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Archées : pourquoi la science s’intéresse-t-elle à cette forme de vie si ancienne ? 

LESTINI Roxane
Roxane Lestini
professeure de biologie à l'École polytechnique (IP Paris)
CLOUET D’ORVAL Béatrice
Béatrice Clouet-d'Orval
directrice de recherche au sein du Centre de Biologie intégrative de l'Université de Toulouse
En bref
  • Les archées sont une forme de vie qui se distingue génétiquement des bactéries et des eucaryotes : elles constituent une nouvelle catégorie du vivant.
  • Elles partagent pourtant des traits communs avec les bactéries et les eucaryotes, ce qui pousse les chercheurs à étudier leurs liens de parenté.
  • La métagénomique révèle que les archées sont présentes dans tout type de milieu : volcanique, océanique, terrestre, et même humain.
  • Étudier les archées permettrait d’améliorer les systèmes de productions bioindustrielles ou encore d’imaginer les formes de vie en dehors de la Terre.

Dès la lec­ture du nom « archées » – qui se prononce « arquées » -, on se sent dans une affaire de spé­cial­istes… Alors qu’il ne s’agit que d’une forme de vie, au même titre que les bac­téries. Dans ce cas, pourquoi tant de trou­ble à leur évo­ca­tion ? Cela tient tant à leur décou­verte qu’au rôle qu’elles pour­raient avoir joué dans notre his­toire évolutive.

Une forme de vie pas très ordinaire

« Au début, on a par­lé d’archaebactéries, cela a brouil­lé le dis­cours… », débute Rox­ane Les­ti­ni, pro­fesseure à l’École poly­tech­nique (IP Paris). Il faut revenir à la décou­verte de cette forme cel­lu­laire pour com­pren­dre le quiproquo. 

Béa­trice Clouet‑d’Orval, chercheuse CNRS au sein du Cen­tre de Biolo­gie inté­gra­tive de Toulouse, abonde : « Quand on les a décou­vertes il y a 40 ans, on a cru que c’était un type par­ti­c­uli­er de bac­téries… Elles avaient la même taille, le même genre de mor­pholo­gie et leur ADN n’est pas enfer­mé dans un noy­au. » Comme les bac­téries, on ne trou­ve les archées que sous forme de cel­lule isolée : elles ne con­stituent pas d’organismes multicellulaires. 

Avec l’étude des génomes, on a com­pris qu’il ne s’agissait pas de bactéries.

Ces obser­va­tions ont amené les sci­en­tifiques à penser qu’elles étaient proches des bac­téries et pas de l’autre forme cel­lu­laire con­nue, les eucary­otes. Ce dernier groupe rassem­ble tous les ani­maux et toutes les plantes, dont les cel­lules se car­ac­térisent notam­ment par leur com­par­ti­men­ta­tion, et le con­fine­ment de l’ADN dans un noy­au. Les biol­o­gistes de l’époque remar­quent des par­tic­u­lar­ités chez les archées, comme la com­po­si­tion de leur mem­brane, con­sti­tuée d’éthers et non prin­ci­pale­ment d’esters comme les bac­téries, sans que cela remette en cause le classe­ment. A min­i­ma, elles n’étaient donc pas des bac­téries ordi­naires : peut-être des bac­téries prim­i­tives ? des « archéo »-bac­téries ?

L’hypothèse est bal­ayée par les pre­mières analy­ses de matériel géné­tique, effec­tuées par les biol­o­gistes améri­cains Carl Woese et George Fox en 19771. « Avec l’étude des génomes et en par­ti­c­uli­er celui codant l’ARN ribo­somique, qui con­stitue une machiner­ie cel­lu­laire essen­tielle à la vie, on a com­pris qu’il ne s’agissait pas de bac­téries. » explique Béa­trice Clouet‑d’Orval. La dis­tance entre les séquences a révélé qu’il ne fal­lait pas con­sid­ér­er deux mais trois domaines du vivant : les bac­téries, les eucary­otes et les archées. 

Bactéries, eucaryotes, archées… quels ponts relient ces formes de vie ?

Quels sont les liens de par­en­té entre ces trois formes de vie ?  C’est en 2015 que cette ques­tion pro­gresse. « Une étude d’échantillonnage menée dans des vol­cans sous-marins au large de la Norvège2 a mis au jour des archées avec des pro­téines qu’on ne con­nais­sait que chez les eucary­otes, par exem­ple des molécules qui vont du noy­au au cyto­plasme. », racon­te Rox­ane Les­ti­ni. Éton­nant, pour des cel­lules sans noy­au ! « Cela a été très con­tro­ver­sé, beau­coup pen­saient que c’était un arté­fact », pré­cise la chercheuse. 

Mais d’autres études ont con­fir­mé les don­nées. « On sait aujourd’hui que leur machiner­ie cel­lu­laire – répli­some, ribo­some, sys­tèmes de main­te­nance du génome, machiner­ie de tran­scrip­tion… – est très proche de celle des eucary­otes. C’est pour cela qu’on sup­pose que les archées sont impliquées dans la for­ma­tion des eucary­otes. » explique Béa­trice Clouet‑d’Orval.

