Comment la biologie de synthèse pourrait aider à dégrader les déchets plastiques
- 390 millions de tonnes de plastiques ont été produites en 2021, dont la majorité sera vraisemblablement reversée dans l’environnement.
- Si les plastiques sont des polluants pour la majorité des êtres vivants, certaines bactéries et champignons ont acquis la capacité d’en faire une source d’énergie.
- La biologie de synthèse est un des outils qui pourraient permettre de limiter la pollution liée à la production et à l’utilisation des plastiques.
- Elle propose notamment d’appliquer les méthodes de l’ingénierie à la biologie moléculaire de façon à « optimiser le vivant ».
- Conjuguer la biologie de synthèse à ces micro-organismes pourrait constituer une solution pour le recyclage des plastiques.
Après une année de stagnation due à la crise sanitaire en 2020, la production mondiale de plastiques est repartie à la hausse : 390 millions de tonnes en ont été produites en 2021, dont 90 % à partir de ressources fossiles1. Une fois utilisées, la majorité d’entre elles finiront vraisemblablement dans l’environnement, où elles s’ajouteront aux 5 milliards de tonnes déjà accumulées en 2015, soit 79 % de l’ensemble des déchets plastiques produits par l’humanité2. Les problèmes environnementaux posés par ces matériaux sont nombreux. Les micro-organismes pourraient-ils aider à les résoudre ?
Mangeurs naturels de plastiques
Si les plastiques sont des polluants pour l’immense majorité des êtres vivants, certaines bactéries et champignons ont acquis la capacité d’en faire une source d’énergie. Repérées dans le sol, la mer ou les intestins de quelques animaux, plusieurs espèces de micro-organismes peuvent s’attaquer à différents types de plastiques (PET, PP, PS, PE, PUR, PLA…) grâce à des enzymes altérant ces longues chaînes d’hydrocarbures3. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’il suffit de les mettre au contact du bon plastique pour qu’elles le fassent disparaître.
Le processus est plus efficace lorsque les plastiques ont déjà été abîmés, par exemple par les UV ou des traitements chimiques, et quand les micro-organismes sont placés dans des conditions de pH et de température optimales4. Reste que chaque espèce n’est active que sur certains plastiques et que pouvoir attaquer un matériau n’implique pas d’être capable de le dégrader entièrement. Même les souches qui ont attiré le plus d’attention, comme Ideonella sakaiensis, une bactérie qui découpe le PET en ses monomères constitutifs5, ont une limitation majeure : il leur faut quelques semaines, voire mois, pour dégrader des quantités limitées de plastiques. Autant dire que ces micro-organismes « mangeurs » de plastiques n’ont rien d’une solution idéale pour gérer notre pollution. Mais ils pourraient quand même nous apporter une aide précieuse !
Optimiser l’existant
Les progrès de la génétique, à la fois en termes de compréhension des mécanismes impliqués, d’anticipation des résultats possibles et de développement d’outils moléculaires, permettent désormais de modifier volontairement des génomes, notamment pour faire synthétiser des protéines d’intérêt à des organismes. De nombreux projets de recherche en biologie passent aujourd’hui par la production de cellules voire d’individus sur- ou sous-exprimant certains gènes. Les modifications génétiques permettant de les obtenir relèvent presque de l’artisanat, chaque chercheur fabriquant ce dont il a besoin. Mais cette démarche peut être adaptée à une toute autre échelle !
Depuis l’an 2000, la biologie synthétique propose d’appliquer les méthodes de l’ingénierie à la biologie moléculaire. Elle considère les gènes et autres séquences d’ADN (notamment régulatrices) comme autant de briques de départ, qui peuvent être optimisées et combinées dans une logique d’ingénierie métabolique. Les nouvelles voies de synthèse biologique ainsi imaginées sont ensuite implantables dans des cellules, généralement de micro-organismes, qui deviennent autant de petites usines de production génétiquement modifiées. Cette approche a ses limites, la principale étant la complexité chaotique du vivant. Une voie de synthèse qui semble optimale en théorie ne fonctionne pas toujours en pratique, une fois confrontée à la réalité du contexte d’une cellule. Et le passage à large échelle, indispensable pour de nombreuses applications, constitue un niveau de difficulté supplémentaire : les systèmes vivants restent souvent sensibles et imprévisibles.
