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Rapport du GIEC : 3 choses à retenir

Philippe Drobinski
Philippe Drobinski
directeur de recherche au sein du Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD*) du CNRS et professeur à l'École polytechnique (IP Paris)
Patricia Crifo
Patricia Crifo
professeure d’économie à l’École polytechnique (IP Paris)
Julie Mayer
Julie Mayer
maître de conférences à l'Université de Rennes
En bref
  • Le dernier rapport du GIEC, paru le 4 avril 2022, est une synthèse de la situation actuelle du réchauffement climatique qui a pour particularité de proposer des solutions pour lutter contre ce phénomène.
  • En voici la conclusion : nous pouvons encore agir, mais il faut le faire maintenant.
  • L’objectif, pris lors de l’Accord de Paris en 2015, semble donc être encore réalisable, mais demande une réduction radicale de nos émissions de GES, et cela dans tous les secteurs confondus.
  • Limiter le réchauffement climatique nécessite des transitions majeures dans le secteur de l’énergie, impliquant une réduction substantielle de l’utilisation des combustibles fossiles.
  • Depuis le 5e rapport du GIEC, les coûts de l’énergie solaire et éolienne ont diminué, et un éventail croissant de politiques et de lois a amélioré l’efficacité énergétique et accéléré le déploiement des énergies renouvelables.
  • Au travers du terme “energy conservation”, le GIEC place la sobriété comme un des leviers d’actions à entreprendre.

Le dernier rap­port du GIEC, paru le 4 avril 2022 1, est une syn­thèse de la sit­u­a­tion actuelle du réchauf­fe­ment cli­ma­tique qui a pour par­tic­u­lar­ité de pro­pos­er des solu­tions pour lut­ter con­tre ce phénomène. Toutes ces recom­man­da­tions, accom­pa­g­nées d’estimations et de scé­nar­ios pour les met­tre au mieux en pra­tique, sont présen­tées comme le chemin à suiv­re pour éviter les scé­nar­ios supérieurs à 1,5°C — décrits dans le pre­mier rap­port de cette série, paru en août 2021 2. En voici la con­clu­sion : nous pou­vons encore agir, mais il faut le faire main­tenant. En effet, il mon­tre que sans réduc­tion immé­di­ate et mas­sive des émis­sions de gaz à effet de serre, il sera impos­si­ble de main­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique en dessous de 2°C, d’ici 2050.

Fig­ure 1, Source : GIEC 3

« La tem­péra­ture mon­di­ale se sta­bilis­era lorsque les émis­sions de dioxyde de car­bone attein­dront des émis­sions nettes nulles, explique Philippe Drobin­s­ki, directeur du cen­tre Energie4Climate de l’Institut Poly­tech­nique de Paris et rap­por­teur de cette pub­li­ca­tion du GIEC. Pour un seuil de réchauf­fe­ment de 1,5°C, cet objec­tif de neu­tral­ité doit être atteint au début des années 2050. Lim­iter le réchauf­fe­ment à env­i­ron 2°C néces­site que les émis­sions mon­di­ales de gaz à effet de serre atteignent leur max­i­mum avant 2025 au plus tard, soient réduites d’un quart d’ici 2030 et atteignent des émis­sions nettes nulles de dioxyde de car­bone dans le monde au début des années 2070. »

Il n’est pas trop tard

Patri­cia Cri­fo, pro­fesseure d’économie à l’École poly­tech­nique et direc­trice adjointe du cen­tre Energy4Climate pré­cise que nous pou­vons encore agir. « On lit sou­vent qu’il y aurait une iner­tie cli­ma­tique de plusieurs décen­nies, et que les efforts de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre seraient en quelque sorte vains à court-moyen terme, con­state-t-elle. Si de nom­breux change­ments dus aux émis­sions passées et futures de gaz à effet de serre sont effec­tive­ment irréversibles (notam­ment sur les océans, les calottes glaciaires et le niveau mon­di­al des mers),  le rap­port souligne cepen­dant que si nous réduisons forte­ment les émis­sions rapi­de­ment,  cela aura des effets vis­i­bles sur la qual­ité de l’air en quelques années, sur la tem­péra­ture de la sur­face du globe dans un délai d’environ 20 ans, et sur de nom­breux autres fac­teurs d’impact cli­ma­tique à plus long terme. On peut donc agir sur notre futur cli­ma­tique et chaque geste compte. »

L’objectif, pris lors de l’Accord de Paris en 2015, sem­ble donc être encore réal­is­able, mais demande une réduc­tion rad­i­cale de nos émis­sions de GES, et cela dans tous les secteurs con­fon­dus. Tout en gar­dant en tête que l’impact de cha­cun des secteurs ne peut être équiv­a­lent, cer­tains émet­tent plus que d’autres. C’est par exem­ple le cas pour le secteur de l’agriculture, de la forêt et des autres util­i­sa­tions des ter­res (AFOLU) — représen­tant 23 % des émis­sions glob­ales de GES avec un total de 12 GtCO2 équivalent/an 4. Cepen­dant, mal­gré les réduc­tions à grande échelle des émis­sions pos­si­bles, le GIEC estime que celles-ci « ne peu­vent pas com­penser entière­ment les actions retardées dans d’autres secteurs. »

La transition énergétique doit avoir lieu 

« Lim­iter le réchauf­fe­ment cli­ma­tique néces­site des tran­si­tions majeures dans le secteur de l’énergie, impli­quant une réduc­tion sub­stantielle de l’utilisation des com­bustibles fos­siles, une élec­tri­fi­ca­tion général­isée, une effi­cac­ité énergé­tique améliorée et l’utilisation de com­bustibles alter­nat­ifs, pré­cise Philippe Drobin­s­ki. Depuis le 5e rap­port du GIEC, les coûts de l’énergie solaire et éoli­enne et des bat­ter­ies ont dimin­ué. Un éven­tail crois­sant de poli­tiques et de lois a amélioré l’efficacité énergé­tique, réduit les taux de déforesta­tion et accéléré le déploiement des éner­gies renou­ve­lables. » 

