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L’eau au cœur des enjeux géopolitiques mondiaux

Quel avenir pour la ressource en eau en France ?

Eric Sauquet, directeur de recherche en hydrologie à l'INRAE
Le 23 octobre 2024 |
5 min. de lecture
Eric Sauquet
Eric Sauquet
directeur de recherche en hydrologie à l'INRAE
En bref
  • Le récent projet Explore2 examine les futurs possibles de l’eau en France métropolitaine selon les scénarios climatiques du GIEC.
  • Dans le pire des scénarios, la température atteindra +4 °C d'ici la fin du siècle par rapport à 1976-2005, avec des précipitations accrues en hiver et réduites en été.
  • Une grande partie du territoire métropolitain connaîtra très certainement des étiages plus sévères en été et une hausse des débits des rivières en hiver.
  • Les « hot spots » (notamment le Sud-Est et le Sud-Ouest de la France) seront particulièrement affectés par une baisse de la ressource en eau annuelle.
  • La France se trouve géographiquement à la transition entre deux évolutions majeures : plus de précipitations au nord de l'Europe et une aridification du bassin méditerranéen.

Le change­ment cli­ma­tique affecte le cycle de l’eau. Comme nous l’avons exploré au cours de ce dossier, si l’eau est abon­dam­ment présente sur Terre, elle est iné­gale­ment répar­tie dans le temps et l’espace et les ten­sions sur la ressource s’amplifient en rai­son des usages et du change­ment cli­ma­tique. Qu’en est-il pour la France ? Le pro­jet Explore21 – dont les résul­tats ont été pub­liés à l’été 2024 – explore les futurs pos­si­bles de l’eau en France mét­ro­pol­i­taine selon les scé­nar­ios cli­ma­tiques du Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (GIEC). Pour dif­férents indi­ca­teurs de la ressource en eau (débit des riv­ières, recharge des nappes souter­raines, etc.), les niveaux futurs sont estimés tous les 8 kilo­mètres. Éric Sauquet, co-pilote sci­en­tifique du pro­jet, nous en détaille les résultats.

Comment le changement climatique affecte-t-il le climat de la France métropolitaine ?

Éric Sauquet. Quelles que soient nos futures émis­sions de gaz à effet de serre (GES), la tem­péra­ture aug­mente, d’autant plus que nos rejets sont impor­tants. Dans l’étude Explore2, nous avons con­sid­éré trois scé­nar­ios pour le futur des émis­sions de GES. Je vais me con­cen­tr­er sur le pire scé­nario, celui dans lequel nos rejets de GES con­tin­u­ent à croitre de façon impor­tante (RCP 8.5). En France hexag­o­nale, les mod­èles mon­trent que la tem­péra­ture attein­dra alors 4 °C de plus d’ici la fin du siè­cle par rap­port à la péri­ode 1976–2005. La sit­u­a­tion sera con­trastée selon les saisons, avec des hauss­es de tem­péra­ture plus impor­tantes en été qu’en hiv­er. Quant aux pré­cip­i­ta­tions, il est prob­a­ble qu’elles vont aug­menter en hiv­er et dimin­uer en été en 2100. Le sig­nal n’est pas clair à l’échelle annuelle.

Change­ments pro­jetés pour la tem­péra­ture moyenne annuelle pour qua­tre futurs con­trastés (nar­rat­ifs d’Explore2) sous scé­nario de fortes émis­sions en fin de siè­cle (référence : 1976–2005)

Quelles sont les conséquences sur la ressource en eau ?

L’évolution du débit des riv­ières reflète celle des pré­cip­i­ta­tions. Il est qua­si­ment cer­tain qu’une grande par­tie du ter­ri­toire mét­ro­pol­i­tain va être soumise à des éti­ages [N.D.L.R : le niveau le plus bas du cours d’eau] plus sévères en été, en rai­son de la diminu­tion des pré­cip­i­ta­tions et de la hausse de l’évapotranspiration.

