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De la guérison à la prédiction : la transformation algorithmique de la santé

Etienne Minvielle, directeur du Centre de recherche en gestion de l'École polytechnique (IP Paris)
Le 26 février 2025 |
4 min. de lecture
Etienne Minvielle
Etienne Minvielle
directeur du Centre de recherche en gestion de l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • La prévention algorithmique se distingue, entre autres, de la prévention classique par son caractère personnalisé et son suivi dynamique.
  • Le programme Interception montre par exemple que 40 % des formes sévères de cancer auraient pu être identifiées en amont grâce à des procédés algorithmiques.
  • L’innovation est essentielle pour soutenir une politique de prévention efficace, face à de nouveaux défis (vieillissement de la population, enjeux climatiques, etc.).
  • Il est important de transformer nos modèles de financement médicaux afin de mieux prendre en charge la prévention, souvent négligée au profit de la curation.
  • Pour démontrer l’intérêt de la prédiction dans le domaine médical, il s’agit notamment de fournir des preuves suffisantes de son efficacité.

« Il y a quelques années, nous nous sommes réu­nis en tant que chercheurs du Cen­tre de recherche en ges­tion de l’École poly­tech­nique (IP Paris) avec un groupe de poly­tech­ni­ciens tra­vail­lant dans le secteur de la san­té, détaille Éti­enne Min­vielle, directeur de recherche CNRS. L’un des objec­tifs était de réfléchir à une manière de faire dia­loguer les inno­va­tions tech­nologiques avec les besoins du sys­tème de soin. » Cette réu­nion a lancé une série de sémi­naires sur la préven­tion algo­rith­mique. « Il y a deux ans, à titre per­son­nel, je ne con­nais­sais pas trop ce thème, admet-il. À vrai dire, je ne voy­ais pas trop ce qui pou­vait en être dit. Alors que, après avoir ani­mé ces sémi­naires, je me rends compte de l’importance de ce sujet pour amélior­er la préven­tion. »

Car, si ce thème restait au début mécon­nu, même pour des pro­fes­sion­nels du milieu, ces réflex­ions ont mis en avant que la préven­tion algo­rith­mique touche presque tous les domaines de la médecine (oncolo­gie, géri­a­trie, psy­chi­a­trie, neu­rolo­gie, etc.).

De la théorie à la pratique, l’algorithme prévient la maladie

Des jumeaux numériques à la préven­tion des épidémies, en pas­sant par le bien vieil­lir et la psy­chi­a­trie aug­men­tée, ces sémi­naires mon­trent que la préven­tion algo­rith­mique ne se lim­ite pas à un domaine spé­ci­fique. Elle ouvre la voie à une trans­for­ma­tion sys­témique de la médecine, reliant les inno­va­tions tech­nologiques aux enjeux socié­taux. La préven­tion en san­té peut aujourd’hui pren­dre deux formes, une préven­tion clas­sique, qui s’adresse à un large groupe de pop­u­la­tion, et une préven­tion dite algo­rith­mique, elle, plus per­son­nal­isée. « La préven­tion algo­rith­mique dif­fère de la clas­sique par le fait qu’elle est per­son­nal­isée et accom­pa­g­née d’un suivi dynamique, rap­pelle Éti­enne Min­vielle. Ce qui implique une col­lecte de don­nées con­séquente sur des fac­teurs géné­tiques, mais aus­si socio-économiques et com­porte­men­taux. » 

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À lire aus­si : Com­ment le numérique per­son­nalise le par­cours de soins

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Ces don­nées récoltées, cou­plées à une con­nais­sance plus appro­fondie du développe­ment de la mal­adie, don­nent une pos­si­bil­ité de mieux prédire. « Par exem­ple, le pro­gramme Inter­cep­tion de Gus­tave Roussy part du con­stat que 40 % des formes sévères de can­cer auraient pu être iden­ti­fiées en amont par ces procédés algo­rith­miques, développe-t-il. Des tests sont ain­si menés pour iden­ti­fi­er des poly­mor­phismes géné­tiques, c’est-à-dire des com­bi­naisons de muta­tions géné­tiques, chez des per­son­nes iden­ti­fiées à risque. Cou­plés à une analyse des fac­teurs de risque envi­ron­nemen­taux, ils per­me­t­tent de prédire le risque de sur­v­enue du can­cer et de l’ “inter­cepter” avant même qu’il puisse se dévelop­per, grâce à un suivi per­son­nal­isé. »

