+1,1° C : voilà à combien s’élève désormais la température globale par rapport à la période 1850–1900. Il devient urgent de réduire le plus rapidement possible les émissions de gaz à effet de serre (GES) : on parle alors d’atténuation. Mais les retombées du réchauffement climatique sont déjà là : inondations et vagues de chaleur plus fréquentes, sécheresses plus longues, augmentation du niveau de la mer, etc. Bien qu’indispensable, l’atténuation ne suffit pas.
Un autre levier s’impose : l’adaptation. Elle est définie par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) comme « le processus d’ajustement au climat actuel ou prévu et à ses effets, afin d’atténuer les dommages ou d’exploiter les opportunités bénéfiques ». Elle couvre de nombreux secteurs et activités : par exemple, face aux risques côtiers, il est possible de mettre en place des retraits stratégiques, des digues, surélever les habitations ou encore améliorer le drainage. Concernant la sécurité alimentaire, des mesures d’adaptations peuvent mener à modifier le calendrier ou la variété des cultures, mettre en place des chaînes alimentaires locales ou encore adopter des régimes alimentaires végétariens.
Lier le politique aux enjeux climatiques
Les scientifiques s’y intéressent depuis les années 90, et le nombre de publications sur le sujet explose (+28,5 % de publications par an1). Les politiques publiques s’y penchent aussi. Dès 1992, lors du Sommet de Rio, l’adaptation et l’atténuation sont mentionnées conjointement. L’Accord de Paris fixe en 2015 un objectif mondial d’adaptation, que la Commission européenne transpose dans le Pacte Vert en 2021. En France, la première stratégie nationale d’adaptation est adoptée en 2006 et, désormais, la Politique nationale d’adaptation au changement climatique (PNACC‑2) est en œuvre. Le rôle de l’État est clé, comme le précise Vincent Viguié : « Il consiste notamment à coordonner les acteurs et diffuser les bonnes informations. » Jean-Paul Vanderlinden ajoute : « L’adaptation est l’affaire de toutes et tous – États, associations, citoyens, entreprises, etc. Mais la responsabilité est différenciée : il est nécessaire que l’action n’affaiblisse pas les collectifs ni ne renforce les inégalités préexistantes. »
À ce jour, le manque d’adaptation est criant. « Il existe bien sûr des mesures, comme le PNACC ou les PCAET [plan climat-air-énergie territorial] en France, ajoute Vincent Viguié. Mais pour ces derniers, le contenu sur l’adaptation est en général très sommaire ! » En France, le Haut conseil pour le climat2 soulève le manque d’orientation précise dans les stratégies et les plans nationaux. Il en va de même à travers le monde d’après l’ONU3. Les conséquences de ce retard ? Certains systèmes sont déjà dans l’impasse. Les récifs coralliens, certaines forêts tropicales et plusieurs communautés insulaires ont atteint des limites : l’adaptation ne permettra plus de contenir les retombées du changement climatique4. La Commission globale sur l’adaptation5 estime que, sans adaptation, 500 millions de petites fermes vont être affectées par une baisse de rendements d’ici 2050, 5 milliards de personnes souffrir d’un manque d’accès à l’eau et 100 millions de personnes passer sous le seuil de pauvreté d’ici 2030 dans les pays développés.
