Le changement climatique affecte le cycle de l’eau. Comme nous l’avons exploré au cours de ce dossier, si l’eau est abondamment présente sur Terre, elle est inégalement répartie dans le temps et l’espace et les tensions sur la ressource s’amplifient en raison des usages et du changement climatique. Qu’en est-il pour la France ? Le projet Explore21 – dont les résultats ont été publiés à l’été 2024 – explore les futurs possibles de l’eau en France métropolitaine selon les scénarios climatiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Pour différents indicateurs de la ressource en eau (débit des rivières, recharge des nappes souterraines, etc.), les niveaux futurs sont estimés tous les 8 kilomètres. Éric Sauquet, co-pilote scientifique du projet, nous en détaille les résultats.
Comment le changement climatique affecte-t-il le climat de la France métropolitaine ?
Éric Sauquet. Quelles que soient nos futures émissions de gaz à effet de serre (GES), la température augmente, d’autant plus que nos rejets sont importants. Dans l’étude Explore2, nous avons considéré trois scénarios pour le futur des émissions de GES. Je vais me concentrer sur le pire scénario, celui dans lequel nos rejets de GES continuent à croitre de façon importante (RCP 8.5). En France hexagonale, les modèles montrent que la température atteindra alors 4 °C de plus d’ici la fin du siècle par rapport à la période 1976–2005. La situation sera contrastée selon les saisons, avec des hausses de température plus importantes en été qu’en hiver. Quant aux précipitations, il est probable qu’elles vont augmenter en hiver et diminuer en été en 2100. Le signal n’est pas clair à l’échelle annuelle.
Quelles sont les conséquences sur la ressource en eau ?
L’évolution du débit des rivières reflète celle des précipitations. Il est quasiment certain qu’une grande partie du territoire métropolitain va être soumise à des étiages [N.D.L.R : le niveau le plus bas du cours d’eau] plus sévères en été, en raison de la diminution des précipitations et de la hausse de l’évapotranspiration.
En hiver, le débit des rivières augmentera sur une grande partie du territoire à cause de la hausse des précipitations. Sous l’effet de l’élévation des températures, les précipitations pluvieuses en montagne vont augmenter au détriment de la neige : cela contribuera à la hausse des débits hivernaux dans les territoires alpins, pyrénéens et le Massif central. Concernant l’échelle annuelle, il n’existe pas de tendance claire sur les débits, à l’exception du sud de la France où les modèles montrent clairement une diminution des débits annuels.
20 % du volume d’eau douce prélevé en France provient des nappes d’eau souterraines – le reste étant prélevé en surface2. Cette réserve est-elle également affectée par le changement climatique ?
Pour les deux scénarios d’émissions, la recharge annuelle des aquifères demeure relativement stable d’ici la fin du siècle, hormis dans le nord de la France où les modèles projettent une augmentation.
En résumé, certaines régions seront-elles plus touchées que d’autres ?
Les problèmes de tension sur l’eau vont se généraliser en France métropolitaine, particulièrement en été par l’effet conjugué de la baisse des précipitations et de la hausse de l’évapotranspiration. Mais le territoire français est suffisamment grand pour que des contrastes spatiaux émergent : nous pouvons identifier des zones plus affectées, nous parlons de « hot spots ». Le Sud-Est (y compris la Corse) et le Sud-Ouest seront particulièrement affectés par une baisse de la ressource en eau annuelle. Le signal est moins clair en termes de changement des débits en été pour le nord de la France.
Quelles sont justement les incertitudes restantes concernant l’avenir de la ressource en eau en France ?
La France se situe à la transition entre deux changements majeurs : au nord de l’Europe, les précipitations vont augmenter sous l’effet du changement climatique ; à l’inverse, le bassin méditerranéen va devenir plus aride. La transition entre ces deux régimes se situe-t-elle au nord de la France ? En Belgique ? Il est encore difficile d’avoir une réponse claire avec les modèles climatiques. Une autre source d’incertitude pour le nord de la France est liée à la dynamique naturelle des nappes souterraines de la région : elles stockent de l’eau en hiver et la déstockent en été, augmentant alors le débit des rivières. Ce processus va-t-il compenser les sécheresses estivales ? Les modèles ne sont pas tous d’accord.
Ces incertitudes sont clairement représentées dans les résultats d’Explore2. Les modèles de climat nous renseignent sur les futurs possibles du climat en France à la fin du siècle sous l’effet de la hausse des GES. Nous avons donc choisi de conserver quatre climats type, les plus contrastés. Ce sont nos quatre « narratifs » : réchauffement marqué et augmentation des précipitations (vert) ; changements futurs relativement peu marqués (jaune) ; fort réchauffement et forts contrastes saisonniers en précipitations (violet) ; fort réchauffement et fort asséchement en été (orange). Pour chaque indicateur hydrologique, quatre cartes sont présentées pour illustrer les projections selon chaque narratif. Cela permet aux acteurs territoriaux d’imaginer le futur de leur territoire en prenant en compte l’ensemble des résultats scientifiques.
Quelles sont les solutions à leur disposition pour s’adapter à ces tensions grandissantes sur la ressource en eau ?
Le premier levier est la sobriété des usages. Les résultats d’Explore2 montrent la nécessité de s’adapter aux retombées du changement climatique. Nous avons mis à disposition de toutes et tous un portail numérique pour faciliter l’accès aux résultats. Ils peuvent servir de réflexion pour la mise en place de stratégies d’adaptation. L’existence des données a d’ailleurs déjà été mentionnée dans le Plan Eau présenté par le Gouvernement en 2023 et certaines projections ont été exploitées par l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse pour réaliser un diagnostic de vulnérabilité de son territoire aux effets du changement climatique.
Les projections hydrologiques du pire scénario d’émissions de GES (RCP8.5), que j’ai détaillées ici, nous illustrent le futur si nous n’atténuons pas notre impact sur le climat. Cela doit également pousser l’ensemble des acteurs à œuvrer pour limiter le réchauffement climatique, de nombreux moyens d’action existent.