Comprendre les émotions collectives pour optimiser la performance sportive
- Les sciences humaines, et plus particulièrement la psychologie sociale, sont des disciplines à considérer pour optimiser la performance sportive.
- Les émotions sont des expériences subjectives à l’origine de processus biologiques et cognitifs.
- Les comprendre permet de mesurer l’influence des émotions individuelles et collectives sur les situations de jeu dans les sports collectifs.
- La technologie offre des outils de mesure pour obtenir des indicateurs valides des émotions.
- Des recherches interdisciplinaires développent ces outils d’accompagnement scientifique à la performance, mais leur intégration aux programmes d’entraînements constitue encore un défi.
Le sport est un terrain d’émotions hors du commun, capable de mobiliser des populations entières. Pour performer, les athlètes doivent apprendre à maîtriser les hautes intensités émotionnelles auxquelles ils ou elles sont soumis. Longtemps explorées dans une approche intra-individuelle, la psychologie sociale pallie cette faiblesse en s’intéressant désormais à la dimension collective du vécu émotionnel. Ainsi, elle ouvre des voies d’innovation importantes pour la performance en sports collectifs.
Cet article a été publié en exclusivité dans notre magazine Le 3,14 sur la science et le sport.
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Des disciplines où les émotions individuelles et collectives s’entrechoquent
Le sport collectif est intrinsèquement social. La performance, individuelle comme collective, est influencée par les émotions, elles-mêmes impactées par des phénomènes de groupe et des mécaniques psychosociales. Ainsi, dans une équipe, la contagion émotionnelle et l’influence des relations constituent un risque comme un levier potentiel d’optimisation de la performance.
Que se passe-t-il au moment de tirer une pénalité dans un match de football ? Est-ce uniquement l’histoire du joueur face à son vécu émotionnel avant de tirer ? Une thèse de Guillaume Perreau-Niel du laboratoire Psy-DREPI de l’Université de Bourgogne explore actuellement l’état affectif de l’athlète à ce moment si crucial. Il cherche notamment à comprendre les éléments influant sur l’état émotionnel du joueur. Les premiers résultats attestent qu’au-delà de l’enjeu (individuel comme collectif) le langage corporel des partenaires et des adversaires influence les émotions du joueur, juste avant de tirer.
Une émotion est une expérience subjective qui émane de processus biologiques et cognitifs. Ces derniers dépendent de la manière dont l’individu évalue l’importance de l’enjeu, de sa capacité à y faire face et de son degré de responsabilité dans la situation. Subjective, cette évaluation cognitive de la situation (dite « appraisal ») explique pourquoi une même situation suscite des émotions différentes selon les personnes. En sport, la perception de l’enjeu varie énormément. Par exemple, la perception d’un athlète change selon son expérience ou son degré d’identification à l’équipe : un joueur cadre de l’équipe de France ressentira un match différemment que son coéquipier sélectionné pour la première fois.
La psychologie sociale pour optimiser la performance
En parallèle de ces ressentis individuels, l’émotion dite « collective » dépend en grande partie de processus identitaires, car nous nous inscrivons tous dans différentes identités sociales. Il peut s’agir de catégories sociales liées au genre, à l’âge, à la classe politique, à la couleur de peau… Ce sont également des groupes de tâches dont les équipes sportives sont un prototype. Ainsi, un ou une athlète activera différentes identités selon le contexte. Une joueuse de rugby peut disposer de casquettes de sportive, de mère, de femme, de membre d’une équipe, etc. Celle qu’elle activera influencera sa vision du monde, et donc de la situation, engendrant des émotions différentes. Ainsi, les identités sociales conditionnent ce que l’on appelle les émotions intergroupes, telles que décrites par Diane Mackie dans les années 20001. Ce sont celles qui nous font vibrer lorsque notre équipe nationale remporte un match ou qui sous-tendent la mécanique d’opposition dans les derbys.