Change­ments pro­jetés pour le débit moyen hiver­nal pour qua­tre futurs con­trastés (nar­rat­ifs d’Explore2) sous scé­nario de fortes émis­sions en fin de siè­cle (référence : 1976–2005) (esti­ma­tion médi­ane tous mod­èles hydrologiques confondus)

En hiv­er, le débit des riv­ières aug­mentera sur une grande par­tie du ter­ri­toire à cause de la hausse des pré­cip­i­ta­tions. Sous l’effet de l’élévation des tem­péra­tures, les pré­cip­i­ta­tions plu­vieuses en mon­tagne vont aug­menter au détri­ment de la neige : cela con­tribuera à la hausse des débits hiver­naux dans les ter­ri­toires alpins, pyrénéens et le Mas­sif cen­tral. Con­cer­nant l’échelle annuelle, il n’existe pas de ten­dance claire sur les débits, à l’exception du sud de la France où les mod­èles mon­trent claire­ment une diminu­tion des débits annuels.

Change­ments pro­jetés pour le débit moyen esti­val pour qua­tre futurs con­trastés (nar­rat­ifs d’Explore2) sous scé­nario de fortes émis­sions en fin de siè­cle (référence : 1976–2005) (esti­ma­tion médi­ane tous mod­èles hydrologiques confondus)

20 % du volume d’eau douce prélevé en France provient des nappes d’eau souterraines – le reste étant prélevé en surface2. Cette réserve est-elle également affectée par le changement climatique ?

Pour les deux scé­nar­ios d’émissions, la recharge annuelle des aquifères demeure rel­a­tive­ment sta­ble d’ici la fin du siè­cle, hormis dans le nord de la France où les mod­èles pro­jet­tent une augmentation.

En résumé, certaines régions seront-elles plus touchées que d’autres ?

Les prob­lèmes de ten­sion sur l’eau vont se généralis­er en France mét­ro­pol­i­taine, par­ti­c­ulière­ment en été par l’effet con­jugué de la baisse des pré­cip­i­ta­tions et de la hausse de l’évapotranspiration. Mais le ter­ri­toire français est suff­isam­ment grand pour que des con­trastes spa­ti­aux émer­gent : nous pou­vons iden­ti­fi­er des zones plus affec­tées, nous par­lons de « hot spots ». Le Sud-Est (y com­pris la Corse) et le Sud-Ouest seront par­ti­c­ulière­ment affec­tés par une baisse de la ressource en eau annuelle. Le sig­nal est moins clair en ter­mes de change­ment des débits en été pour le nord de la France.

Quelles sont justement les incertitudes restantes concernant l’avenir de la ressource en eau en France ?

La France se situe à la tran­si­tion entre deux change­ments majeurs : au nord de l’Europe, les pré­cip­i­ta­tions vont aug­menter sous l’effet du change­ment cli­ma­tique ; à l’inverse, le bassin méditer­ranéen va devenir plus aride. La tran­si­tion entre ces deux régimes se situe-t-elle au nord de la France ? En Bel­gique ? Il est encore dif­fi­cile d’avoir une réponse claire avec les mod­èles cli­ma­tiques. Une autre source d’incertitude pour le nord de la France est liée à la dynamique naturelle des nappes souter­raines de la région : elles stock­ent de l’eau en hiv­er et la dés­tock­ent en été, aug­men­tant alors le débit des riv­ières. Ce proces­sus va-t-il com­penser les sécher­ess­es esti­vales ? Les mod­èles ne sont pas tous d’accord.

