu­tion de la mal­adie, en par­ti­c­uli­er les lésions super­fi­cielles. Cer­tains sous-types, comme l’en­dométriose ovari­enne (kystes sur les ovaires) ou la mal­adie nodu­laire pro­fonde, peu­vent générale­ment être visu­al­isés par imagerie, mais dans le cas de l’en­dométriose super­fi­cielle, la seule façon de voir com­ment la mal­adie évolue est de procéder à une inter­ven­tion chirurgicale.

Nous n’avons pas non plus beau­coup de mod­èles spon­tanés de la mal­adie – en-dehors de l’humain, très peu d’an­i­maux sont réglés et ménopausés. Cer­tains pri­mates non-humains, comme les Macaques rhé­sus, peu­vent dévelop­per spon­tané­ment une endométriose comme les humains. Mais il s’ag­it bien sûr d’une espèce très dif­fi­cile à étudi­er. Il existe cepen­dant quelques mod­èles de lab­o­ra­toire dont la phys­i­olo­gie se rap­proche de celle de l’être humain, comme le mod­èle de souris men­struée6 mis au point par Erin Greaves, qui com­bine l’ense­mence­ment de tis­su endomé­tri­al avec un mod­èle de fluc­tu­a­tion hor­monale induite pour favoris­er la crois­sance de ces lésions. Mais aucun de ces mod­èles ne reflète véri­ta­ble­ment la sit­u­a­tion humaine.

Une piste poten­tielle, mais pas moins exci­tante, est en train de voir le jour : les organoïdes. Dif­férents types de cel­lules humaines sont cul­tivés ensem­ble en lab­o­ra­toire et reflè­tent ain­si l’ar­chi­tec­ture plus com­plexe des tis­sus humains pour la recherche. Ce tra­vail en est encore à ses débuts, car l’en­domètre est un tis­su très com­plexe, mais je pense que nous ver­rons des avancées majeures dans les années à venir.

La génétique et l’héritabilité constituent-elles d’autres domaines de recherche passionnants pour l’endométriose ?

Nous savons depuis longtemps que l’en­dométriose peut être hérédi­taire – env­i­ron 50 % du risque de mal­adie7 dans la pop­u­la­tion générale est attribuable à des fac­teurs géné­tiques, ce qui représente une héri­tabil­ité non-nég­lige­able. Mais l’en­dométriose est ce que nous appelons une mal­adie com­plexe, ce qui sig­ni­fie que des fac­teurs géné­tiques, des fac­teurs envi­ron­nemen­taux et d’autres aspects que nous ne com­prenons pas encore tout à fait con­tribuent au risque.

Aucun gène unique n’ex­pli­querait la majorité des cas hérédi­taires. Néan­moins, notre tra­vail8, une analyse haute­ment col­lab­o­ra­tive des bases de don­nées géné­tiques mon­di­ales, four­nit quelques indices. Nous avons trou­vé env­i­ron 40 régions du génome qui abri­tent des vari­antes con­nues pour aug­menter le risque d’en­dométriose. Ces vari­antes pour­raient être liées à des voies par­ti­c­ulières, ce qui ouvre de nou­velles pistes de recherche.

À tra­vers ce tra­vail, nous avons égale­ment décou­vert une base géné­tique com­mune à toute une série de comor­bid­ités de la mal­adie. Cer­taines d’en­tre elles étaient peut-être évi­dentes, par exem­ple le risque partagé avec des trou­bles de la repro­duc­tion tels que les fibromes utérins. Ces derniers parta­gent prob­a­ble­ment avec l’en­dométriose des fac­teurs de risque hor­monaux qui sont régulés géné­tique­ment. En revanche, cer­taines autres patholo­gies que nous avons trou­vées, liées à l’en­dométriose, telles que les patholo­gies inflam­ma­toires comme l’asthme et l’arthrose, et les patholo­gies douloureuses comme les lom­bal­gies, les migraines et les douleurs mul­ti­sites, ont été une véri­ta­ble sur­prise. Cela pour­rait sig­ni­fi­er que les traite­ments exis­tants pour ces patholo­gies pour­raient être réaf­fec­tés à l’en­dométriose et vice-ver­sa, ou que de nou­veaux traite­ments pour­raient être mis au point pour ces pathologies.

Quelles sont les différentes options de traitement pour les personnes souffrant d’endométriose et quelles sont les nouvelles avancées dans ce domaine ?

