Rudolf Clausius : ce scientifique qui nous a permis de comprendre le climat
- La formule de Clausius-Clapeyron est citée 36 fois dans le rapport de 2021 du GIEC : pour comprendre son importance, il faut revenir dans le passé.
- L’histoire de l’étude du climat va de pair avec l’étude des océans et de l’atmosphère : c’est en 1824 qu’apparaît le concept d’effet de serre.
- On doit à Émile Clapeyron l’une des premières énonciations de la deuxième loi de la thermodynamique et la formulation de la loi des gaz parfaits (PV=nRT), entre autres.
- Le prussien Rudolf Clausius reprend alors la formule de Clapeyron et l’applique au cas d’un équilibre liquide-vapeur.
- On arrive ainsi à la formule de Clausius-Clapeyron : à l’augmentation de température de 1 °C correspond une augmentation de l’humidité de l’atmosphère d’environ 7 %.
En août 2021, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié le premier volet de son sixième rapport d’évaluation1, axé sur les sciences physiques à la base de la compréhension des changements climatiques. L’objectif des rapports du GIEC est d’évaluer la littérature scientifique récente, d’en extraire un consensus scientifique et d’élaborer un texte à destination des décideurs politiques. Or, dans ce rapport, le nom de Rudolf Clausius (1822–1888) dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance, est cité à plusieurs reprises.
Pour comprendre comment une science si sophistiquée comme la climatologie est née et s’est développée, il faut remonter le temps de quelques siècles.
À l’origine, l’océan
En effet, l’histoire de l’étude du climat voyage en parallèle avec l’étude des océans, qui occupent un rôle central dans la régulation du climat. La géographie de la mer, comme était appelée autrefois l’océanographie, est une discipline très ancienne née de l’intérêt économique des étendues d’eau pour le commerce, la pêche, la chasse à la baleine et l’exploration. Jusqu’au XVIe siècle, cependant, les connaissances étaient acquises de manière empirique, par des informations anecdotiques basées sur des récits de pêcheurs et sur des cartes parfois accompagnées d’explications ésotériques ou magiques.
Décisives pour la connaissance des conditions atmosphériques et marines furent les inventions du thermomètre et du baromètres, à cheval entre le XVIe et le XVIIe siècle en Italie (notamment grâce aux travaux de Galilée puis d’Evangelista Torricelli).
Pour comprendre comment une science si sophistiquée comme la climatologie est née, il faut remonter le temps de quelques siècles.
La connaissance des océans, et en particulier la cartographie des courants, buta jusqu’au milieu du XVIIIe siècle sur l’incapacité à déterminer la longitude en mer. C’est le développement des chronomètres marins qui permet le début de la cartographie des courants, initiée notamment par Benjamin Franklin.
L’océanographie, en tant que discipline scientifique, naît entre 1855, année de publication de Géographie physique de la mer de l’Américain Matthew Fontaine Maury et 1872, date de début de la première campagne océanographique, l’expédition du Challenger de l’Écossais Charles Wyville Thomson.
Ensuite, l’atmosphère
En France, en 1774, l’abbé Louis Cotte – qui travaillait pour les Sociétés royales de médecine et d’agriculture – publia le Traité de météorologie2, considéré aujourd’hui comme un des premiers textes de climatologie moderne.
Mais c’est au début du XIXe siècle que l’étude de l’atmosphère et des gaz qui la composent se complexifie. Le concept d’effet de serre apparaît pour la première fois en 1824, dans une publication de Jean-Baptiste Joseph Fourier, qui étudiait les mathématiques des flux de chaleur3. Ce grand physicien et mathématicien franc-comtois émit l’hypothèse que l’atmosphère agit comme un isolant, sans lequel la Terre serait complètement gelée.
Il fallait en savoir plus sur le rôle des gaz atmosphériques dans l’effet de serre. En 1861, au beau milieu du débat houleux sur l’origine des glaciations, le physicien irlandais John Tyndall – successeur de Michael Faraday à la Royal Institution et passionné de glaciologie – découvrit de façon expérimentale que le principal gaz impliqué est la vapeur d’eau, suivi par le dioxyde de carbone4. Ces gaz absorbent une partie des rayons infrarouges, et des petites variations de leur concentration provoquent des changements climatiques. Des résultats similaires, quoique moins aboutis, avaient été obtenus cinq années auparavant par l’inventrice et militante américaine des droits des femmes Eunice Foote, mais il n’y avait pas eu de diffusion au-delà de l’océan et ces premiers résultats ont ensuite été oubliés5.
