L’eau, ressource précieuse essentielle à la vie et à toute forme de civilisation, est au cœur des questions les plus pressantes de notre siècle. À une époque où le changement climatique et l’épuisement des ressources dominent les discussions mondiales, la sécurité de l’eau est devenue un défi crucial pour l’humanité. Défi qui se définit par une eau (en quantité et qualité acceptable) disponible pour la santé, les moyens de subsistance, les écosystèmes et la production. De même, le risque associé à cette eau doit être à un niveau acceptable pour les personnes, les environnements, et les économies1. En tant que tel, le sujet de la sécurité de l’eau est étroitement lié à la notion de stress hydrique, qui mesure la pression exercée par les activités humaines sur les ressources naturelles en eau douce2.
Reconnaissant son rôle vital, les Nations unies en ont fait l’un de leurs objectifs de développement durable, l’ODD 6 (Objectif de Développement Durable 6), visant à garantir son accessibilité et son assainissement. Qu’il s’agisse de soutenir l’agriculture, pilier de la sécurité alimentaire, d’accompagner la croissance des populations urbaines ou de favoriser la production d’énergie, le rôle de l’eau dans la société ne saurait être surestimé. Cependant, divers risques renforcés par le changement climatique, menacent cette ressource et sa sécurité.
L’eau, un pilier de la société
Le rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau 20233 a souligné le rôle essentiel de la gestion durable à de multiples niveaux. En effet, cela joue sur la préservation de la sécurité alimentaire et énergétique, dans le soutien de la santé humaine et des moyens de subsistance, et dans l’atténuation des effets du changement climatique. Déjà, l’eau est le premier pilier sur lequel repose l’agriculture. C’est un essentiel à la sécurité alimentaire, sans lequel des populations entières risquent la famine. On estime que 691 à 783 millions de personnes dans le monde souffriront de la faim en 20224. L’augmentation du stress hydrique et de l’incertitude ne fera qu’aggraver cette situation, menaçant gravement la vie humaine et la stabilité des régions touchées.
La sécurité de l’eau n’est pas seulement vitale pour assurer l’alimentation et l’assainissement, c’est aussi une nécessité pour maintenir la paix et la stabilité dans le monde.
Assurément, la sécurité de l’eau n’est pas seulement vitale pour fournir de la nourriture et des services d’assainissement aux populations, mais elle est également nécessaire pour maintenir la paix et la stabilité dans le monde. Pedro Arrojo-Agudo, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, a déclaré que « Le manque d’eau potable entraîne le désespoir, la dégradation de la confiance dans les institutions, les migrations massives, la violence et la déstabilisation de régions entières. » Les conflits risquent d’apparaître ou de s’aggraver dans les régions confrontées à des pénuries d’eau. Par exemple, la Somalie, pays touché par les conflits et la pauvreté, dépend fortement de l’agriculture, l’élevage représentant près de 40 % de son PIB. Le pays est particulièrement vulnérable aux sécheresses, devenues beaucoup plus fréquentes ces 30 dernières années. Des études suggèrent que ces sécheresses ont aggravé la violence dans le pays. Certains agriculteurs et éleveurs touchés par la sécheresse se tournent vers des activités illégales pour compenser leur perte de revenus. Parfois aussi, ils se mettent à soutenir des groupes rebelles en échange de revenus en espèces5. « Boko Haram est né là où il n’y avait pas d’eau », a déclaré Abdoulaye Mar Dieye, coordinateur spécial des Nations unies pour le développement au Sahel, lors d’une conférence qui a mis l’accent sur le rôle de l’eau pour la paix dans cette région.
Ce risque d’augmentation des tensions entraîne non seulement une instabilité interne, mais aussi des tensions diplomatiques internationales. En effet, les sources d’eau douce, comme les rivières et les lacs, ne connaissent pas de frontières, ce qui en fait souvent l’objet de tensions et de conflits internationaux. Plus de 60 % de toutes les sources d’eau douce sont partagées par au moins deux pays6, ce qui souligne la nécessité d’une coopération entre les pays dans ce domaine. « Sans une diplomatie autour de l’eau, fondée sur la science, les conflits liés à l’eau deviendront de plus en plus fréquents »7.
Augmentation de la demande
Au niveau mondial, la consommation d’eau a augmenté d’environ 1 % par an au cours des 40 dernières années, une grande partie de cette augmentation étant concentrée dans les pays à revenus moyens et faibles, en particulier dans les économies émergentes. Cette tendance est due à la combinaison de la croissance démographique, du développement socio-économique et de l’évolution des modes de consommation. Trois grands secteurs sont responsables de l’utilisation et de la consommation d’eau : l’agriculture, l’industrie et les municipalités.