On se rend compte, et je pense que c’est très sain, que la chirurgie n’est pas néces­saire­ment béné­fique pour tout le monde. C’est par­ti­c­ulière­ment vrai pour les per­son­nes qui ont subi plusieurs opéra­tions et dont la mal­adie est réap­parue ou, dont les symp­tômes n’ont pas dis­paru après l’in­ter­ven­tion, ou même encore pour les per­son­nes très jeunes.

L’en­dométriose est une mal­adie « com­plexe », ce qui sig­ni­fie que des fac­teurs géné­tiques, des fac­teurs envi­ron­nemen­taux et d’autres aspects que nous ne com­prenons pas encore tout à fait con­tribuent au risque.

Les traite­ments hor­monaux, sous dif­férentes formes, restent le traite­ment prin­ci­pal. Le traite­ment de pre­mière inten­tion est un con­tra­cep­tif oral, qui peut être effi­cace chez cer­taines femmes, mais qui ne peut pas être util­isé si la per­son­ne souhaite con­cevoir un enfant. Dans la même ligne, il y a les ana­logues de l’hor­mone de libéra­tion des gonadotrophines (GnRH), des traite­ments qui arrê­tent effec­tive­ment l’axe hor­mon­al et créent une forme de ménopause médi­cale. Ces traite­ments sont à la fois ago­nistes et antag­o­nistes, avec des avan­tages et des inconvénients.

Les options thérapeu­tiques disponibles sont mieux que rien, mais le véri­ta­ble besoin réside dans le développe­ment de traite­ments non-hor­monaux. C’est en fin de compte ce que veu­lent les femmes, tant dans le monde uni­ver­si­taire que dans divers­es entre­pris­es qui cherchent à dévelop­per ces nou­veaux traite­ments. On s’in­téresse, par exem­ple, aux traite­ments immunologiques qui atténu­ent l’in­flam­ma­tion asso­ciée à l’en­dométriose. Il s’ag­it d’une ques­tion déli­cate, bien sûr, car comme tout ce qui implique le sys­tème immu­ni­taire, de tels traite­ments pour­raient entraîn­er des effets secondaires.

Et qu’en est-il des personnes assignées femme à la naissance, non-cisgenres, qui développent une endométriose ?

Pra­tique­ment toutes les clin­iques du Roy­aume-Uni qui trait­ent l’en­dométriose reçoivent des per­son­nes qui s’i­den­ti­fient comme des femmes et des hommes trans­gen­res. Toutes les préoc­cu­pa­tions que nous avons sur la manière de gér­er la mal­adie et de la traiter affectent claire­ment les deux groupes de la même manière, bien que les hommes trans soient un groupe sous-étudié en ter­mes de ges­tion opti­male de la mal­adie. L’in­clu­sion, tant dans l’op­ti­mi­sa­tion de la ges­tion clin­ique en répon­dant aux besoins de tous les patients que dans la recherche, est extrême­ment impor­tante pour l’avenir. Nous devons prob­a­ble­ment faire mieux dans ce domaine à l’échelle mondiale.

Marianne Guenot

1https://​www​.who​.int/​n​e​w​s​-​r​o​o​m​/​f​a​c​t​-​s​h​e​e​t​s​/​d​e​t​a​i​l​/​e​n​d​o​m​e​t​r​iosis
2https://​www​.mck​in​sey​.com/​m​h​i​/​o​u​r​-​i​n​s​i​g​h​t​s​/​c​l​o​s​i​n​g​-​t​h​e​-​w​o​m​e​n​s​-​h​e​a​l​t​h​-​g​a​p​-​a​-​1​-​t​r​i​l​l​i​o​n​-​d​o​l​l​a​r​-​o​p​p​o​r​t​u​n​i​t​y​-​t​o​-​i​m​p​r​o​v​e​-​l​i​v​e​s​-​a​n​d​-​e​c​o​n​omies
3https://​www​.white​house​.gov/​w​h​i​t​e​-​h​o​u​s​e​-​i​n​i​t​i​a​t​i​v​e​-​o​n​-​w​o​m​e​n​s​-​h​e​a​l​t​h​-​r​e​s​e​arch/
4https://​www​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​p​m​c​/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​P​M​C​5​7​3​7931/
5https://www.nature.com/articles/s41586-020‑2214‑z
6https://​pubmed​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​2​4​9​1​0298/
7https://​www​.sci​encedi​rect​.com/​s​c​i​e​n​c​e​/​a​r​t​i​c​l​e​/​p​i​i​/​S​0​0​1​5​0​2​8​2​1​5​0​04628
8https://​www​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​p​m​c​/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​P​M​C​1​0​0​4​2257/

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