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Changement climatique : les perdants, les gagnants et l'adaptation

Réchauffement climatique : l’adaptation est-elle possible ?

Jean-Paul Vanderlinden, professeur en économie de l’écologie et environnementale à l’Université Paris-Saclay et Vincent Viguié, chercheur en économie de l’adaptation au changement climatique au CIRED
Le 16 mai 2023 |
5 min. de lecture
Jean-Paul Vanderlinden
Jean-Paul Vanderlinden
professeur en économie de l’écologie et environnementale à l’Université Paris-Saclay
Vincent Viguié
Vincent Viguié
chercheur en économie de l’adaptation au changement climatique au CIRED
En bref
  • L’adaptation est le processus d’ajustement au climat actuel ou prévu et à ses effets, afin d’atténuer les dommages ou d’exploiter les opportunités bénéfiques.
  • Couplée à l’atténuation, l’adaptation est utile dans de nombreux secteurs, comme les risques territoriaux ou la sécurité alimentaire.
  • Le rôle de l’État est clé, car il permet de coordonner les acteurs et de diffuser les bonnes informations.
  • L’adaptation transformationnelle consiste à modifier les caractéristiques fondamentales d’un système, par opposition à l’adaptation incrémentale.
  • La Commission globale sur l’adaptation estime que l’investissement de 1,8 milliards de dollars entre 2020 et 2030 peut générer 7,1 milliards de dollars de bénéfices.

+1,1° C : voilà à com­bi­en s’élève désor­mais la tem­péra­ture glob­ale par rap­port à la péri­ode 1850–1900. Il devient urgent de réduire le plus rapi­de­ment pos­si­ble les émis­sions de gaz à effet de serre (GES) : on par­le alors d’atténuation. Mais les retombées du réchauf­fe­ment cli­ma­tique sont déjà là : inon­da­tions et vagues de chaleur plus fréquentes, sécher­ess­es plus longues, aug­men­ta­tion du niveau de la mer, etc. Bien qu’indispensable, l’atténuation ne suf­fit pas. 

Un autre levi­er s’impose : l’adaptation. Elle est définie par le groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (GIEC) comme « le proces­sus d’ajustement au cli­mat actuel ou prévu et à ses effets, afin d’atténuer les dom­mages ou d’exploiter les oppor­tu­nités béné­fiques ». Elle cou­vre de nom­breux secteurs et activ­ités : par exem­ple, face aux risques côtiers, il est pos­si­ble de met­tre en place des retraits stratégiques, des digues, surélever les habi­ta­tions ou encore amélior­er le drainage. Con­cer­nant la sécu­rité ali­men­taire, des mesures d’adaptations peu­vent men­er à mod­i­fi­er le cal­en­dri­er ou la var­iété des cul­tures, met­tre en place des chaînes ali­men­taires locales ou encore adopter des régimes ali­men­taires végétariens.

Lier le politique aux enjeux climatiques

Les sci­en­tifiques s’y intéressent depuis les années 90, et le nom­bre de pub­li­ca­tions sur le sujet explose (+28,5 % de pub­li­ca­tions par an1). Les poli­tiques publiques s’y penchent aus­si. Dès 1992, lors du Som­met de Rio, l’adaptation et l’atténuation sont men­tion­nées con­join­te­ment. L’Accord de Paris fixe en 2015 un objec­tif mon­di­al d’adaptation, que la Com­mis­sion européenne trans­pose dans le Pacte Vert en 2021. En France, la pre­mière stratégie nationale d’adaptation est adop­tée en 2006 et, désor­mais, la Poli­tique nationale d’adaptation au change­ment cli­ma­tique (PNACC‑2) est en œuvre. Le rôle de l’État est clé, comme le pré­cise Vin­cent Vigu­ié : « Il con­siste notam­ment à coor­don­ner les acteurs et dif­fuser les bonnes infor­ma­tions. » Jean-Paul Van­der­lin­den ajoute : « L’adaptation est l’affaire de toutes et tous – États, asso­ci­a­tions, citoyens, entre­pris­es, etcMais la respon­s­abil­ité est dif­féren­ciée : il est néces­saire que l’action n’affaiblisse pas les col­lec­tifs ni ne ren­force les iné­gal­ités préex­is­tantes. »

