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Le sommeil démystifié par la science

Améliorer son sommeil grâce à la science, c’est possible !

Armelle Rancillac, chercheuse en neurosciences à l'Inserm et au Collège de France
Le 25 septembre 2024 |
5 min. de lecture
Armelle rancillac
Armelle Rancillac
chercheuse en neurosciences à l'Inserm et au Collège de France
En bref
  • En 2024, les Français dorment en moyenne 15 minutes de moins par jour qu'en 2023, avec une baisse globale du temps de sommeil de 1h30 sur 50 ans.
  • Avant de recourir à des traitements médicaux, les médecins préconisent l’amélioration de l’hygiène de vie pour pallier les troubles du sommeil.
  • Le sommeil est régulé par la pression de sommeil et l'horloge biologique, influencées par la lumière, les repas, l'activité physique et les interactions sociales.
  • S'exposer à la lumière du jour et éviter les écrans le soir sont des stratégies efficaces pour synchroniser l'horloge biologique.
  • L'activité physique régulière et un dîner riche en glucose favorisent un meilleur sommeil, en stimulant la production de sérotonine et d'adénosine.

Pour les adultes, les médecins recom­man­dent une durée de som­meil moyenne com­prise entre 7 et 9 heures. Pour­tant, en France, nous peinons à attein­dre le bas de cette fourchette. Que faire pour ten­ter d’améliorer nos nuits ? Faisons le point sur quelques résul­tats sci­en­tifiques récents. 

Nous dor­mons de moins en moins. L’enquête annuelle de l’In­sti­tut nation­al du som­meil et de la vig­i­lance1 révèle ain­si qu’en 2024, les Français déclar­ent dormir en moyenne 6h42 en semaine et 7h25 le week-end, soit 15 min­utes par jour de moins qu’en 2023. Cette ten­dance à la baisse, si elle s’accélère ces dernières années, n’est pas récente : nous auri­ons per­du 1h30 de som­meil quo­ti­di­en depuis 50 ans. Le même sondage indique toute­fois que nous avons con­science qu’adopter une bonne hygiène de vie par­ticipe à un som­meil de meilleure qual­ité. Et de fait, cor­riger ses habi­tudes est la pre­mière mesure que pré­conisent médecins et asso­ci­a­tions médi­cales pour la prise en charge des trou­bles du som­meil ; avant d’envisager tout traite­ment médicamenteux.

Pour com­pren­dre l’impact de l’hygiène de vie sur nos nuits, plon­geons d’abord dans les mécan­ismes biologiques qui gou­ver­nent le som­meil. Deux élé­ments régu­lent sa durée, ses horaires et sa qual­ité : la pres­sion de som­meil et l’horloge biologique. La pre­mière met en jeu des proces­sus dits homéostasiques, qui fonc­tion­nent comme un sabli­er qu’on retourn­erait au réveil. L’adénosine, joue ici un rôle cen­tral : pro­duite lors des phas­es d’éveil, ce pro­duit de la dégra­da­tion de l’ATP (la prin­ci­pale source d’énergie des cel­lules) s’accumule tout au long de la journée jusqu’à réduire l’excitabilité neu­ronale et provo­quer l’endormissement.

Notre corps dis­pose par ailleurs d’une hor­loge cen­trale située dans l’hypothalamus, directe­ment reliée aux struc­tures de som­meil. Grâce à elle, la glande pinéale (une glande endocrine en forme de pomme de pin – d’où son nom – et située au cœur du cerveau, qui joue un rôle cen­tral dans la régu­la­tion des rythmes biologiques) sécrète en fin de journée, quand la lumière baisse, de la méla­to­nine – aus­si appelée « hor­mone du som­meil » – qui favorise l’endormissement. Pen­dant les phas­es d’éveil, la même hor­loge inhibe la pro­duc­tion de méla­to­nine et pousse les glan­des sur­ré­nales à sécréter une hor­mone aux effets opposés, le cor­ti­sol. Il stim­ule la glu­conéo­genèse afin de main­tenir les niveaux de glu­cose san­guin et de fournir de l’énergie aux cel­lules. En véri­ta­ble chef d’orchestre, notre hor­loge interne va égale­ment réguler la tem­péra­ture cor­porelle et syn­chro­nis­er de mul­ti­ples hor­loges périphériques gou­ver­nant divers­es fonc­tions biologiques comme les rythmes de l’appétit ou les con­trac­tions intesti­nales. L’horloge cen­trale est elle-même en per­ma­nence remise à l’heure sur le cycle jour/nuit par des syn­chro­niseurs extérieurs : la lumière prin­ci­pale­ment, mais égale­ment (avec des influ­ences plus mod­estes) l’activité physique, les horaires des repas, les inter­ac­tions sociales ou la tem­péra­ture extérieure.

