Archées : pourquoi la science s’intéresse-t-elle à cette forme de vie si ancienne ?
- Les archées sont une forme de vie qui se distingue génétiquement des bactéries et des eucaryotes : elles constituent une nouvelle catégorie du vivant.
- Elles partagent pourtant des traits communs avec les bactéries et les eucaryotes, ce qui pousse les chercheurs à étudier leurs liens de parenté.
- La métagénomique révèle que les archées sont présentes dans tout type de milieu : volcanique, océanique, terrestre, et même humain.
- Étudier les archées permettrait d’améliorer les systèmes de productions bioindustrielles ou encore d’imaginer les formes de vie en dehors de la Terre.
Dès la lecture du nom « archées » – qui se prononce « arquées » -, on se sent dans une affaire de spécialistes… Alors qu’il ne s’agit que d’une forme de vie, au même titre que les bactéries. Dans ce cas, pourquoi tant de trouble à leur évocation ? Cela tient tant à leur découverte qu’au rôle qu’elles pourraient avoir joué dans notre histoire évolutive.
Une forme de vie pas très ordinaire
« Au début, on a parlé d’archaebactéries, cela a brouillé le discours… », débute Roxane Lestini, professeure à l’École polytechnique (IP Paris). Il faut revenir à la découverte de cette forme cellulaire pour comprendre le quiproquo.
Béatrice Clouet‑d’Orval, chercheuse CNRS au sein du Centre de Biologie intégrative de Toulouse, abonde : « Quand on les a découvertes il y a 40 ans, on a cru que c’était un type particulier de bactéries… Elles avaient la même taille, le même genre de morphologie et leur ADN n’est pas enfermé dans un noyau. » Comme les bactéries, on ne trouve les archées que sous forme de cellule isolée : elles ne constituent pas d’organismes multicellulaires.
Avec l’étude des génomes, on a compris qu’il ne s’agissait pas de bactéries.
Ces observations ont amené les scientifiques à penser qu’elles étaient proches des bactéries et pas de l’autre forme cellulaire connue, les eucaryotes. Ce dernier groupe rassemble tous les animaux et toutes les plantes, dont les cellules se caractérisent notamment par leur compartimentation, et le confinement de l’ADN dans un noyau. Les biologistes de l’époque remarquent des particularités chez les archées, comme la composition de leur membrane, constituée d’éthers et non principalement d’esters comme les bactéries, sans que cela remette en cause le classement. A minima, elles n’étaient donc pas des bactéries ordinaires : peut-être des bactéries primitives ? des « archéo »-bactéries ?
L’hypothèse est balayée par les premières analyses de matériel génétique, effectuées par les biologistes américains Carl Woese et George Fox en 19771. « Avec l’étude des génomes et en particulier celui codant l’ARN ribosomique, qui constitue une machinerie cellulaire essentielle à la vie, on a compris qu’il ne s’agissait pas de bactéries. » explique Béatrice Clouet‑d’Orval. La distance entre les séquences a révélé qu’il ne fallait pas considérer deux mais trois domaines du vivant : les bactéries, les eucaryotes et les archées.
Bactéries, eucaryotes, archées… quels ponts relient ces formes de vie ?
Quels sont les liens de parenté entre ces trois formes de vie ? C’est en 2015 que cette question progresse. « Une étude d’échantillonnage menée dans des volcans sous-marins au large de la Norvège2 a mis au jour des archées avec des protéines qu’on ne connaissait que chez les eucaryotes, par exemple des molécules qui vont du noyau au cytoplasme. », raconte Roxane Lestini. Étonnant, pour des cellules sans noyau ! « Cela a été très controversé, beaucoup pensaient que c’était un artéfact », précise la chercheuse.
Mais d’autres études ont confirmé les données. « On sait aujourd’hui que leur machinerie cellulaire – réplisome, ribosome, systèmes de maintenance du génome, machinerie de transcription… – est très proche de celle des eucaryotes. C’est pour cela qu’on suppose que les archées sont impliquées dans la formation des eucaryotes. » explique Béatrice Clouet‑d’Orval.
Il existe ainsi deux hypothèses pour décrire l’histoire des premières cellules vivantes, à partir de LUCA (Last Universal Common Ancestor, ou le dernier ancêtre commun universel). Dans la première, les eucaryotes dérivent des archées. Dans la seconde, archées et eucaryotes sont issues d’un ancêtre commun que l’on ne connait pas.
Différentier ces deux hypothèses n’est pas facile. « Il n’existe pas de fossile pour des structures unicellulaires », insiste Béatrice Clouet‑d’Orval. La biologiste poursuit : « il est possible que les eucaryotes soient en fait des archées. » On trouve d’ailleurs de plus en plus d’archées très proches des cellules eucaryotes, comme les Asgards décrites dans les grands fonds océaniques. Leur biochimie semble créer un pont entre les premières archées découvertes et les cellules eucaryotes modernes3. De là à croire que ces archées ont pu donner naissance à la première cellule eucaryote… un pas vite franchi par certains biologistes. Mais Roxane Lestini modère : « Rien n’est certain car avec les organismes unicellulaires, les transferts gènes horizontaux [passage d’un morceau d’ADN d’une cellule à l’autre, d’une espèce à l’autre sans relation de descendance] sont fréquents et brouillent l’analyse évolutive des unicellulaires ». La controverse reste vive.
Les archées, présentes sur tous les terrains
Au-delà de la recherche des origines, la proximité moléculaire entre archées et eucaryotes intéresse fortement les biologistes. Roxane Lestini précise que « ce sont de bons modèles des cellules eucaryotes, proches mais moins complexes ». Mais elles restent assez difficiles à manipuler. Béatrice Clouet‑d’Orval complète : « Les archées sont difficiles à cultiver. Cela a longtemps été un frein à leur étude mais aujourd’hui on dispose de plus en plus de souches adaptées au laboratoire. »
Les outils récents de la métagénomique montrent que les archées sont présentes dans tous les milieux terrestres.
C’est aussi leur milieu naturel qu’il a fallu revisiter. « Au départ, on n’en a trouvé que dans des milieux extrêmes, comme les rifts océaniques et les volcans. Mais les outils récents de la métagénomique montrent qu’elles sont présentes dans tous les milieux terrestres. » explique Béatrice Clouet‑d’Orval. La métagénomique permet d’analyser à l’aveugle les formes de vie d’un milieu, en détectant des molécules fondamentales et en les associant par comparaison aux bases de données du vivant. Cette technique a aussi permis de révéler que des archées vivaient même… en nous, dans nos microbiotes, au sein des microbes qui peuplent nos intestins, mais encore, notre peau, nos fosses nasales et l’utérus4. « Il existe une grande variété phénotypique chez les archées, elles sont présentes dans de nombreuses niches écologiques ! » affirme Béatrice Clouet‑d’Orval. Faut-il alors s’inquiéter de ces microbes malconnus ? « Elles n’ont jamais été décrites comme pathogènes », rassure la chercheuse de Toulouse.
Comprendre le rôle de ces formes de vie dans leurs écosystèmes constitue un autre champ de recherche en essor. « On sait par exemple qu’elles jouent un rôle important dans la nitrification des sols », illustre Roxanne Lestini.
Quant à leurs propriétés biologiques et chimiques, elles attirent les appétits des industriels et des spécialistes des biotechnologies. On les étudie pour développer de nouvelles techniques de PCR, améliorer les systèmes de productions bioindustrielles, rendre plus sûres des productions stériles. Elles sont même de bonnes candidates pour imaginer les formes de vie en dehors de la Terre.