À ce jour, le manque d’adaptation est cri­ant. « Il existe bien sûr des mesures, comme le PNACC ou les PCAET [plan cli­mat-air-énergie ter­ri­to­r­i­al] en France, ajoute Vin­cent Vigu­ié. Mais pour ces derniers, le con­tenu sur l’adaptation est en général très som­maire ! » En France, le Haut con­seil pour le cli­mat2 soulève le manque d’orientation pré­cise dans les straté­gies et les plans nationaux. Il en va de même à tra­vers le monde d’après l’ONU3. Les con­séquences de ce retard ? Cer­tains sys­tèmes sont déjà dans l’impasse. Les récifs coral­liens, cer­taines forêts trop­i­cales et plusieurs com­mu­nautés insu­laires ont atteint des lim­ites : l’adaptation ne per­me­t­tra plus de con­tenir les retombées du change­ment cli­ma­tique4. La Com­mis­sion glob­ale sur l’adaptation5 estime que, sans adap­ta­tion, 500 mil­lions de petites fer­mes vont être affec­tées par une baisse de ren­de­ments d’ici 2050, 5 mil­liards de per­son­nes souf­frir d’un manque d’accès à l’eau et 100 mil­lions de per­son­nes pass­er sous le seuil de pau­vreté d’ici 2030 dans les pays développés.

Atténuation et adaptation, un couple vertueux

De nom­breuses syn­er­gies – bien plus que de com­pro­mis – exis­tent entre l’adaptation, l’atténuation et le développe­ment durable d’après le GIEC. Prenons l’exemple de l’isolation des bâti­ments : elle améliore le con­fort ther­mique et tem­père la hausse du nom­bre de vagues de chaleur. Elle réduit égale­ment les émis­sions de GES en lim­i­tant l’usage de cli­ma­ti­sa­tion, et répond à plusieurs objec­tifs de développe­ment durable (lutte con­tre la pau­vreté, meilleure san­té et bien-être, etc.). « Cela illus­tre à quel point l’enjeu cli­ma­tique n’est pas isolé et la néces­sité de répon­dre aux défis envi­ron­nemen­taux de façon inté­grée. », appuie Jean-Paul Van­der­lin­den. Corol­laire : sans réflex­ion glob­ale, les vul­néra­bil­ités peu­vent aug­menter. « À Hô-Chi-Minh-Ville, le curage des canaux pro­tège effi­cace­ment les pop­u­la­tions des inon­da­tions, illus­tre Jean-Paul Van­der­lin­den. Mais ceux-ci sont occupés par des habi­tats pré­caires, et le prob­lème de la pau­vreté de ces pop­u­la­tions délo­cal­isées peut paraître à cer­tains comme un enjeu séparé voire sec­ondaire. »

Dans de nom­breux cas, l’adaptation néces­site des change­ments struc­turels majeurs : on par­le d’adaptation trans­for­ma­tion­nelle. Elle con­siste à mod­i­fi­er les car­ac­téris­tiques fon­da­men­tales d’un sys­tème en antic­i­pant les retombées du change­ment cli­ma­tique. L’adaptation incré­men­tale repose, elle, sur le main­tien du sys­tème exis­tant. Face à la mon­tée du niveau de la mer, il est par exem­ple pos­si­ble de con­stru­ire une digue pour pro­téger les pop­u­la­tions côtières (adap­ta­tion incré­men­tale) ou encore met­tre en œuvre un pro­gramme de retrait stratégique (adap­ta­tion trans­for­ma­tion­nelle)6. « L’adaptation incré­men­tale peut être utile notam­ment à court terme, comme les ‘plans canicule’ déployés suite à l’été 2003, com­mente Jean-Paul Van­der­lin­den. Mais, dans de nom­breux cas, l’adaptation trans­for­ma­tion­nelle est la seule réponse aux enjeux cli­ma­tiques long terme. » La dif­fi­culté ? Trans­former les sys­tèmes impose une adhé­sion forte de la part des citoyens. Or, mal­gré la disponi­bil­ité des con­nais­sances sci­en­tifiques rel­a­tives au bien com­mun, les indi­vidus sont mus par un intérêt per­son­nel : celui de s’accorder aux valeurs de leur entourage7. « Les valeurs morales ralen­tis­sent la mise en œuvre de l’adaptation trans­for­ma­tion­nelle. », ajoute Jean-Paul Vanderlinden.

Autre risque : celui de la mal­adap­ta­tion. Lors de ce proces­sus, la réduc­tion de vul­néra­bil­ités aug­mente cer­tains risques cli­ma­tiques. Tous les secteurs sont touchés : l’irrigation peut aug­menter la ten­sion sur la ressource en eau, la cli­ma­ti­sa­tion ou les usines de dessale­ment entraî­nent une hausse de la con­som­ma­tion énergé­tique, etc. Or « il existe de plus en plus de preuves de mal­adap­ta­tion dans de nom­breux secteurs et régions » d’après le GIEC. « Éviter la mal­adap­ta­tion est l’un des enjeux des poli­tiques publiques, assure Vin­cent Vigu­ié. Par exem­ple, réalis­er des investisse­ments dans la végé­tal­i­sa­tion des villes et l’isolation des loge­ments plutôt que mul­ti­pli­er l’installation de cli­ma­ti­sa­tions indi­vidu­elles. »