Notre hor­loge biologique définit ain­si des fenêtres de som­meil où celui-ci sera de meilleure qual­ité. Pour la ren­forcer, il est donc essen­tiel d’observer une bonne régu­lar­ité dans les heures de couch­er et de lever et d’être à l’écoute des pre­miers signes d’endormissement. Mais d’autres straté­gies peu­vent égale­ment être mis­es en place.

#1 Surveiller son temps d’exposition à la lumière

Les médecins recom­man­dent de s’exposer au « bleu du ciel » dès le matin, afin de stim­uler la pro­duc­tion de cor­ti­sol et inhiber celle de méla­to­nine. La syn­chro­ni­sa­tion par la lumière passe en effet par l’activation de pho­toré­cep­teurs présents dans notre rétine, les cel­lules à mélanop­sine, qui sont plus spé­ci­fique­ment sen­si­bles à la lumière bleue. Con­tem­pler les nuages à tra­vers la vit­re de votre bureau ou de votre apparte­ment ne suf­fi­ra pas. En effet, la lumi­nosité dépasse alors rarement quelques cen­taines de lux, quand les recom­man­da­tions stan­dards s’élèvent à 10 000 lux (l’équivalent de l’éclairement d’une sur­face à l’ombre en été) pen­dant une demi-heure au moins. À l’inverse, et tou­jours pour favoris­er la bonne syn­chronic­ité de notre hor­loge, il est très impor­tant de tamiser les lumières et de ne pas regarder d’écrans le soir venu (les études évo­quent des durées allant de 30 min­utes à 2 heures avant le couch­er), car ces derniers dif­fusent une lumière riche en bleu.

Une étude récente menée par l’Inserm, dont les résul­tats sont pub­liés dans Jour­nal of Pineal Research, vient affin­er ces recom­man­da­tions2. S’appuyant sur deux groupes de volon­taires dis­tincts, de 25 et 59 ans de moyenne d’âge, elle s’est intéressée à la pro­duc­tion de méla­to­nine après une expo­si­tion à dif­férentes couleurs. Il appa­raît que si la mélanop­sine est le seul pho­toré­cep­teur impliqué dans l’inhibition de la pro­duc­tion de l’hormone chez les sujets jeunes, chez les plus âgés, d’autres pho­toré­cep­teurs, sen­si­bles à des couleurs dif­férentes, entrent aus­si en jeu. Ce mécan­isme serait une adap­ta­tion au brunisse­ment du cristallin sur­venant avec l’âge, qui dimin­uerait la quan­tité de lumière atteignant la rétine. Ces résul­tats sug­gèrent donc que les per­son­nes âgées gag­n­eraient tout par­ti­c­ulière­ment à s’exposer quo­ti­di­en­nement à la lumière du jour, plus riche en longueurs d’onde que les lumières arti­fi­cielles. Les chercheurs recom­man­dent égale­ment, si les sor­ties étaient imprat­i­ca­bles, d’adapter la couleur et la lumi­nosité des éclairages intérieurs. 

#2 Faire de l’exercice

La lit­téra­ture sci­en­tifique foi­sonne de preuves con­cor­dantes sur une asso­ci­a­tion pos­i­tive entre l’activité physique et un meilleur som­meil. Deux études pub­liées en 2024, l’une par l’Université de Reyk­javik3, l’autre par l’Université d’Australie du Sud com­plè­tent cette bib­li­ogra­phie4. Dans les travaux islandais, 4 339 par­tic­i­pants issus de 9 pays européens et âgés de 39 à 67 ans ont été suiv­is pen­dant une péri­ode de 10 ans. Les niveaux d’activité physique, la durée et les trou­bles du som­meil étaient éval­ués par des ques­tion­naires. Con­clu­sion : les per­son­nes ayant main­tenu sur la péri­ode d’étude une activ­ité physique régulière font moins état de dif­fi­cultés d’endormissement ou de durées extrêmes de som­meil (inférieures à 6 heures ou supérieures à 9 heures) que les sujets les plus séden­taires. L’étude aus­trali­enne, qui s’appuie sur une éval­u­a­tion des paramètres d’activité d’une pop­u­la­tion de 1 168 enfants et 1 360 adultes, pen­dant 8 jours et 24/24, mon­tre quant à elle qu’une activ­ité physique mod­érée à vigoureuse durant la journée est cor­rélée à un som­meil plus long et de meilleure qual­ité. Les chercheurs pensent que cet effet serait dû à une sécré­tion accrue de séro­to­nine, qui favorise à la fois l’amélioration de l’humeur et de la pro­duc­tion de mélatonine.

