L’endométriose est un fardeau pour un grand nombre de femmes et de personnes assignées femme à la naissance (qu’on nommera AFAB pour Assigned Female At Birth). Cette maladie inflammatoire, qui touche environ 1 femme sur 10 en âge de procréer1, peut provoquer des douleurs chroniques extrêmes et un problème de fertilité. Récemment, il a été découvert qu’elle était liée à toute une série de comorbidités. Cette maladie a longtemps fait l’objet de très peu de recherches, mais des avancées récentes donnent enfin de l’espoir à ce domaine. Jetons un coup d’œil sur ce qui enthousiasme les chercheurs.
Par le passé, l’endométriose a été négligée, mais les laboratoires de recherche ont récemment fait preuve d’un regain d’intérêt et des avancées notoires commencent à voir le jour. Qu’est-ce qui a changé ?
Ce que nous voyons aujourd’hui est le résultat d’une prise de conscience progressive au fil du temps. Lorsque j’ai commencé à travailler sur l’endométriose en tant qu’étudiante au milieu des années 1990, la plupart des gens n’en avaient jamais vraiment entendu parler, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes. J’ai vu cette situation changer rapidement au cours des dernières décennies.
Ce n’est pas seulement l’endométriose, c’est la santé des femmes dans son ensemble qui a émergé des marges de la recherche. Dans les annales de la recherche biomédicale en général, les femmes et personnes assignées femme à la naissance ont longtemps été traitées comme des « petits hommes », les doses de médicaments développées pour les hommes étant simplement ajustées en fonction du poids et de la stature. Cela ne tient manifestement pas compte de la manière dont les systèmes hormonaux complexes interagissent avec la biologie.
Il est aujourd’hui largement reconnu que cette pénurie de recherche représente un fardeau énorme pour la société. Le World Economic Forum a publié en janvier un rapport2 de McKinsey qui estime que si on comblait le fossé en matière de santé des femmes, cela permettrait à l’économie mondiale d’économiser environ 1 000 milliards de dollars par an. C’est tout simplement stupéfiant – je pense que cela a vraiment fait réagir les gens. Parallèlement, certains pays ont fait de la santé des femmes un point important de leur programme de recherche.
Aux États-Unis, par exemple, la première dame, Jill Biden, a lancé en février dernier une initiative de la Maison Blanche3 qui consacre 100 millions de dollars à des aspects clés de la santé des femmes qui n’ont pas encore été abordés de manière appropriée. La Stratégie pour la santé des femmes en Angleterre ainsi que la Stratégie pour la santé des femmes en Écosse, publiées respectivement en 2022 et 2021, ont permis de mettre l’accent sur l’amélioration de la gestion de la santé des femmes, ce qui était véritablement nécessaire. La France a elle aussi, clairement mis l’accent sur l’amélioration de la situation des femmes atteintes d’endométriose.
Que pouvez-vous dire de l’évolution de notre compréhension sur l’origine de l’endométriose ?
Je pense qu’il est assez bien accepté que la maladie péritonéale superficielle, qui peut se produire à l’intérieur de l’abdomen, provient de ce que nous appelons la menstruation rétrograde. Presque toutes les femmes et les personnes assignées femmes à la naissance ont du sang menstruel qui remonte dans les trompes de Fallope et dans la cavité pelvienne. Certains de ces débris menstruels contiennent des cellules endométriales viables qui sont très probablement à l’origine des lésions péritonéales.
Cette idée est étayée par de nombreuses études. Des études en laboratoire ont d’ailleurs montré que des cellules endométriales ensemencées dans des souris de laboratoire développaient ces lésions. Des études épidémiologiques ont montré un lien entre le risque d’endométriose et l’âge précoce des premières règles, des cycles plus courts et des saignements menstruels plus abondants4. Et des études génétiques, basées sur les travaux de Luiza Moore et publiées dans Nature en 20205, ont montré que des mutations survenant naturellement dans l’endomètre pouvaient être retrouvées dans ces lésions péritonéales. Tous ces éléments indiquent un lien évident avec l’origine de ces lésions.
La question est maintenant de savoir pourquoi ces lésions ne se développent que chez certaines femmes et/ou chez certaines AFAB. Existe-t-il des différences au niveau du système immunitaire ou du système hormonal ? D’autres facteurs sont-ils impliqués ? C’est sur ces origines de la cause que la recherche est principalement axée.
L’une des difficultés de cette maladie est-elle que l’endométriose est compliquée à étudier ?
Oui, il est vraiment difficile de suivre l’évolution de la maladie, en particulier les lésions superficielles. Certains sous-types, comme l’endométriose ovarienne (kystes sur les ovaires) ou la maladie nodulaire profonde, peuvent généralement être visualisés par imagerie, mais dans le cas de l’endométriose superficielle, la seule façon de voir comment la maladie évolue est de procéder à une intervention chirurgicale.