Plus financer, mieux gouverner

La bonne nou­velle ? Les solu­tions effi­caces sont bien con­nues. Mais le manque de finance­ment est un prob­lème majeur : les finance­ments publics et privés pour les éner­gies fos­siles sont tou­jours plus impor­tants que ceux pour l’atténuation et l’adaptation8. La majorité des finance­ments pour le cli­mat sont dédiés à l’atténuation. Les retombées économiques sont pour­tant intéres­santes : la Com­mis­sion glob­ale sur l’adaptation estime que l’investissement de 1,8 mil­liards de dol­lars entre 2020 et 2030 peut génér­er 7,1 mil­liards de dol­lars de béné­fices. Ces investisse­ments con­cer­nent les sys­tèmes d’alerte pré­coce, les infra­struc­tures résilientes, l’amélioration des ren­de­ments en zone aride, la pro­tec­tion des man­groves et la résilience de la ressource en eau. 

« La finance est une con­di­tion sine qua non mais la gou­ver­nance est le levi­er majeur, com­plète Jean-Paul Van­der­lin­den. La mise en place de formes démoc­ra­tiques délibéra­tives et par­tic­i­pa­tives est indis­pens­able. La con­ven­tion citoyenne pour le cli­mat est un très bon exem­ple de gou­ver­nance appro­priée quand elle est suiv­ie d’actions. » Dernier levi­er majeur pointé par le GIEC : les savoirs. Jean-Paul Van­der­lin­den pour­suit : « Les acteurs éta­tiques et les sci­en­tifiques ont une respon­s­abil­ité par­ti­c­ulière : iden­ti­fi­er pré­cisé­ment le sig­nal cli­ma­tique pour met­tre en œuvre les moyens appro­priés au proces­sus d’adaptation. »

Exit l’opposition atténu­a­tion-adap­ta­tion. « Il y a quelques années, on craig­nait que l’adaptation lim­ite l’atténuation, rap­pelle Vin­cent Vigu­ié. Il est désor­mais clair que les deux proces­sus sont com­plé­men­taires. » D’autant plus que l’atténuation est bien trop faible, et que cer­tains sys­tèmes atteignent déjà leurs lim­ites. Les con­clu­sions du GIEC sont sans appel : « Au-delà des lim­ites [à l’adaptation], seule l’atténuation peut [répon­dre à ces enjeux]. »

Anaïs Marechal
1Nalau, J., E. Tora­bi, N. Edwards, M. Howes and E. Mor­gan, 2021: A crit­i­cal explo­ration of adap­ta­tion heuris­tics. Clim. Risk Man­ag., 32, 100292.
2Haut Con­seil pour le cli­mat, juin 2021, Ren­forcer l’atténuation, engager l’adaptation, Rap­port annuel 2021
3https://​www​.unep​.org/​f​r​/​r​e​s​o​u​r​c​e​s​/​r​a​p​p​o​r​t​-​2​0​2​2​-​s​u​r​-​l​e​c​a​r​t​-​e​n​t​r​e​-​l​e​s​-​b​e​s​o​i​n​s​-​e​t​-​l​e​s​-​p​e​r​s​p​e​c​t​i​v​e​s​-​e​n​-​m​a​t​i​e​r​e​-​d​a​d​a​p​t​a​t​i​o​n-aux
4IPCC, 2023, Syn­the­sis report of the IPCC sixth assess­ment report, Longer report.
5Glob­al com­mis­sion on adap­ta­tion, sep­tem­bre 2019, Adapt now : a glob­al call for lead­er­ship on cli­mate resilience.
6Ara Begum, R., R. Lem­pert, E. Ali, T.A. Ben­jamin­sen, T. Bernauer, W. Cramer, X. Cui, K. Mach, G. Nagy, N.C. Stenseth, R. Suku­mar, and P. West­er, 2022: Point of Depar­ture and Key Con­cepts. In: Cli­mate Change 2022: Impacts, Adap­ta­tion and Vul­ner­a­bil­i­ty. Con­tri­bu­tion of Work­ing Group II to the Sixth Assess­ment Report of the Inter­gov­ern­men­tal Pan­el on Cli­mate Change [H.-O. Pört­ner, D.C. Roberts, M. Tign­or, E.S. Poloczan­s­ka, K. Minten­beck, A. Ale­gría, M. Craig, S. Langs­dorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, Cam­bridge, UK and New York, NY, USA, pp. 121–196, doi:10.1017/9781009325844.003.
7Kahan, D.M., et al. (2012), The polar­iz­ing impact of sci­ence lit­er­a­cy and numer­a­cy on per­ceived cli­mate change risks, Nature Cli­mate Change Let­ters, DOI: 10.1038/NCLIMATE1547
8IPCC, 2023, Syn­the­sis report of the IPCC sixth assess­ment report, Longer report.

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