D’autres travaux sug­gèrent par ailleurs de respecter, là aus­si dans la mesure du pos­si­ble, des heures de pra­tique régulières, en évi­tant celles qui précé­dent le couch­er. Une étude con­duite par l’Université de Caen-Nor­mandie pub­liée en 20245 pour­rait nuancer cette recom­man­da­tion. Menée sur 16 jeunes adultes en bonne san­té, elle sug­gère qu’une activ­ité physique mod­érée de 30 min­utes, une heure avant le couch­er, n’a, sur cette pop­u­la­tion au moins, qu’un impact très min­ime sur l’efficacité du som­meil. Mais des appro­fondisse­ments seront néces­saires pour con­firmer ces résultats.

#3 Soigner son dîner

Il est com­muné­ment admis qu’il est bon d’éviter les bois­sons con­tenant de la caféine le soir. Pourquoi ? Parce que la caféine se fixe sur les mêmes récep­teurs que l’adénosine, retar­dant la sen­sa­tion de fatigue. Quant au con­tenu de votre assi­ette, une étude menée par l’équipe dirigée par Armelle Ran­cil­lac, chercheure à l’Inserm et au Col­lège de France, mon­tre qu’un dîn­er riche en glu­cose favori­sait le som­meil6. La chercheuse s’intéresse aux cel­lules gliales, des cel­lules plus nom­breuses que les neu­rones, et indis­pens­ables à leur fonc­tion­nement. Ses travaux con­cer­nent plus pré­cisé­ment les astro­cytes, nom­mées ain­si du fait de leur forme en étoile. Ses recherch­es ont ain­si mon­tré que ces cel­lules, qui captent le glu­cose san­guin, sont capa­bles d’induire une libéra­tion d’adénosine vari­able en fonc­tion du moment de la journée. Les astro­cytes tien­nent compte de l’heure pour adapter leur réponse à une même aug­men­ta­tion de glu­cose. Cette réponse est ain­si plus impor­tante le soir que le matin, afin de favoris­er l’endormissement en fin de journée.

Anne Orliac
1Enquête annuelle 2024 de l’IN­VS / Fon­da­tion VINCI Autoroutes menée par Opin­ion Way : https://​insti​tut​-som​meil​-vig​i​lance​.org/​m​a​n​g​e​r​-​b​o​u​g​e​r​-​d​o​r​m​i​r​-​t​r​o​u​v​e​r​-​l​e​-​b​o​n​-​r​y​t​h​m​e​-​e​n​q​u​e​t​e​-​i​n​s​v​-​f​o​n​d​a​t​i​o​n​-​v​i​n​c​i​-​a​u​t​o​r​o​u​t​e​s​-​p​o​u​r​-​l​a​-​j​o​u​r​n​e​e​-​d​u​-​s​o​m​m​e​i​l​-​2024/
2Naj­jar RP, Prayag AS, Gron­fi­er C. Mela­tonin sup­pres­sion by light involves dif­fer­ent reti­nal pho­tore­cep­tors in young and old­er adults. J Pineal Res. 2023;e12930. doi:10.1111/jpi.12930
3Bjorns­dot­tir E, Tho­rarins­dot­tir EH, Lind­berg E, et al. Asso­ci­a­tion between phys­i­cal activ­i­ty over a 10-year peri­od and cur­rent insom­nia symp­toms, sleep dura­tion and day­time sleepi­ness: a Euro­pean pop­u­la­tion­based study. BMJ Open 2024;14:e067197. doi:10.1136/ bmjopen-2022–067197
4Matric­ciani L, Dumuid D, Stan­ford T, Maher C, Ben­nett P, Bobrovskaya L, Mur­phy A, Olds T. Time use and dimen­sions of healthy sleep: A cross-sec­tion­al study of Aus­tralian chil­dren and adults. Sleep Health. 2024 Jun;10(3):348–355. doi: 10.1016/j.sleh.2023.10.012. Epub 2024 Jan 9. PMID: 38199899
5Per­ri­er J, Langeard A, Ouma CK, Ses­boüé B, Clo­chon P, Pre­vost J‑N, Bertran F, Dav­enne D and Bessot N (2024) Effects of acute bouts of evening resis­tance or endurance exer­cis­es on sleep EEG and sali­vary cor­ti­sol. Front. Phys­i­ol. 15:1313545. doi: 10.3389/fphys.2024.1313545
6Schar­barg, E., Dae­nens, M., Lemaître, F. et al. Astro­cyte-derived adeno­sine is cen­tral to the hypno­genic effect of glu­cose. Sci Rep 6, 19107 (2016). https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​3​8​/​s​r​e​p​19107

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