Dès lors, quand les joueurs ou joueuses s’identifient à leur équipe, ils vivent des émotions partagées et communes. Ce vécu affectif de groupe apparente le groupe à une entité psychosociale à part entière. Ce paradigme est loin d’être neutre pour l’optimisation de la performance. En effet, une étude de 2018 montre que ce que le joueur perçoit de cette émotion commune a plus d’influence sur sa performance que ses propres émotions individuelles2. Les athlètes de haut niveau ont ainsi besoin de travailler non seulement leurs compétences émotionnelles – pour cerner les émotions des autres, apprendre à les réguler et à les exprimer, mais aussi une certaine « intelligence identitaire ».
Ces systèmes amènent à travailler la relation émotions-performances en sports collectifs au travers des mécanismes de contagions émotionnelles. La manière dont on exprime des émotions peut être plus ou moins contaminante. En effet, les études montrent que les joueurs ou joueuses leaders influencent considérablement l’émotion de groupe. Il suffit qu’ils ou elles s’effondrent pour impacter le reste du groupe sur le plan psychoaffectif.
Intégrer la technologie aux programmes d’entraînement
La psychologie sociale du sport commence à étudier ces paramètres et la manière dont ils influencent la performance. Pour cela, il est nécessaire d’investir le champ de la technologie, pour obtenir des indicateurs valides des émotions. Généralement, les chercheurs utilisent des mesures psychophysiologiques (activité cardiaque, conductance électrodermale, électromyogramme des muscles faciaux…). Toutefois, leur mise en œuvre ne s’adapte pas au terrain sportif. Quant aux outils psychométriques, à l’image des échelles de mesures auto-rapportées3, ils ne permettent qu’une mesure a posteriori et sont parfois trop empreints de la subjectivité du sujet. Les outils manquent pour réaliser des mesures in situ, en particulier des émotions collectives. La recherche en sciences du sport s’attèle donc à développer de nouveaux outils. Ils exploiteront, par exemple, le langage corporel à l’aide d’algorithmes d’apprentissages automatiques.
C’est le cas du projet TEAM-SPORTS, financé par l’initiative France 2030 au travers du programme prioritaire de recherche « Sport de très haute performance », initié avec les Jeux olympiques de Paris. Ce projet associe les Fédérations françaises de rugby (FFR), de basketball (FFBB), de handball (FFHB), de volleyball (FFVolley) et de football (FFF). Il vise, entre autres, à développer des technologies pour capturer les états émotionnels des équipes. Par exemple, une technologie de tracking vidéo mobilisant l’intelligence artificielle est développée par le CEA en collaboration avec le laboratoire Psy-DREPI. Elle permet de suivre automatiquement le langage corporel individuel et collectif des joueurs de rugby pendant les matchs.
Dans ce même projet, le XV de France a bénéficié d’un autre programme pilote pour capturer l’influence des faits de jeu – prendre un essai par exemple – sur l’état émotionnel du collectif. Il s’agit d’étudier les dynamiques affectives pendant les matches afin de fournir des informations innovantes aux entraîneurs et de les éclairer dans leurs choix stratégiques. Cet outil a été mis à l’épreuve de la compétition internationale pendant la Coupe du monde de l’été 2023 et récemment adapté au rugby à 7 pour en faire bénéficier l’équipe de France lors des Jeux de Paris.
Disposer de ces métriques aidera à mesurer leurs effets sur la performance individuelle comme collective, dans un rapport de force psychologique – qui est l’essence même de la compétition en sport collectif. In fine, ces recherches ont vocation à être transférés aux équipes sportives comme des outils d’accompagnement scientifique à la performance. Toutefois, la temporalité de la recherche diffère de celle de la compétition sportive. L’intégration de cet accompagnement scientifique au sein de l’encadrement des équipes constitue un des défis majeurs de la haute performance. Cela requiert de réduire les délais inhérents à la recherche pour devancer d’autres nations grâce à l’innovation. Également, il faudra systématiquement prioriser l’accélération du transfert de connaissances au sein des écosystèmes sportifs. L’avenir de la haute performance s’inscrit inexorablement au sein d’une telle démarche qui intégrera des sport scientists spécialisés en sciences humaines au sein des staffs, des clubs et des fédérations.