Rapport du GIEC : 3 choses à retenir
- Le dernier rapport du GIEC, paru le 4 avril 2022, est une synthèse de la situation actuelle du réchauffement climatique qui a pour particularité de proposer des solutions pour lutter contre ce phénomène.
- En voici la conclusion : nous pouvons encore agir, mais il faut le faire maintenant.
- L’objectif, pris lors de l’Accord de Paris en 2015, semble donc être encore réalisable, mais demande une réduction radicale de nos émissions de GES, et cela dans tous les secteurs confondus.
- Limiter le réchauffement climatique nécessite des transitions majeures dans le secteur de l’énergie, impliquant une réduction substantielle de l’utilisation des combustibles fossiles.
- Depuis le 5e rapport du GIEC, les coûts de l’énergie solaire et éolienne ont diminué, et un éventail croissant de politiques et de lois a amélioré l’efficacité énergétique et accéléré le déploiement des énergies renouvelables.
- Au travers du terme “energy conservation”, le GIEC place la sobriété comme un des leviers d’actions à entreprendre.
Le dernier rapport du GIEC, paru le 4 avril 2022 1, est une synthèse de la situation actuelle du réchauffement climatique qui a pour particularité de proposer des solutions pour lutter contre ce phénomène. Toutes ces recommandations, accompagnées d’estimations et de scénarios pour les mettre au mieux en pratique, sont présentées comme le chemin à suivre pour éviter les scénarios supérieurs à 1,5°C — décrits dans le premier rapport de cette série, paru en août 2021 2. En voici la conclusion : nous pouvons encore agir, mais il faut le faire maintenant. En effet, il montre que sans réduction immédiate et massive des émissions de gaz à effet de serre, il sera impossible de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C, d’ici 2050.
« La température mondiale se stabilisera lorsque les émissions de dioxyde de carbone atteindront des émissions nettes nulles, explique Philippe Drobinski, directeur du centre Energie4Climate de l’Institut Polytechnique de Paris et rapporteur de cette publication du GIEC. Pour un seuil de réchauffement de 1,5°C, cet objectif de neutralité doit être atteint au début des années 2050. Limiter le réchauffement à environ 2°C nécessite que les émissions mondiales de gaz à effet de serre atteignent leur maximum avant 2025 au plus tard, soient réduites d’un quart d’ici 2030 et atteignent des émissions nettes nulles de dioxyde de carbone dans le monde au début des années 2070. »
Il n’est pas trop tard
Patricia Crifo, professeure d’économie à l’École polytechnique et directrice adjointe du centre Energy4Climate précise que nous pouvons encore agir. « On lit souvent qu’il y aurait une inertie climatique de plusieurs décennies, et que les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre seraient en quelque sorte vains à court-moyen terme, constate-t-elle. Si de nombreux changements dus aux émissions passées et futures de gaz à effet de serre sont effectivement irréversibles (notamment sur les océans, les calottes glaciaires et le niveau mondial des mers), le rapport souligne cependant que si nous réduisons fortement les émissions rapidement, cela aura des effets visibles sur la qualité de l’air en quelques années, sur la température de la surface du globe dans un délai d’environ 20 ans, et sur de nombreux autres facteurs d’impact climatique à plus long terme. On peut donc agir sur notre futur climatique et chaque geste compte. »
L’objectif, pris lors de l’Accord de Paris en 2015, semble donc être encore réalisable, mais demande une réduction radicale de nos émissions de GES, et cela dans tous les secteurs confondus. Tout en gardant en tête que l’impact de chacun des secteurs ne peut être équivalent, certains émettent plus que d’autres. C’est par exemple le cas pour le secteur de l’agriculture, de la forêt et des autres utilisations des terres (AFOLU) — représentant 23 % des émissions globales de GES avec un total de 12 GtCO2 équivalent/an 4. Cependant, malgré les réductions à grande échelle des émissions possibles, le GIEC estime que celles-ci « ne peuvent pas compenser entièrement les actions retardées dans d’autres secteurs. »
La transition énergétique doit avoir lieu
« Limiter le réchauffement climatique nécessite des transitions majeures dans le secteur de l’énergie, impliquant une réduction substantielle de l’utilisation des combustibles fossiles, une électrification généralisée, une efficacité énergétique améliorée et l’utilisation de combustibles alternatifs, précise Philippe Drobinski. Depuis le 5e rapport du GIEC, les coûts de l’énergie solaire et éolienne et des batteries ont diminué. Un éventail croissant de politiques et de lois a amélioré l’efficacité énergétique, réduit les taux de déforestation et accéléré le déploiement des énergies renouvelables. »
Le rapport pointe sur le potentiel important de réduction des émissions des villes grâce à une consommation d’énergie réduite, à l’électrification des transports en combinaison avec des sources d’énergie à faibles émissions et à une meilleure absorption et stockage du carbone en utilisant la nature. La réduction des émissions dans l’industrie, elle, implique une utilisation plus efficace des matériaux, la réutilisation et le recyclage des produits et la réduction des déchets. Cela doit s’accompagner de nouveaux processus de production, de l’électricité à émissions faibles ou nulles, de l’hydrogène et, si nécessaire, du captage et du stockage du carbone.