Ces incer­ti­tudes sont claire­ment représen­tées dans les résul­tats d’Explore2. Les mod­èles de cli­mat nous ren­seignent sur les futurs pos­si­bles du cli­mat en France à la fin du siè­cle sous l’effet de la hausse des GES. Nous avons donc choisi de con­serv­er qua­tre cli­mats type, les plus con­trastés. Ce sont nos qua­tre « nar­rat­ifs » : réchauf­fe­ment mar­qué et aug­men­ta­tion des pré­cip­i­ta­tions (vert) ; change­ments futurs rel­a­tive­ment peu mar­qués (jaune) ; fort réchauf­fe­ment et forts con­trastes saison­niers en pré­cip­i­ta­tions (vio­let) ; fort réchauf­fe­ment et fort asséche­ment en été (orange). Pour chaque indi­ca­teur hydrologique, qua­tre cartes sont présen­tées pour illus­tr­er les pro­jec­tions selon chaque nar­ratif. Cela per­met aux acteurs ter­ri­to­ri­aux d’imaginer le futur de leur ter­ri­toire en prenant en compte l’ensemble des résul­tats scientifiques.

Quelles sont les solutions à leur disposition pour s’adapter à ces tensions grandissantes sur la ressource en eau ?

Le pre­mier levi­er est la sobriété des usages. Les résul­tats d’Explore2 mon­trent la néces­sité de s’adapter aux retombées du change­ment cli­ma­tique. Nous avons mis à dis­po­si­tion de toutes et tous un por­tail numérique pour faciliter l’accès aux résul­tats. Ils peu­vent servir de réflex­ion pour la mise en place de straté­gies d’adaptation. L’existence des don­nées a d’ailleurs déjà été men­tion­née dans le Plan Eau présen­té par le Gou­verne­ment en 2023 et cer­taines pro­jec­tions ont été exploitées par l’Agence de l’eau Rhône-Méditer­ranée-Corse pour réalis­er un diag­nos­tic de vul­néra­bil­ité de son ter­ri­toire aux effets du change­ment climatique.

Les pro­jec­tions hydrologiques du pire scé­nario d’émissions de GES (RCP8.5), que j’ai détail­lées ici, nous illus­trent le futur si nous n’atténuons pas notre impact sur le cli­mat. Cela doit égale­ment pouss­er l’ensemble des acteurs à œuvr­er pour lim­iter le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, de nom­breux moyens d’action existent.

Anaïs Marechal
1Sauquet, Éric; Evin, Guil­laume; Siauve, Sonia; Bor­nancin-Plantier, Audrey; Jacquin, Nat­acha; Arnaud, Patrick; Bérel, Maud; Bernus, Sébastien; Bon­neau, Jérémie; Branger, Flo­ra; Caballero, Yvan; Col­léoni, François; Col­let, Lila; Corre, Lola; Drouin, Agathe; Ducharne, Agnès; Fournier, Maïté; Gail­hard, Joël; Habets, Flo­rence; Hen­drickx, Frédéric; Héraut, Louis; Hingray, Benoît; Huang, Peng; Jaouen, Tris­tan; Jean­tet, Alex­is; Lani­ni, San­dra; Le Lay, Matthieu; Loudin, Sarah; Mag­a­nd, Claire; Mar­son, Paula; Mimeau, Louise; Mon­teil, Céline; Munier, Simon; Per­rin, Charles; Robin, Yoann; Rous­set, Fabi­enne; Soubey­roux, Jean-Michel; Strohmenger, Lau­rent; Thirel, Guil­laume; Toc­quer, Flo­re; Tram­blay, Yves; Vergnes, Jean-Pierre; Vidal, Jean-Philippe; Vrac, Math­ieu, 2024, « Mes­sages et enseigne­ments du pro­jet Explore2 », https://​doi​.org/​1​0​.​5​7​7​4​5​/​J​3XIPW, Recherche Data Gouv, V7
2https://​www​.sta​tis​tiques​.devel​oppe​ment​-durable​.gouv​.fr/​l​e​a​u​-​e​n​-​f​r​a​n​c​e​-​r​e​s​s​o​u​r​c​e​-​e​t​-​u​t​i​l​i​s​a​t​i​o​n​-​s​y​n​t​h​e​s​e​-​d​e​s​-​c​o​n​n​a​i​s​s​a​n​c​e​s​-​e​n​-2023

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