Que sont les virus géants, ces énigmatiques colosses microscopiques ?
- En 2003, des chercheurs pensent examiner une bactérie au microscope avant de se rendre compte qu’il s’agit d’un virus de très grande taille, baptisé « mimivirus ».
- Mimivirus fait 0,7 µm, soit trois fois plus que la longueur connue des virus à l’époque, qui est de 0,2 µm.
- De nombreux cousins de mimivirus ont rapidement été découverts, ainsi que des pandoravirus, pithovirus et autres mollivirus.
- C’est la métagénomique qui a permis de découvrir tous ces virus géants, qui se comptent au nombre de milliers.
- De nombreuses questions restent en suspens notamment concernant les génomes des virus géants, qui présentent un contenu ne ressemblant à rien de connu.
1992 : une épidémie de légionellose touche la ville anglaise de Bradford et se prépare à bouleverser complètement la virologie. Pourtant, cette maladie est causée par des bactéries ! Celles du genre Legionella, qui vivent dans les eaux tièdes et se multiplient habituellement aux dépens d’amibes (des petits organismes composés d’une unique cellule, dont le fonctionnement est plus proche de celui de nos propres cellules que de celui des bactéries).
Une découverte française venue d’Angleterre
La particularité de la légionellose est qu’elle ne se transmet pas directement d’humain à humain, mais via les aérosols provenant des environnements contaminés par les bactéries. Pour identifier l’origine de l’épidémie de Bradford, le microbiologiste Timothy Rowbotham a donc réalisé un certain nombre de prélèvements, à la recherche des fameuses Legionella et des amibes qu’elles parasitent.
En observant au microscope optique un échantillon récupéré dans la tour de refroidissement de l’hôpital, Rowbotham constate que celui-ci contient bien des amibes qui, elles-mêmes, contiennent ce qui a l’air d’être une bactérie… Mais dont la forme ne correspond pas à celle des Legionella. Il nomme ce nouveau microbe Bradford coccus et essaye de le caractériser avec des outils adaptés à l’étude des bactéries pendant plusieurs années. En vain.
L’échantillon retourne dans un congélateur puis, le jeune chercheur Richard Birtles, partant faire un post-doctorat à Marseille en 1995, en embarque un peu avec lui1. Les chercheurs français ne font au départ pas mieux que les Anglais : impossible de caractériser le génome de Bradford coccus… Jusqu’à ce que quelqu’un ait l’idée d’observer cette soi-disant bactérie avec un microscope électronique, au pouvoir grossissant suffisant pour se rendre compte qu’il s’agit en fait d’un virus, à la taille étonnante.
Quelques années plus tard, trois équipes de recherche marseillaises partagent leurs résultats dans un article intitulé « Un virus géant d’amibe »2 : Timothy Rowbotham avait, sans le savoir, isolé un virus capable d’infecter les amibes et mesurant environ 0,7 µm de diamètre. En hommage à sa confusion initiale avec une bactérie, celui-ci a été baptisé mimivirus, pour microbe-mimicking (littéralement « ressemblant à un microbe »).
Les virus géants, une découverte de taille
La description de ce virus en 2003 était révolutionnaire ! Car, s’il a fallu des années pour comprendre la vraie nature de mimivirus, c’est qu’à l’époque, personne ne pensait qu’il pouvait exister des virus aussi gros. Et pour cause : à la fin du dix-neuvième siècle, la capacité des virus à traverser les pores de filtres suffisamment fins pour retenir les bactéries est une des premières caractéristiques ayant permis de les identifier comme un nouveau type d’agents infectieux. Autrement dit, on avait toujours défini les virus comme étant plus petits que les bactéries, qui mesurent en moyenne 1 µm de longueur, en considérant qu’ils pouvaient quant à eux atteindre environ 0,2 µm maximum. Soit trois fois moins que la taille de mimivirus.