Source: IPCC 5

Le rap­port pointe sur le poten­tiel impor­tant de réduc­tion des émis­sions des villes grâce à une con­som­ma­tion d’énergie réduite, à l’électrification des trans­ports en com­bi­nai­son avec des sources d’énergie à faibles émis­sions et à une meilleure absorp­tion et stock­age du car­bone en util­isant la nature. La réduc­tion des émis­sions dans l’industrie, elle, implique une util­i­sa­tion plus effi­cace des matéri­aux, la réu­til­i­sa­tion et le recy­clage des pro­duits et la réduc­tion des déchets. Cela doit s’accompagner de nou­veaux proces­sus de pro­duc­tion, de l’électricité à émis­sions faibles ou nulles, de l’hydrogène et, si néces­saire, du cap­tage et du stock­age du carbone. 

Enfin, il ajoute que « une action cli­ma­tique accélérée et équitable pour atténuer et s’adapter aux impacts du change­ment cli­ma­tique est essen­tielle au développe­ment durable. Les options de réponse peu­vent être béné­fiques pour la bio­di­ver­sité, pour l’adaptation au change­ment cli­ma­tique et à pour la sécuri­sa­tion des moyens de sub­sis­tance. Cer­taines peu­vent absorber et stock­er le car­bone et, en même temps, aider les com­mu­nautés à lim­iter les impacts asso­ciés au change­ment cli­ma­tique. »

Pas d’efficacité individuelle sans changement structurel

Autre pré­con­i­sa­tion du GIEC : la baisse de la demande. Pour réduire nos impacts envi­ron­nemen­taux, la pro­duc­tion ne doit plus se faire sur la quan­tité, mais sur ce qui est demandé. Cela englobe des change­ments dans l’utilisation des infra­struc­tures, l’adoption des tech­nolo­gies d’utilisation finale, comme des change­ments socio­cul­turels et com­porte­men­taux. Selon le GIEC, ces mesures « pris­es ou à venir au niveau de la demande peu­vent réduire les émis­sions mon­di­ales de GES dans les secteurs d’utilisation finale de 40 à 70 % d’ici à 2050 par rap­port aux scé­nar­ios de référence. » 

Julie May­er, Maître de Con­férences au départe­ment I3-CRG (IP Paris), mène des recherch­es sur les trans­for­ma­tions organ­i­sa­tion­nelles qui sous-ten­dent la tran­si­tion énergé­tique et écologique. Elle explique que « c’est la pre­mière fois qu’un rap­port du GIEC accorde autant de place à la ques­tion de la sobriété. Cela mon­tre que ce con­cept devient incon­tourn­able dans la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, et en ren­force sa légitimité. » 

Au tra­vers du terme « ener­gy con­ser­va­tion », le GIEC place la sobriété comme un des leviers d’actions. « Cette notion de sobriété porte sur ce que peu­vent chang­er les indi­vidus dans leur mode de vie, sur dif­férents domaines, de façon à réduire leur con­som­ma­tion quo­ti­di­enne. Que ce soit par la lim­i­ta­tion d’utilisation des appareils élec­tron­iques, des trans­ports, ou encore par un change­ment de régime ali­men­taire, avec une ali­men­ta­tion moins carnée, ou ori­en­tée vers une con­som­ma­tion plus locale. »

« Le rap­port du GIEC souligne deux points d’attention clés : d’abord, que la sobriété ne peut pas se focalis­er sur le niveau des com­porte­ments indi­vidu­els. En effet, com­ment exiger d’un indi­vidu qu’il devi­enne sobre, si le sys­tème dans lequel il vit ne l’est pas ? Ensuite, le rap­port rap­pelle que les efforts de diminu­tion des con­som­ma­tions, visant une tran­si­tion durable et juste, ne seront prob­a­ble­ment pas les mêmes d’une pop­u­la­tion à une autre : de mul­ti­ples fac­teurs, tels que le niveau de richesse, sont à pren­dre en compte.

De façon générale, les experts du GIEC, et plus large­ment les chercheurs qui tra­vail­lent sur cette notion de sobriété dans divers­es dis­ci­plines, pointent la néces­sité d’un change­ment struc­turel comme cul­turel. « La sobriété inter­roge en effet, pour une société, son rap­port à la nature, son rap­port au temps, son rap­port aux autres… C’est ici, insiste-t-elle, que les sci­ences sociales ont un rôle tout par­ti­c­uli­er à jouer : les change­ments de com­porte­ments et de modes de vie pointés dans le rap­port soulèvent une ques­tion d’ordre soci­ologique, éthique, poli­tique, voire philosophique, pour laque­lle il est dif­fi­cile d’envisager une réponse uni­verselle et objec­tive : qu’est-ce que le « juste assez » ? »

Pablo Andres
1https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group‑3/
2https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group‑i/
3https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report‑1.5‑SPM_fr.pdf
4https://​www​.ipcc​.ch/​s​i​t​e​/​a​s​s​e​t​s​/​u​p​l​o​a​d​s​/​s​i​t​e​s​/​4​/​2​0​2​0​/​0​6​/​S​R​C​C​L​_​S​P​M​_​f​r.pdf
5https://​report​.ipcc​.ch/​a​r​6​w​g​3​/​p​d​f​/​I​P​C​C​_​A​R​6​_​W​G​I​I​I​_​S​u​m​m​a​r​y​F​o​r​P​o​l​i​c​y​m​a​k​e​r​s.pdf

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