Entre 2010 et 2018, les prélèvements d’eau municipaux ont augmenté de 3 %, tandis que les prélèvements agricoles ont augmenté de 5 % pour représenter 72 % des prélèvements totaux actuels. Au cours de la même période, les prélèvements industriels ont diminué de 12 %, principalement en raison de processus de refroidissement, plus économes en eau, dans la production d’énergie thermique. Les tensions et les compromis en matière d’approvisionnement en eau entre l’agriculture et les villes se sont accrus. Cela est dû en partie à l’urbanisation rapide ; la demande en eau des villes devrait augmenter de 80 % d’ici à 2050.
Diminution des ressources par habitant
Parallèlement à cette augmentation de la demande mondiale, les ressources en eau douce disponibles ont diminué au cours des 20 dernières années. Entre 2000 et 2018, les ressources internes renouvelables en eau (IRWR) ont baissé de 20 %.
Ce déclin a surtout touché les pays qui disposaient déjà des ressources les plus faibles. Ils sont souvent situés en Afrique subsaharienne, en Asie centrale, en Asie occidentale et en Afrique du Nord. En Afrique subsaharienne, la disponibilité de l’eau par habitant a diminué de 40 % au cours de la dernière décennie. Toutefois, ces statistiques mondiales peuvent être trompeuses et masquer le stress hydrique localisé. Les effets peuvent être très disparates, varier considérablement au sein d’une même région ou d’un même pays, et présenter une forte variabilité saisonnière. L’eau est une question locale, c’est pourquoi il est essentiel de la considérer comme telle et d’étudier son impact direct sur les populations.
Le stress hydrique dans le monde
Plus de 733 millions de personnes vivent dans des pays où le stress hydrique est élevé (70 %) ou critique (100 %), soit près de 10 % de la population mondiale. Le stress hydrique de référence mesure le rapport entre la demande totale en eau et les réserves renouvelables d’eau de surface et d’eau souterraine disponibles.
Environ 1,2 milliard de personnes vivent dans des régions où l’agriculture est confrontée à de graves pénuries d’eau et à une fréquence élevée de sécheresses dans les zones de cultures pluviales et de pâturages, ou à un stress hydrique important dans les zones irriguées. L’Afrique du Nord, l’Afrique australe et l’Afrique de l’Ouest disposent chacune de moins de 1 700 m3/habitant. A ce niveau, la capacité du pays à répondre aux besoins de sa population est compromise.
Rareté ou sécurité
Ce stress hydrique physique (ou pénurie), décrit une inadéquation entre la demande en eau douce et sa disponibilité. La sécurité de l’eau est un concept plus large, qui englobe l’accès aux services liés à l’eau, la protection contre la mauvaise qualité de l’eau et une gouvernance de l’eau appropriée, garantissant l’accès à l’eau salubre8. Par exemple, la rareté physique ne rend pas compte de la rareté économique de l’eau. En clair, si les ressources sont suffisantes pour répondre aux besoins humains et environnementaux, mais que son accès est limité en raison d’un manque d’infrastructures hydrauliques ou d’une mauvaise gestion des ressources en eau, c’est une situation à risque.
Outre les 1,2 milliard de personnes qui vivent dans des conditions de stress hydrique physique, on estime à 1,6 milliard le nombre de personnes confrontées aux pénuries d’eau économique9. Dans la plupart des cas, ces difficultés sont causées par une mauvaise gestion qui pollue les sources d’eau, une utilisation non réglementée de l’eau par l’agriculture ou l’industrie, ou une inefficacité majeure de son utilisation. En effet, l’augmentation du stress hydrique physique va de pair avec l’accélération de la pollution de l’eau douce, ce qui menace encore plus de ressources en eau potable et qui a des répercussions importantes sur l’environnement et la santé humaine. Le PNUE (le Programme des Nations Unies pour l’Environnement) estime que 4 000 enfants meurent chaque jour de maladies causées par de l’eau polluée et/ou des installations sanitaires inadéquates. L’agriculture consomme 70 % des ressources mondiales en eau douce. Environ 60 % de cette eau est gaspillée en raison de systèmes d’irrigation non-étanches, de méthodes d’application inefficaces et de cultures trop assoiffées pour l’environnement dans lequel elles sont cultivées10. C’est un exemple majeur d’inefficacité.
Par ailleurs, la justice climatique a été un sujet de plus en plus discuté lors des COPs, reconnaissant que les pays qui souffrent le plus des conséquences du changement climatique sont ceux qui y contribuent le moins. D’une part, les pays les plus riches (16 % de la population mondiale) sont responsables de près de 40 % des émissions de CO2. D’autre part, les deux catégories de pays les plus pauvres dans la classification de la Banque mondiale représentent près de 60 % de la population mondiale, mais moins de 15 % des émissions11.
Comme les pays en développement sont souvent les plus touchés par les sécheresses et la pénurie d’eau, ils sont aussi souvent ceux dont l’économie dépend le plus du secteur agricole. Leurs économies sont donc les plus touchées par l’incertitude croissante de l’approvisionnement en eau, alors qu’elles sont précisément celles qui ont le plus besoin de croissance économique pour améliorer leur niveau de vie. En l’absence de solidarité internationale, ces pays disposent de moyens économiques limités pour renforcer leur résilience et adapter leurs systèmes hydrauliques et agricoles. De plus, le manque d’accès et de capacités adéquates pour tirer parti du capital naturel peut conduire à une sur-utilisation, et à une exploitation des ressources non-renouvelables pour répondre aux besoins à court terme, ce qui aggrave les menaces futures.
