Covid, grossesse, crise cardiaque… vers une amélioration des tests
- Les tests à flux latéral (LFA) sont plus rapides, moins chers et moins nécessiteux que les tests en laboratoire.
- Le test LFA ne propose qu’une réponse qualitative, là où il serait utile de déterminer une réponse également quantitative.
- Utiliser des nanoparticules luminescentes dans les tests LFA permettrait d’améliorer de 40 à 50 fois leur sensibilité, tout en réduisant leur coût.
- Cette méthode est développée dans le but de faciliter l’accès aux analyses, à n’importe quel endroit et à n’importe quel moment.
- Un petit appareil a été développé afin d’illuminer les nanoparticules et ainsi faciliter la lecture du résultat obtenu.
Depuis la pandémie du Covid-19, nous sommes tous devenus familiers avec les tests à flux latéral (LFA) — aussi appelés tests antigéniques en langage courant. Ce type de test peut, en principe, détecter la présence de n’importe quel antigène protéique dans les fluides du corps (urine, sang, salive,…) — pas seulement le SARS-CoV‑2. Leur avantage par rapport aux tests classiques réalisés en laboratoire d’analyse médicale (de type ELISA par exemple) réside dans le fait qu’ils sont rapides (15 min au lieu de plusieurs heures), peu coûteux et que leur réalisation ne nécessite pas les équipements lourds des laboratoires.
Ils sont donc utiles pour détecter de nombreuses maladies, mais aussi des changements dans le corps comme une grossesse, ou bien la présence d’une protéine dans sa nourriture qui causerait une intoxication alimentaire. Seulement, contrairement aux tests ELISA, l’une des limitations des tests LFA est qu’ils donnent seulement une réponse qualitative. Pour un test de grossesse, par exemple, les résultats se limitent encore à du « oui/non » — soit vous êtes enceinte, soit vous ne l’êtes pas. Or, il existe de nombreux cas où il serait utile de déterminer la quantité de la protéine recherchée. Par exemple : « oui » vous êtes enceinte, mais depuis combien de semaines ? Ou bien, « oui » vous avez le Covid, mais avec quelle charge virale ?
Notre méthode peut être considérée comme 40 à 50x plus sensible que la traditionnelle.
Autre limitation du test LFA : ils sont peu sensibles. Développer des tests LFA quantitatifs et sensibles exploserait les frontières des possibilités d’utilisation de ces tests. Ils pourraient aller jusqu’à indiquer la période depuis laquelle la grossesse s’est enclenchée. Cette sensibilité et cette précision permettraient aussi à ce test de, par exemple, détecter la quantité de protéine cTnI naturellement sécrétée avant un arrêt cardiaque. Couplé avec sa nouvelle accessibilité, il pourrait être effectué directement dans l’ambulance, facilitant la prise en charge du patient.
120x moins d’anticorps, 40x plus sensible
Fanny Mousseau, chercheuse au Laboratoire d’Optique et Biosciences à l’Institut Polytechnique de Paris, travaille sur le développement de tests LFA basés sur une nouvelle technologie. Les tests LFA reposent sur l’utilisation d’anticorps de détection qui s’accrochent aux protéines ciblées. « L’anticorps (~10 nm) doit être, dans ce type de tests, couplé à quelque chose de perceptible à l’œil nu, précise la chercheuse, quelque chose de plus gros et de coloré, d’où l’utilisation des nanoparticules d’or (~50 à 100 nm) dans les tests commerciaux. La première étape de notre travail était donc de trouver un substitut ayant un signal optique plus intense et quantifiable. »
La nouveauté : changer les nanoparticules d’or par des nanoparticules luminescentes. « En utilisant des nanoparticules luminescentes, nous avons réussi à améliorer la sensibilité du test, et l’avons rendu quantitatif et plus robuste. » Et après quelques recherches permettant d’optimiser l’utilisation de ces nanoparticules, l’équipe du Laboratoire parvient à en utiliser 4x moins que les nanoparticules d’or, ce qui revient à utiliser 120x moins d’anticorps de détection et donc à réduire considérablement le coût d’un test. « En analysant à l’œil nu les LFA réalisés avec nos nanoparticules, la concentration de protéine la plus basse détectable est 5x à 10x plus faible, indique la chercheuse. En utilisant notre méthode d’analyse optique, faite à l’aide de l’application que nous avons développée dans ce but, nous pouvons détecter des concentrations encore 2 à 4x plus faibles. Avec les deux combinés, notre méthode peut être considérée comme 40 à 50x plus sensible que la traditionnelle. »