Néanmoins, en une vingtaine d’années, la biologie de synthèse est devenue bien plus qu’une vision théorique. De nombreuses entreprises parient sur cette approche, qui a déjà permis la commercialisation de différents produits dans des domaines aussi variés que la médecine, l’alimentation ou les matériaux7. Nourrie par des progrès biotechnologiques comme la synthèse d’ADN, le séquençage haut-débit ou les nouvelles techniques d’édition génétique, s’appuyant sur des outils informatiques de plus en plus performants et intégrant de nouvelles connaissances structurées dans des bases de données de plus en plus riches, il parait raisonnable de s’attendre à ce que la biologie de synthèse produise des percées8.
À l’attaque des plastiques
Les micro-organismes capables de dégrader des plastiques ne le font peut-être pas avec une efficacité suffisante pour être utiles à large échelle, mais leur étude fournit de nouvelles munitions à la biologie de synthèse ! Chaque enzyme découverte vient en effet enrichir le catalogue des outils disponibles pour imaginer et optimiser des voies métaboliques. Et la modification de ces protéines après avoir étudié leur structure permet parfois d’en obtenir des versions encore plus efficaces, seulement quelques années après leur découverte910.
Contrairement à d’autres méthodes de recyclage, qui impliquent une perte de qualité des matériaux, le passage par des voies de dégradation biologiques permet de revenir aux monomères constitutifs des plastiques. Ceux-ci peuvent ensuite être réassemblés pour obtenir un produit équivalent à du neuf, sans contrainte sur les couleurs ou les types d’objets fabricables. Il reste cependant des problèmes à contourner. D’une part, cette déconstruction des plastiques libère les additifs ajoutés dans ces matériaux, qui doivent être gérés de leur côté. D’autre part, ces approches restent plus coûteuses que la production à partir de ressources fossiles, et des incitations seront nécessaires pour pousser les industriels à les mettre en œuvre. Sans compter que les rendements n’étant jamais parfaits, le cycle de vie des plastiques ne sera pas infini pour autant. Enfin, même s’ils ne sont plus purement théoriques, ces procédés restent encore en cours de mise au point !
Parmi les pionniers de la dégradation des plastiques grâce à la biologie de synthèse se trouve une entreprise française : Carbios. Celle-ci a développé un procédé basé sur une enzyme appelée LCC, identifiée en 2012 par des chercheurs japonais ayant réalisé l’analyse métagénomique d’un compost11. Comparée avec d’autres protéines capables de dégrader le PET, la LCC s’est avérée particulièrement efficace. Des mutations ont permis d’améliorer son activité et sa résistance à la température, pour produire des monomères qui ont effectivement permis de refabriquer du PET de qualité comparable à du neuf, à un coût raisonnable12. Après avoir mis en place un démonstrateur industriel13, l’entreprise poursuit son développement avec la construction d’un premier site de biorecyclage14.
Des promesses et des limites
Au-delà de cet exemple, le nombre de brevets liés au recyclage des plastiques et au développement de matériaux alternatifs montre le dynamisme de ce secteur15, qui intéresse aussi bien les industriels que la recherche fondamentale. Seule ou en combinaison avec d’autres approches16, la biologie de synthèse est un des outils qui pourraient permettre de limiter la pollution liée à la production et à l’utilisation des plastiques.
Cela ne doit cependant pas faire oublier les nombreuses questions que soulève son usage. Certaines sont très concrètes, comme la gestion des additifs, l’amélioration des rendements, l’optimisation des coûts, l’adaptation aux différents types de plastiques et, généralement, les difficultés de mise au point et de passage à l’échelle. D’autres touchent à des problématiques plus délicates. En effet, les micro-organismes produits par la biologie de synthèse sont génétiquement modifiés. Ce qui ne manque pas d’interroger sur la brevetabilité du vivant, mais aussi sur les risques de libération dans le milieu naturel. Car si la capacité à dégrader les plastiques est utile dans un contexte de gestion de déchets, il paraît important d’en garder le contrôle.
De façon générale, la marche est encore haute pour atteindre une utilisation raisonnable des plastiques. La mise en place d’une réelle économie circulaire est un défi en soi17, la réduction de notre dépendance à ces matières devenues omniprésentes en est une autre. S’il est pertinent de considérer chaque outil permettant d’avancer dans la bonne direction, aucun d’entre eux ne sera suffisant pour régler à lui seul l’ensemble des problèmes.