Enfin, il ajoute que « une action climatique accélérée et équitable pour atténuer et s’adapter aux impacts du changement climatique est essentielle au développement durable. Les options de réponse peuvent être bénéfiques pour la biodiversité, pour l’adaptation au changement climatique et à pour la sécurisation des moyens de subsistance. Certaines peuvent absorber et stocker le carbone et, en même temps, aider les communautés à limiter les impacts associés au changement climatique. »
Pas d’efficacité individuelle sans changement structurel
Autre préconisation du GIEC : la baisse de la demande. Pour réduire nos impacts environnementaux, la production ne doit plus se faire sur la quantité, mais sur ce qui est demandé. Cela englobe des changements dans l’utilisation des infrastructures, l’adoption des technologies d’utilisation finale, comme des changements socioculturels et comportementaux. Selon le GIEC, ces mesures « prises ou à venir au niveau de la demande peuvent réduire les émissions mondiales de GES dans les secteurs d’utilisation finale de 40 à 70 % d’ici à 2050 par rapport aux scénarios de référence. »
Julie Mayer, Maître de Conférences au département I3-CRG (IP Paris), mène des recherches sur les transformations organisationnelles qui sous-tendent la transition énergétique et écologique. Elle explique que « c’est la première fois qu’un rapport du GIEC accorde autant de place à la question de la sobriété. Cela montre que ce concept devient incontournable dans la lutte contre le réchauffement climatique, et en renforce sa légitimité. »
Au travers du terme « energy conservation », le GIEC place la sobriété comme un des leviers d’actions. « Cette notion de sobriété porte sur ce que peuvent changer les individus dans leur mode de vie, sur différents domaines, de façon à réduire leur consommation quotidienne. Que ce soit par la limitation d’utilisation des appareils électroniques, des transports, ou encore par un changement de régime alimentaire, avec une alimentation moins carnée, ou orientée vers une consommation plus locale. »
« Le rapport du GIEC souligne deux points d’attention clés : d’abord, que la sobriété ne peut pas se focaliser sur le niveau des comportements individuels. En effet, comment exiger d’un individu qu’il devienne sobre, si le système dans lequel il vit ne l’est pas ? Ensuite, le rapport rappelle que les efforts de diminution des consommations, visant une transition durable et juste, ne seront probablement pas les mêmes d’une population à une autre : de multiples facteurs, tels que le niveau de richesse, sont à prendre en compte.
De façon générale, les experts du GIEC, et plus largement les chercheurs qui travaillent sur cette notion de sobriété dans diverses disciplines, pointent la nécessité d’un changement structurel comme culturel. « La sobriété interroge en effet, pour une société, son rapport à la nature, son rapport au temps, son rapport aux autres… C’est ici, insiste-t-elle, que les sciences sociales ont un rôle tout particulier à jouer : les changements de comportements et de modes de vie pointés dans le rapport soulèvent une question d’ordre sociologique, éthique, politique, voire philosophique, pour laquelle il est difficile d’envisager une réponse universelle et objective : qu’est-ce que le « juste assez » ? »