40 % des can­cers seraient donc évita­bles, et Fab­rice Bar­lesi, directeur général de Gus­tave Roussy, en est bien con­scient : « Une fois que nous savons cela, nous pou­vons con­stater l’importance de la préven­tion. Mais aus­si, nous devons nous deman­der pourquoi, aujourd’hui, celle-ci ne fonc­tionne pas – l’exemple du tabag­isme en témoigne. D’ailleurs, nos pro­grammes de dépistage, c’est-à-dire de détec­tion pré­coce de la mal­adie, ont égale­ment du mal. Pour y remédi­er, il fau­dra réus­sir à iden­ti­fi­er les per­son­nes aux risques les plus élevés dans l’op­tique d’intercepter cette mal­adie. »  

Un sché­ma sim­i­laire se retrou­ve dans la préven­tion établie par le pro­gramme ICOPE dans sa quête du bien vieil­lir, dans la préven­tion du déclin cog­ni­tif (comme avec la mal­adie d’Alzheimer), et dans d’autres con­di­tions (car­di­olo­gie, san­té men­tale, bien-être).

La science derrière l’algorithme

Cepen­dant, les exem­ples d’application de ce type de préven­tion met­tent en lumière sa dépen­dance à nos avancées aus­si bien sci­en­tifiques que tech­nologiques et organ­i­sa­tion­nelles. « Aujourd’hui, nous voyons bien que l’innovation est un levi­er majeur pour con­courir à une poli­tique de préven­tion effi­cace, conçoit Lise Alter, ex-direc­trice générale de l’Agence de l’innovation en san­té. Et, entre le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion impli­quant une aug­men­ta­tion de la pré­va­lence des mal­adies chroniques, les enjeux cli­ma­tiques aus­si divers que var­iés, mais aus­si ce fac­teur lim­i­tant que con­stituent les ressources humaines dans le domaine du soin, nous allons devoir faire face à des défis majeurs pour lesquels notre sys­tème de san­té doit néces­saire­ment se trans­former. »

Et ce sont ces défis majeurs qui ren­dent les promess­es d’une préven­tion algo­rith­mique aus­si atti­rante. « Qui dit “trans­for­ma­tions”, pour­suit-elle, dit “mod­i­fi­ca­tions” dans nos mod­èles à la fois de finance­ment, qui sont surtout basés sur le curatif, et non le préven­tif. D’évaluation et aus­si de démon­stra­tion de la valeur deman­dant une appli­ca­tion à une échelle pop­u­la­tion­nelle suff­isante pour avoir une puis­sance de démon­stra­tion. » Surtout que la démon­stra­tion d’efficacité ne doit pas s’arrêter à l’aspect clin­ique, mais doit aus­si porter sur l’impact d’un tel change­ment sur l’organisation des soins, ou sur la qual­ité de vie du per­son­nel de soin. « Ce sont donc des con­sid­éra­tions beau­coup plus larges que le sim­ple impact clin­ique sur le patient, même si cela reste un point fon­da­men­tal. »  

De son côté, Nico­las Rev­el, directeur général de l’AP-HP, Assis­tance Publique – Hôpi­taux de Paris, est clair : « Ma con­vic­tion est que nous allons devoir pass­er de ce qui est une belle idée, la préven­tion, à une réal­ité. Cela néces­sit­era de lever quelques blocages, tant économiques que financiers. Et, effec­tive­ment, à une époque où nous cher­chons à réduire les dépens­es, l’innovation sera clef pour con­va­in­cre les décideurs à inve­stir et réus­sir son implan­ta­tion. »­ Un des axes d’attaque pour­rait aus­si être la démon­stra­tion d’efficacité, autant pour la préven­tion pri­maire que sec­ondaire et ter­ti­aire. « Bien que la préven­tion pri­maire demande un investisse­ment sur le long terme, elle crée des béné­fices qui se réper­cu­tent sur la préven­tion sec­ondaire et ter­ti­aire. Ain­si, nous seri­ons capa­bles d’amener un sys­tème de soin au plus proche du malade. »

Ce n’est donc pas une trans­for­ma­tion qui pour­ra se faire du jour au lende­main, et, comme le rap­pelle juste­ment Lise Alter : « Avant de pou­voir amorcer quel­con­ques change­ments, il faut des preuves suff­isantes pour apporter ces élé­ments d’objectivation. »

Pablo Andres

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