Il existe ain­si deux hypothès­es pour décrire l’histoire des pre­mières cel­lules vivantes, à par­tir de LUCA (Last Uni­ver­sal Com­mon Ances­tor, ou le dernier ancêtre com­mun uni­versel). Dans la pre­mière, les eucary­otes dérivent des archées. Dans la sec­onde, archées et eucary­otes sont issues d’un ancêtre com­mun que l’on ne con­nait pas.

Dif­féren­tier ces deux hypothès­es n’est pas facile. « Il n’existe pas de fos­sile pour des struc­tures uni­cel­lu­laires », insiste Béa­trice Clouet‑d’Orval. La biol­o­giste pour­suit : « il est pos­si­ble que les eucary­otes soient en fait des archées. » On trou­ve d’ailleurs de plus en plus d’archées très proches des cel­lules eucary­otes, comme les Asgards décrites dans les grands fonds océaniques. Leur biochimie sem­ble créer un pont entre les pre­mières archées décou­vertes et les cel­lules eucary­otes mod­ernes3. De là à croire que ces archées ont pu don­ner nais­sance à la pre­mière cel­lule eucary­ote… un pas vite franchi par cer­tains biol­o­gistes. Mais Rox­ane Les­ti­ni mod­ère : « Rien n’est cer­tain car avec les organ­ismes uni­cel­lu­laires, les trans­ferts gènes hor­i­zon­taux [pas­sage d’un morceau d’ADN d’une cel­lule à l’autre, d’une espèce à l’autre sans rela­tion de descen­dance] sont fréquents et brouil­lent l’analyse évo­lu­tive des uni­cel­lu­laires ». La con­tro­verse reste vive.

Les archées, présentes sur tous les terrains

Au-delà de la recherche des orig­ines, la prox­im­ité molécu­laire entre archées et eucary­otes intéresse forte­ment les biol­o­gistes. Rox­ane Les­ti­ni pré­cise que « ce sont de bons mod­èles des cel­lules eucary­otes, proches mais moins com­plex­es ». Mais elles restent assez dif­fi­ciles à manip­uler. Béa­trice Clouet‑d’Orval com­plète : « Les archées sont dif­fi­ciles à cul­tiv­er. Cela a longtemps été un frein à leur étude mais aujourd’hui on dis­pose de plus en plus de souch­es adap­tées au lab­o­ra­toire. »

Les out­ils récents de la métagénomique mon­trent que les archées sont présentes dans tous les milieux terrestres. 

C’est aus­si leur milieu naturel qu’il a fal­lu revis­iter. « Au départ, on n’en a trou­vé que dans des milieux extrêmes, comme les rifts océaniques et les vol­cans. Mais les out­ils récents de la métagénomique mon­trent qu’elles sont présentes dans tous les milieux ter­restres. » explique Béa­trice Clouet‑d’Orval. La métagénomique per­met d’analyser à l’aveugle les formes de vie d’un milieu, en détec­tant des molécules fon­da­men­tales et en les asso­ciant par com­para­i­son aux bases de don­nées du vivant. Cette tech­nique a aus­si per­mis de révéler que des archées vivaient même… en nous, dans nos micro­biotes, au sein des microbes qui peu­plent nos intestins, mais encore, notre peau, nos fos­s­es nasales et l’utérus4. « Il existe une grande var­iété phéno­typ­ique chez les archées, elles sont présentes dans de nom­breuses nich­es écologiques ! » affirme Béa­trice Clouet‑d’Orval. Faut-il alors s’inquiéter de ces microbes mal­con­nus ? « Elles n’ont jamais été décrites comme pathogènes », ras­sure la chercheuse de Toulouse.

Com­pren­dre le rôle de ces formes de vie dans leurs écosys­tèmes con­stitue un autre champ de recherche en essor. « On sait par exem­ple qu’elles jouent un rôle impor­tant dans la nitri­fi­ca­tion des sols », illus­tre Rox­anne Lestini. 

Quant à leurs pro­priétés biologiques et chim­iques, elles attirent les appétits des indus­triels et des spé­cial­istes des biotech­nolo­gies. On les étudie pour dévelop­per de nou­velles tech­niques de PCR, amélior­er les sys­tèmes de pro­duc­tions bioin­dus­trielles, ren­dre plus sûres des pro­duc­tions stériles. Elles sont même de bonnes can­di­dates pour imag­in­er les formes de vie en dehors de la Terre.

Agnès Vernet
1CR Woese, GE Fox, PNAS (1977) 74, 5088–90 
2Spang, A. et al. Nature (2015) 521, 173–179 
3K. Zarem­ba-Niedzwiedz­ka et al., Nature (2017) 54, doi:10.1038/nature21031
4R. Moham­madzadeh et al. Cur­rent Opin­ion in Micro­bi­ol­o­gy 2022, https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​m​i​b​.​2​0​2​2​.​1​02146

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