Puis le fort lien entre le cycle du carbone et la température terrestre fut mis en évidence par le Prix Nobel Svante Arrhenius. Le chimiste suédois démontra qu’une augmentation de CO2 dans l’atmosphère engendre, comme conséquence, une significative augmentation de température6. Il avait calculé que si la concentration de CO2atmosphérique devait doubler, la température moyenne aurait augmenté de 4 °C à 6 °C, ce qui n’est pas très loin des estimations actuelles. Dommage que la communauté scientifique n’ait accepté l’influence du CO2 dans le bilan énergétique de l’atmosphère que dans les années 1950. D’ailleurs, Arrhenius vit plus loin : il comprit aussi que l’augmentation de CO2, en cours déjà à son époque, devait être attribuée à l’activité industrielle du charbon et des autres combustibles fossiles. Seulement, pour lui c’était une bonne nouvelle : les êtres humains du futur ne souffriraient pas à cause d’une nouvelle glaciation !
Enfin, le GIEC
Venons-en maintenant à la formule de Clausius-Clapeyron, citée 36 fois dans le sixième rapport d’évaluation (GIEC).
Émile Clapeyron (1799–1864), élève polytechnicien de 1816 à 1818 avant de rejoindre l’École des mines, fut un ingénieur et physicien parisien qui, dans la première partie de sa carrière, apporta des avancées significatives dans le domaine de l’ingénierie des ponts. Ce fut son profond intérêt envers la naissante industrie des chemins de fer qui l’amena à travailler sur les machines à vapeur et à diriger leur construction ; mais il s’intéressa surtout à l’amélioration du rendement des locomotives7.
Il prit connaissance des travaux de Sadi Carnot, aujourd’hui considéré comme le fondateur de la thermodynamique mais peu connu à l’époque (il venait de mourir, âgé de seulement 36 ans). Clapeyron divulgua ses travaux sur la mécanique de la chaleur, les rendit plus compréhensibles et apporta son énorme contribution. On lui doit une des premières énonciations de la deuxième loi de la thermodynamique, la formulation de la loi des gaz parfaits (PV=nRT) et la représentation graphique de l’évolution de la pression de changement d’état d’un corps en fonction de la température (formule de Clapeyron).
Clausius reprit la formule de Clapeyron et l’appliqua au cas particulier d’un équilibre liquide-vapeur.
Quelques années plus tard, un autre père fondateur de la thermodynamique, le physicien et mathématicien prussien Rudolf Clausius (1822–1888), reformula la deuxième loi de la thermodynamique dans la forme actuelle : « La chaleur se transmet toujours d’un corps plus chaud à un corps plus froid ». Et il introduit également les concepts d’entropie. En parallèle de son activité d’enseignement au Polytechnique de Zurich et aux universités de Berlin, Würzburg et Bonn, Clausius contribua aux grandes découvertes en physique du XIXe siècle et s’inspira de ses contemporains Carnot, Joule, Kelvin et Clapeyron. En effet, Clausius reprit la formule de Clapeyron et l’appliqua au cas particulier d’un équilibre liquide-vapeur8.
Voici, Clausius-Clapeyron
Finalement, on arrive donc à la fameuse formule tant utile à l’étude des changements climatiques. Selon la formule de Clausius-Clapeyron, à l’augmentation de température de 1 °C correspond une augmentation de l’humidité de l’atmosphère d’environ 7 %, c’est-à-dire environ 1 à 3 % de précipitations en plus à l’échelle mondiale. En des mots simples, cette équation aide à comprendre la formation des nuages, de la pluie, de la neige et se révèle très cohérente avec la prévision de phénomènes météorologiques extrêmes comme l’augmentation de la fréquence des précipitations et de leur quantité maximale annuelle, de la vitesse du vent, des inondations fluviales. De plus, l’augmentation de l’humidité correspond à une augmentation de la masse de vapeur d’eau et donc de l’effet de serre, entrainant de ce fait une boucle de rétroaction positive.
La formule de Clausius-Clapeyron est donc une très bonne base physique pour guider les prévisions futures, du moins à l’échelle mondiale. En effet, d’importantes variations à l’échelle régionale peuvent se produire selon les conditions locales, comme l’avait déjà compris Alexander von Humboldt (1769- 1859) en étudiant les diverses conditions climatiques des paysages sud-américains.