Des artères artificielles pour mieux étudier des maladies
- Le développement des artères et des vaisseaux artificiels a pour but de prendre en compte la mécanique des fluides dans les artères afin de mieux soigner.
- Ce système est déployé en collaboration avec le CHU de Lille afin de mesurer la production et distribution du facteur Willebrand impliqué dans la formation des thromboses, qui peuvent boucher des vaisseaux sanguins.
- Un autre modèle d’artères est utilisé pour représenter les maladies microvasculaires comme l’hypertension ou encore Alzheimer.
- Ces modèles permettent d’étudier cette question en représentant un vaisseau dans sa complexité, avec les différents types de cellules qui le constituent ou qui lui sont associés dans le cerveau.
Petits chemins sinueux ou autoroutes sanguines, les vaisseaux sont des éléments essentiels de la biologie. Longtemps considérés comme de simples tuyaux poreux par la physiologie, ils s’avèrent impliqués dans de complexes mécanismes à la fois physiques et biochimiques que l’équipe d’Abdul Barakat étudie dans le Laboratoire d’hydrodynamique (LadHyX).
Nous développons des artères et vaisseaux artificiels pour étudier la formation de phénomènes biologiques, comme les maladies, à différentes échelles. Il s’agit de prendre en compte une dimension souvent négligée par la biologie moderne : la mécanique des fluides dans les artères. Nous avons ainsi imaginé deux modèles, qui s’adaptent et s’inscrivent à de multiples questions médicales.
De la maladie coronarienne…
Le premier est formé à partir d’une base d’hydrogel de collagène formant un tube de 3 millimètres de diamètre interne et 4,5 millimètres de diamètre externe. On y introduit des cellules musculaires lisses et des cellules endothéliales, qui forment les artères naturelles. On obtient ainsi des vaisseaux artificiels ressemblant fortement à une artère coronaire, qui alimente le cœur en oxygène. Ce modèle représente un régime d’écoulement à très haute pression, avec du cisaillement. Il est destiné à étudier la maladie coronarienne (athérosclérose).
Afin de caractériser la réponse cellulaire aux facteurs mécaniques induits, il est possible d’y associer des systèmes d’imagerie à haute résolution, comme de la microscopie à fluorescence confocale, mais également des capteurs d’impédance. En disposant ces capteurs sur la paroi de nos artères artificielles, nous produisons une véritable spatialisation qui rend compte de la dynamique cellulaire engagée. Cette approche permet de rendre compte de la dynamique des réponses cellulaires ou d’interactions entre les différents types de cellules de la paroi vasculaire.
Ce système est, par exemple, déployé en collaboration avec le CHU de Lille afin de mesurer la production et distribution du facteur Willebrand impliqué dans la formation des thromboses, ces bouchons des vaisseaux sanguins. Il permet également, à l’Université New South Wales de Sydney d’étudier l’effet des turbulences sur les parois artérielles et à l’EFS de Strasbourg, la formation des plaquettes dans le sang.
Au sein du Ladhyx, il nous aide à comprendre la cicatrisation d’un vaisseau lors de la pose d’un stent, ces petits ressorts qui permettent de corriger un rétrécissement vasculaire. La procédure peut endommager les cellules endothéliales qui tapissent la lumière des vaisseaux. Cela produit un nouveau risque de sténose, d’affaissement des parois. En anticipant les caractéristiques de la cicatrisation pour chaque type de stents, nous espérons éviter ce phénomène 1.
… à la maladie microvasculaire
Le second type de modèle, toujours d’une base d’hydrogel de collagène, présente des diamètres de 120 à 150 µm 2 et permet de représenter des maladies microvasculaires comme l’hypertension ou la maladie d’Alzheimer. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, on considère souvent cette pathologie cérébrale comme une maladie provoquée par le comportement anormal de peptides (tau ou β‑amyloïde). Mais cette représentation n’a pas permis de produire de réelles avancées cliniques malgré des investissements importants au cours des dernières décennies. Désormais, émerge l’idée que la maladie d’Alzheimer peut résulter d’un trouble microvasculaire. Des laboratoires ont montré une corrélation entre cette maladie et une hypoperfusion cérébrale, c’est-à-dire une circulation sanguine anormale dans le cerveau.
Il est possible, dans certains modèles animaux, de manipuler la perfusion du cerveau. On observe alors une dégénération de neurones et une accumulation des peptides incriminés dans la maladie d’Alzheimer. On suspecte donc qu’une anomalie de facteurs mécaniques participe au développement de la maladie, voire l’initie. Nos modèles permettent d’étudier cette question en représentant un vaisseau dans sa complexité, avec les différents types de cellules qui le constituent ou qui lui sont associés dans le cerveau. Nous pouvons même faire varier la composition cellulaire afin de représenter différentes situations biologiques.
D’une manière générale, nos modèles ouvrent à l’étude des effets biologiques des forces mécaniques. On sait que de tels facteurs peuvent modifier l’expression de protéines. Il existe donc une dimension d’interactions mécanico-biochimique que nous cherchons à explorer.
Du modèle à la clinique
Les progrès de la modélisation mathématique, de la bioingénierie ou de la médecine in silico aboutissent au développement de modèles des pathologies humaines de plus en plus performants. Dans un éditorial de la dernière conférence Virtual Physiological Human 3, des spécialistes montrent que ces dernières générations de modèles rencontrent la clinique à plusieurs niveaux.
Ils peuvent mettre en lumière des aspects jusqu’alors inconnus de la physiopathologie et donc ouvrir de nouvelles pistes de traitement. C’est le cas du modèle d’apnée du sommeil obstructive proposé par l’équipe de Virginie Le Rolle et Alfredo Hernández à l’Université de Rennes qui analyse le couplage entre la respiration, le métabolisme et la mécanique pulmonaire.
Certains autorisent des calculs individualisés selon les données d’un patient et donc améliorent la personnalisation de la prise en charge. Le modèle l’électrophysiologie cardiaque associant des données d’IRM et l’ECG développé sous la direction de Gernot Plank, de l’Université médicale de Graz en Autriche, s’inscrit dans cette démarche.
D’autres enfin aident à anticiper et prendre en charge les complications de traitement, comme ce modèle de cicatrisation post césarienne proposé par Fernanda Fidalgo de l’Université de Porto. Autant d’exemples du rapprochement salutaires des modèles et de la pratique clinique.