Pourtant, ce colosse microscopique n’a rien d’une exception et les découvertes de virus géants s’enchaînent depuis 2003, notamment grâce aux travaux du laboratoire Information Génomique et Structurale, aujourd’hui dirigé par Chantal Abergel4. On connait désormais de nombreux cousins de mimivirus, rassemblés dans la famille des Mimiviridae. Ainsi que des pandoravirus, pithovirus et autres mollivirus : comme souvent en biologie, plus on cherche des virus géants, plus on en trouve !
Certaines découvertes sont de vraies prouesses : les pithovirus5 et les mollivirus6 ont initialement été isolés à partir de pergélisol vieux d’environ 30 000 ans. Ce qui ne les a pas empêchés, entre les mains expertes des chercheurs, d’être toujours capables d’infecter des amibes. Souhaitant montrer que ça n’est pas si exceptionnel, la même équipe a récemment publié un préprint dans lequel elle a ranimé de la même façon pas moins de 13 virus d’amibes différents7.
Portrait de famille
Si les premiers virus géants identifiés l’ont été grâce à des co-cultures avec des hôtes sensibles à l’infection (principalement des amibes), cela fait une dizaine d’années qu’un nouvel outil accélère le rythme des découvertes : la métagénomique. Cette technique combinant séquençage massif et analyses bio-informatiques, à laquelle nous avons consacré un article, a fait exploser le nombre de virus géants connus, qui se comptent désormais en milliers8.
Ils sont particulièrement nombreux dans les océans, mais on en trouve aussi dans les sols ou les lacs et il est clair qu’on ne fait que commencer à prendre la mesure de leur quantité, leur répartition et leur diversité. Si on devait esquisser un portrait de famille, tous les virus géants connus ont des génomes composés d’ADN double brin et la majorité d’entre eux forment des usines virales dans les cellules qu’ils infectent, qui sont exactement ce que leur nom décrit. Leur taille peut atteindre jusqu’à 2 µm de longueur pour les tupanvirus, membre des Mimiviridae9 et leurs génomes mesurer jusqu’à 2,5 millions de paires de bases pour les pandoravirus10.
Il n’est pas évident de déterminer quels organismes sont naturellement infectés par les virus géants, en particulier quand ceux-ci sont identifiés par métagénomique. Différentes approches, comme la recherche de génomes systématiquement associés à ceux des virus dans les échantillons, suggèrent que les virus géants sont capables d’infecter un grand nombre de micro-organismes eucaryotes, pas uniquement des amibes12. La liste est loin d’être fixée pour l’instant, mais plus elle s’allonge, plus ces virus sont susceptibles d’avoir des impacts importants sur les écosystèmes.
De nombreuses questions en suspens
De toutes les choses qu’il nous reste à découvrir et à comprendre concernant les virus géants, ce sont vraisemblablement leurs génomes qui soulèvent le plus de questions. En effet, ils ne sont pas seulement démesurément longs (pour des virus) : leur contenu lui-même est étonnant. D’une part parce que, souvent, une grande partie des gènes (parfois plus de 90 % !13) ne ressemble à rien de connu. Impossible de savoir d’où ils viennent ou à quoi ils servent. D’autre part parce que, parmi les gènes qu’on comprend, certains n’avaient jamais été observés dans des virus jusque-là.
En effet, les virus géants possèdent des gènes impliqués dans des processus cellulaires, comme la réplication de l’ADN ou l’expression de l’information génétique. Ils ne sont pas autonomes, loin de là, mais cela interroge tout de même sur leur degré de dépendance, leur origine et leur histoire évolutive14. En 2008, l’identification de virus capables d’infecter des virus géants eux-mêmes en train d’infecter une amibe est venue ajouter une pièce supplémentaire à ce casse-tête15.
Inconnus il y a seulement vingt ans, les virus géants font régulièrement l’objet de nouvelles découvertes et chacune soulève son lot de questions. Nombreux dans les océans et interagissant avec des micro-organismes qui jouent des rôles clés dans la production d’oxygène ou la capture du CO2 atmosphérique, il est possible qu’on entende parler d’eux en dehors des revues de virologie. Au-delà de leurs impacts, ils fascinent en tous cas en nous amenant à repenser la façon dont il convient de définir des termes comme « virus » et « vivant ».