Radulanine A : la découverte d’un herbicide naturel
L’utilisation de pesticides et d’herbicides de synthèse est un sujet sensible pour l’opinion publique, souvent inquiète au sujet de la sécurité des populations exposées et de la biodiversité. Sans entrer dans ce débat, il faut néanmoins souligner que la recherche de solutions et alternatives durables dans ce domaine est très active en chimie, notamment à travers les substances naturelles.
En chimie organique, nous jouons aux Lego avec les atomes pour reproduire des petites molécules naturelles aux propriétés intéressantes. C’est ce que l’on nomme la synthèse totale. Une fois ces molécules synthétisées, nous cherchons à les faire vivre au travers de nouvelles applications.
Les recherches dans ce domaine ont déjà permis de mettre sur le marché des molécules d’origine naturelle. Pour donner une idée de l’ampleur du phénomène, il faut souligner qu’environ un tiers des pesticides brevetés entre 1997 et 2010 sont « naturels » 1. Des alternatives existent donc, mais « naturel » ne veux pas dire « sans danger ».
Cependant, ce chiffre est bien inférieur dans la catégorie des herbicides : sur la même période, seules 8 % des molécules brevetées sont « naturelles ». C’est dans ce contexte que nous avons découvert un herbicide naturel avec des applications potentielles en agriculture, mais aussi dans le traitement des voies ferrées qui doivent rester parfaitement propres pour faire rouler un train à grande vitesse, par exemple. Notre projet est financé par les pôles innovation CNRS 2 et de l’Institut Polytechnique de Paris 3
Découverte inattendue
En mai 2019 notre équipe du Laboratoire de synthèse organique de l’École polytechnique 4 a annoncé que nous avions réussi à synthétiser un herbicide naturel : la radulanine A. C’est aussi un exemple de « sérendipité », cette aptitude à faire une découverte scientifique par hasard et à en saisir l’utilité. Car ça n’était pas sur un nouvel herbicide que nous travaillions, mais sur une nouvelle méthode de synthèse, ciblant des molécules complexes.
Les molécules ciblées dans nos recherches sont souvent complexes, et nécessitent des travaux de longue haleine. A la base, ce que nous visions, c’était une molécule produite par un champignon ; une molécule complexe avec certains motifs qui nous intéressaient. Pour reproduire ces motifs (des cycles oxygénés à sept chaînons) nous avons mis au point une nouvelle méthode de synthèse, en utilisant une réaction chimique particulière (pour les spécialistes qui nous liraient, un réarrangement de type rétro-Claisen). Pour tester l’utilité de cette méthode, nous avons donc choisi une molécule plus simple : la radulanine A. Et notre méthode de synthèse a fonctionné. Au départ, donc la radulanine A n’était pas forcement notre cible.
Premier réflexe : trouver une application
Une fois synthétisée, on s’est demandé à quoi cette molécule pouvait servir dans la nature. Or, elle a des analogies avec des molécules qui ont des propriétés d’hormone végétale. Un collègue chercheur de Sorbonne Université, Emmanuel Baudouin, a pris le relais et a montré que la radulanine A a bien la faculté d’interagir avec les plantes, à travers des propriétés phytotoxiques. Sans le savoir, on avait synthétisé un herbicide naturel !
À l’heure où l’on cherche des alternatives au glyphosate, c’est une bonne nouvelle. La propriété herbicide de cette molécule a été brevetée, et l’industrie s’y intéresse. Pour que le brevet soit exploité, il faudra comprendre la façon dont, au fil du temps, la molécule va évoluer dans l’environnement, et si elle peut agir sur le corps humain. Ces questions, centrales dans l’industrie, conditionnent notamment l’homologation. L’impact d’une molécule dépend aussi de la manière dont elle est utilisée, qui doit rester raisonnable pour limiter son impact sur l’environnement. La toxicité d’une substance est presque toujours affaire de concentration.