Atténuation et adaptation, un couple vertueux
De nombreuses synergies – bien plus que de compromis – existent entre l’adaptation, l’atténuation et le développement durable d’après le GIEC. Prenons l’exemple de l’isolation des bâtiments : elle améliore le confort thermique et tempère la hausse du nombre de vagues de chaleur. Elle réduit également les émissions de GES en limitant l’usage de climatisation, et répond à plusieurs objectifs de développement durable (lutte contre la pauvreté, meilleure santé et bien-être, etc.). « Cela illustre à quel point l’enjeu climatique n’est pas isolé et la nécessité de répondre aux défis environnementaux de façon intégrée. », appuie Jean-Paul Vanderlinden. Corollaire : sans réflexion globale, les vulnérabilités peuvent augmenter. « À Hô-Chi-Minh-Ville, le curage des canaux protège efficacement les populations des inondations, illustre Jean-Paul Vanderlinden. Mais ceux-ci sont occupés par des habitats précaires, et le problème de la pauvreté de ces populations délocalisées peut paraître à certains comme un enjeu séparé voire secondaire. »
Dans de nombreux cas, l’adaptation nécessite des changements structurels majeurs : on parle d’adaptation transformationnelle. Elle consiste à modifier les caractéristiques fondamentales d’un système en anticipant les retombées du changement climatique. L’adaptation incrémentale repose, elle, sur le maintien du système existant. Face à la montée du niveau de la mer, il est par exemple possible de construire une digue pour protéger les populations côtières (adaptation incrémentale) ou encore mettre en œuvre un programme de retrait stratégique (adaptation transformationnelle)6. « L’adaptation incrémentale peut être utile notamment à court terme, comme les ‘plans canicule’ déployés suite à l’été 2003, commente Jean-Paul Vanderlinden. Mais, dans de nombreux cas, l’adaptation transformationnelle est la seule réponse aux enjeux climatiques long terme. » La difficulté ? Transformer les systèmes impose une adhésion forte de la part des citoyens. Or, malgré la disponibilité des connaissances scientifiques relatives au bien commun, les individus sont mus par un intérêt personnel : celui de s’accorder aux valeurs de leur entourage7. « Les valeurs morales ralentissent la mise en œuvre de l’adaptation transformationnelle. », ajoute Jean-Paul Vanderlinden.
Autre risque : celui de la maladaptation. Lors de ce processus, la réduction de vulnérabilités augmente certains risques climatiques. Tous les secteurs sont touchés : l’irrigation peut augmenter la tension sur la ressource en eau, la climatisation ou les usines de dessalement entraînent une hausse de la consommation énergétique, etc. Or « il existe de plus en plus de preuves de maladaptation dans de nombreux secteurs et régions » d’après le GIEC. « Éviter la maladaptation est l’un des enjeux des politiques publiques, assure Vincent Viguié. Par exemple, réaliser des investissements dans la végétalisation des villes et l’isolation des logements plutôt que multiplier l’installation de climatisations individuelles. »
Plus financer, mieux gouverner
La bonne nouvelle ? Les solutions efficaces sont bien connues. Mais le manque de financement est un problème majeur : les financements publics et privés pour les énergies fossiles sont toujours plus importants que ceux pour l’atténuation et l’adaptation8. La majorité des financements pour le climat sont dédiés à l’atténuation. Les retombées économiques sont pourtant intéressantes : la Commission globale sur l’adaptation estime que l’investissement de 1,8 milliards de dollars entre 2020 et 2030 peut générer 7,1 milliards de dollars de bénéfices. Ces investissements concernent les systèmes d’alerte précoce, les infrastructures résilientes, l’amélioration des rendements en zone aride, la protection des mangroves et la résilience de la ressource en eau.
« La finance est une condition sine qua non mais la gouvernance est le levier majeur, complète Jean-Paul Vanderlinden. La mise en place de formes démocratiques délibératives et participatives est indispensable. La convention citoyenne pour le climat est un très bon exemple de gouvernance appropriée quand elle est suivie d’actions. » Dernier levier majeur pointé par le GIEC : les savoirs. Jean-Paul Vanderlinden poursuit : « Les acteurs étatiques et les scientifiques ont une responsabilité particulière : identifier précisément le signal climatique pour mettre en œuvre les moyens appropriés au processus d’adaptation. »
Exit l’opposition atténuation-adaptation. « Il y a quelques années, on craignait que l’adaptation limite l’atténuation, rappelle Vincent Viguié. Il est désormais clair que les deux processus sont complémentaires. » D’autant plus que l’atténuation est bien trop faible, et que certains systèmes atteignent déjà leurs limites. Les conclusions du GIEC sont sans appel : « Au-delà des limites [à l’adaptation], seule l’atténuation peut [répondre à ces enjeux]. »