Nous n’avons pas non plus beaucoup de modèles spontanés de la maladie – en-dehors de l’humain, très peu d’animaux sont réglés et ménopausés. Certains primates non-humains, comme les Macaques rhésus, peuvent développer spontanément une endométriose comme les humains. Mais il s’agit bien sûr d’une espèce très difficile à étudier. Il existe cependant quelques modèles de laboratoire dont la physiologie se rapproche de celle de l’être humain, comme le modèle de souris menstruée6 mis au point par Erin Greaves, qui combine l’ensemencement de tissu endométrial avec un modèle de fluctuation hormonale induite pour favoriser la croissance de ces lésions. Mais aucun de ces modèles ne reflète véritablement la situation humaine.
Une piste potentielle, mais pas moins excitante, est en train de voir le jour : les organoïdes. Différents types de cellules humaines sont cultivés ensemble en laboratoire et reflètent ainsi l’architecture plus complexe des tissus humains pour la recherche. Ce travail en est encore à ses débuts, car l’endomètre est un tissu très complexe, mais je pense que nous verrons des avancées majeures dans les années à venir.
La génétique et l’héritabilité constituent-elles d’autres domaines de recherche passionnants pour l’endométriose ?
Nous savons depuis longtemps que l’endométriose peut être héréditaire – environ 50 % du risque de maladie7 dans la population générale est attribuable à des facteurs génétiques, ce qui représente une héritabilité non-négligeable. Mais l’endométriose est ce que nous appelons une maladie complexe, ce qui signifie que des facteurs génétiques, des facteurs environnementaux et d’autres aspects que nous ne comprenons pas encore tout à fait contribuent au risque.
Aucun gène unique n’expliquerait la majorité des cas héréditaires. Néanmoins, notre travail8, une analyse hautement collaborative des bases de données génétiques mondiales, fournit quelques indices. Nous avons trouvé environ 40 régions du génome qui abritent des variantes connues pour augmenter le risque d’endométriose. Ces variantes pourraient être liées à des voies particulières, ce qui ouvre de nouvelles pistes de recherche.
À travers ce travail, nous avons également découvert une base génétique commune à toute une série de comorbidités de la maladie. Certaines d’entre elles étaient peut-être évidentes, par exemple le risque partagé avec des troubles de la reproduction tels que les fibromes utérins. Ces derniers partagent probablement avec l’endométriose des facteurs de risque hormonaux qui sont régulés génétiquement. En revanche, certaines autres pathologies que nous avons trouvées, liées à l’endométriose, telles que les pathologies inflammatoires comme l’asthme et l’arthrose, et les pathologies douloureuses comme les lombalgies, les migraines et les douleurs multisites, ont été une véritable surprise. Cela pourrait signifier que les traitements existants pour ces pathologies pourraient être réaffectés à l’endométriose et vice-versa, ou que de nouveaux traitements pourraient être mis au point pour ces pathologies.
Quelles sont les différentes options de traitement pour les personnes souffrant d’endométriose et quelles sont les nouvelles avancées dans ce domaine ?
On se rend compte, et je pense que c’est très sain, que la chirurgie n’est pas nécessairement bénéfique pour tout le monde. C’est particulièrement vrai pour les personnes qui ont subi plusieurs opérations et dont la maladie est réapparue ou, dont les symptômes n’ont pas disparu après l’intervention, ou même encore pour les personnes très jeunes.
L’endométriose est une maladie « complexe », ce qui signifie que des facteurs génétiques, des facteurs environnementaux et d’autres aspects que nous ne comprenons pas encore tout à fait contribuent au risque.
Les traitements hormonaux, sous différentes formes, restent le traitement principal. Le traitement de première intention est un contraceptif oral, qui peut être efficace chez certaines femmes, mais qui ne peut pas être utilisé si la personne souhaite concevoir un enfant. Dans la même ligne, il y a les analogues de l’hormone de libération des gonadotrophines (GnRH), des traitements qui arrêtent effectivement l’axe hormonal et créent une forme de ménopause médicale. Ces traitements sont à la fois agonistes et antagonistes, avec des avantages et des inconvénients.
Les options thérapeutiques disponibles sont mieux que rien, mais le véritable besoin réside dans le développement de traitements non-hormonaux. C’est en fin de compte ce que veulent les femmes, tant dans le monde universitaire que dans diverses entreprises qui cherchent à développer ces nouveaux traitements. On s’intéresse, par exemple, aux traitements immunologiques qui atténuent l’inflammation associée à l’endométriose. Il s’agit d’une question délicate, bien sûr, car comme tout ce qui implique le système immunitaire, de tels traitements pourraient entraîner des effets secondaires.
Et qu’en est-il des personnes assignées femme à la naissance, non-cisgenres, qui développent une endométriose ?
Pratiquement toutes les cliniques du Royaume-Uni qui traitent l’endométriose reçoivent des personnes qui s’identifient comme des femmes et des hommes transgenres. Toutes les préoccupations que nous avons sur la manière de gérer la maladie et de la traiter affectent clairement les deux groupes de la même manière, bien que les hommes trans soient un groupe sous-étudié en termes de gestion optimale de la maladie. L’inclusion, tant dans l’optimisation de la gestion clinique en répondant aux besoins de tous les patients que dans la recherche, est extrêmement importante pour l’avenir. Nous devons probablement faire mieux dans ce domaine à l’échelle mondiale.