En plus de ce gain en sensibilité, utiliser des nanoparticules luminescentes permet à ce test de devenir quantitatif, au lieu d’être qualitatif comme celui avec des nanoparticules d’or. « Un test est considéré comme précis si après trois répétitions, nous obtenons trois fois la même mesure, précise Fanny Mousseau. Cependant, en déterminant avec précision la quantité de protéines ciblées présentes dans le corps, nous pouvons par exemple déterminer le stade d’une maladie et suivre son évolution. »
Deux tests en un, le multiplexage
L’équipe du Laboratoire travaille également sur le potentiel que cette méthode a sur le multiplexage — possibilité de détecter plusieurs protéines en un seul test, et donc en une seule manipulation. « Dans le cas de certaines pathologies, ce n’est pas l’évolution d’une seule protéine qui est intéressante, mais celle de plusieurs, précise la chercheuse. Par exemple, l’endocan est un biomarqueur de l’inflammation. Cette protéine existe sous deux formes, “natives” et “clivées”, et connaître les quantités respectives de ces deux formes peut permettre de mieux définir le traitement de certaines pathologies pulmonaires. Pour conclure sur le traitement le plus adapté au patient en fonction de ses autres comorbidités, il est nécessaire d’observer la quantité d’endocan “natif”, et celle d’endocan “transformés”. »
Nous arrivons, avec une précision de 30 %, à déterminer la présence de trois protéines différentes en un test multiplexé.
Développer ce potentiel reste en cours : à l’heure actuelle l’équipe de chercheurs ne considère pas cette méthode comme assez fiable concernant le multiplexage. Les raisons de ce manque de fiabilité sont pour autant connues, et sont dues au phénomène de réactivité croisée. « Pour la détection de deux protéines, il faudra deux systèmes de détection distincts [un pour l’anticorps, un autre pour les nanoparticules], ce qui donne la possibilité d’une réactivité dite croisée entre les différents systèmes ».
« Les tests multiplexés restent donc, jusqu’à présent, encore qualitatifs. Cette année, j’ai développé une courbe de calibration innovante, qui prend en compte cette réactivité croisée, pour essayer de lire avec plus de précision les résultats d’un multiplexage. Résultat, nous arrivons, avec une précision de 30 %, à déterminer la présence de trois protéines différentes en un test multiplexé. C’est un début prometteur », estime-t-elle. La chercheuse rappelle, avec optimisme, que les essais cliniques débuteront bientôt.
Une analyse quasi-automatisée
La technique améliorant la sensibilité des bandelettes d’un test LFA étant identifiée, les chercheurs n’avaient plus qu’à développer une méthode d’analyse pour ces tests. « L’application principale de notre recherche consistait à remplacer la prise de sang, indique Fanny Mousseau. Avec notre méthode, les résultats sont plus rapides, tout en étant aussi précis. Cette méthode a été, justement, développée dans une optique de faciliter ces analyses dans les endroits où leur accès reste limité [en zone de guerre, dans les pays en développement…], ou, quand leur besoin est urgent [dans une ambulance en cas de crise cardiaque, par exemple.] »
En conséquence, la continuité de la recherche demandait la mise en place d’un outil permettant d’illuminer les nanoparticules pour qu’elles facilitent la lecture du résultat obtenu. « Les méthodes d’analyse demandaient l’utilisation d’appareils énormes, ce qui était contradictoire avec l’avantage portatif de ce type de test, précise la chercheuse. Au Laboratoire, nous avons inventé un petit appareil capable d’effectuer le test. » Ce petit appareil, plus épais sans être plus grand qu’un téléphone portable (~10 cm x 5 cm x 5 cm), est accompagné d’une application avec laquelle l’utilisateur photographie le test.
« Nous y avons intégré le programme d’analyse. L’utilisateur n’a qu’à prendre la photo et appuyer sur la bande contrôle de la bandelette LFA (bande qui permet de vérifier que le test a fonctionné). L’algorithme, connaissant la distance exacte entre la bande contrôle et la bande test (bande sur laquelle on détecte notre protéine d’intérêt) analysera, pixel par pixel, l’intensité de couleur de la bande test. »
Le résultat s’affiche ensuite, indiquant simplement la quantité de protéine cible présente dans le test. « À long terme, le but est de simplifier au maximum le procédé afin que tout le monde puisse y avoir accès », conclut-elle.