Solutions : partenariats, coopération et coordination
Différents types de solutions à la pénurie de l’eau ont été examinés lors de la COP28. Des innovations techniques améliorant l’efficacité de l’eau et des investissements dans les infrastructures adéquates permettraient d’éviter les pertes d’eau dues aux fuites et à l’évaporation. Mais il n’existe pas de solution unique12 pour remédier à la pénurie d’eau. La complexité des problèmes très locaux se traduit par une multiplicité de solutions existantes et potentielles. Cependant, un pilier commun à tous les projets, fréquemment mentionné lors de la COP28, est la nécessité d’une approche intégrée et holistique dans les partenariats.
Par exemple, un événement parallèle organisé par le Pavillon européen a souligné le rôle de cette approche intégrée et de l’inclusivité dans l’atténuation des risques liés à l’eau. L’absence de progrès dans la réalisation de l’ODD 6 a mis en évidence la nécessité de partenariats et de collaborations. C’est pourquoi, presque toutes les interventions liées à l’eau nécessitent une certaine forme de partenariat, et tout progrès vers l’ODD 6 dépend fortement de l’efficacité et de ces derniers.
La recherche de la sécurité de l’eau est une responsabilité partagée qui implique les gouvernements, les communautés et les individus.
Les systèmes hydriques sont interconnectés avec divers systèmes environnementaux, économiques et sociaux. En raison de cette interconnexion et de la complexité de l’hydrologie, il est essentiel d’adopter une approche globale qui tienne compte de toutes les facettes des systèmes hydriques et de leurs interdépendances. L’un des aspects essentiels de cette approche holistique est la prise en compte des différents acteurs impliqués dans les partenariats, dont les objectifs liés à l’eau sont parfois différents. Cela nécessite alors la prise en compte de toutes leurs voix pour garantir une approche coordonnée face à la pénurie d’eau. La prise en compte de tous les points de vue des acteurs concernés permet donc de définir une vision claire et partagée des objectifs et des résultats, sur la base d’une compréhension commune du problème. Par exemple, l’inclusion des voix des communautés locales et autochtones dans les partenariats pour l’adaptation a été un sujet majeur discuté lors de la COP28.
Leurs connaissances et leurs points de vue sont essentiels, car ils ont une compréhension profonde de leur environnement et de la dynamique des écosystèmes. Ces communautés sont souvent en première ligne face au changement climatique. L’implication de ces communautés garantit que les efforts en matière de sécurité de l’eau répondent aux défis spécifiques auxquels elles sont confrontées, que personne n’est laissé pour compte et que les droits de l’homme à l’eau et à l’assainissement sont respectés.
En résumé
Les discussions de la COP28 à Dubaï ont mis en avant la question cruciale de la sécurité de l’eau. « Les banques de développement ont fait de l’eau l’une des priorités de cette COP », a insisté Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d’investissement, lors d’un événement organisé au Pavillon de l’eau pour le climat.
Néanmoins, pour faire face à la pénurie d’eau et aux défis de la pollution de l’eau douce, il faut des solutions globales et stratégiques. L’importance de la gouvernance, associée à la nécessité de partenariats innovants et d’une gestion intégrée des ressources, a été clairement identifiée comme une voie critique à suivre. Les discussions de la COP28 ont mis l’accent sur la nécessité d’une approche holistique de la sécurité de l’eau. Cette approche devrait inclure toutes les parties prenantes, y compris les communautés locales et autochtones, en reconnaissant que les personnes directement touchées par la pénurie d’eau détiennent souvent des connaissances essentielles sur les pratiques de gestion durable.
Alors que les efforts mondiaux se poursuivent pour atteindre les objectifs de développement durable, en particulier l’ODD 6, les conclusions de la COP28 servent de guide pour les actions futures. La recherche de la sécurité de l’eau est une responsabilité partagée qui implique les gouvernements, les communautés et les individus. Cette question inclut des considérations environnementales, économiques et sociales, et touche aux droits fondamentaux de tous. La voie à suivre pour assurer la sécurité de l’eau dans l’avenir passe par des actions collectives et coordonnées.
Le rapport de l’ONU sur la mise en valeur de l’eau estime qu’au rythme actuel, les progrès vers toutes les cibles de l’ODD 6 ne sont pas au rendez-vous, et que dans certains domaines, le taux de mise en œuvre doit être quadruplé, voire plus. Nous sommes donc loin d’être sur la voie du changement nécessaire, mais les nombreux événements organisés autour de la sécurité de l’eau pendant la COP28 soulignent l’importance croissante du sujet dans les négociations mondiales, et donnent l’espoir d’une action ambitieuse lors de la COP29 qui aura lieu en Azerbaïdjan.