Pluies extrêmes : peut-on anticiper les risques d’inondations ?
- Avec le réchauffement climatique, les épisodes de pluies extrêmes s'intensifient, mais il reste difficile de prévoir avec précision les risques d'inondation futurs.
- La relation de Clausius-Clapeyron montre qu’en raison du réchauffement climatique, les régions arides deviennent plus sèches, tandis que les régions humides deviennent encore plus humides.
- Cependant, il est difficile à ce jour de caractériser précisément l’impact du réchauffement climatique sur les précipitations extrêmes, qui sont intermittentes et variables selon les zones géographiques.
- Tout ce que nous savons pour anticiper les inondations est que lors d’un évènement de précipitation intense, l’intensité est augmentée par la présence de plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère.
- Le risque d’inondation dépend du climat, mais aussi des impacts directs des activités humaines, comme l’imperméabilisation des sols, qui amplifie ce risque, tandis que certains ouvrages hydrauliques peuvent le réduire.
Le changement climatique a‑t-il une influence sur les inondations à travers le monde ?
Jan Polcher. Le changement climatique influence le cycle de l’eau. Un collègue l’a très bien décrit au premier ordre : avec le changement climatique, les régions sèches deviennent plus sèches et les régions humides deviennent plus humides1. Cela s’explique par un processus physique bien connu : la relation de Clausius-Clapeyron. La hausse de température de l’atmosphère en surface entraine une hausse de la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère, d’environ 7 % à chaque degré supplémentaire.
En conséquence, les précipitations sont plus intenses. D’après le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), on observe une hausse de la fréquence et de l’intensité des précipitations extrêmes à l’échelle globale sur les continents depuis les années 50, en particulier en Europe, Amérique du Nord et Asie2. Mais il faut noter que notre compréhension de ce sujet n’a que peu évolué ces dernières décennies, et on ne peut pas dire que nous caractérisons bien l’impact du changement climatique sur les précipitations extrêmes.
Pourquoi est-ce si difficile ?
Cela est lié à la nature même des précipitations extrêmes : elles sont très intermittentes et géographiquement variables. Il peut pleuvoir beaucoup dans une vallée pendant quelques heures, et pas du tout dans celle d’à côté. Or notre système d’observation des précipitations n’est pas du tout adapté pour enregistrer ce type d’évènement météo, cela nécessite l’installation d’un grand nombre d’instruments comme des pluviomètres. Si certaines régions du monde comme l’Europe ou l’Amérique du Nord sont mieux instrumentées, ce n’est pas le cas de nombreuses zones, en particulier des zones tropicales.
À ce manque de données s’ajoutent les performances des modèles informatiques utilisés pour simuler et mieux comprendre le climat. Les modèles classiques simulent le climat de la planète en la découpant en mailles d’une centaine de kilomètres carrés chacune, une résolution bien trop importante pour simuler les pluies extrêmes. Nous travaillons à réduire cette échelle, mais c’est un défi scientifique et technique colossal.
Est-on tout de même en mesure d’anticiper les précipitations extrêmes et les inondations du futur ?
C’est extrêmement difficile. Les processus physiques – comme la relation de Clausius-Clapeyron – en jeu seront toujours les mêmes, et nous pouvons nous appuyer sur eux pour faire des prévisions. Mais de nombreux autres processus font d’un évènement de pluie une inondation : ils peuvent être biologiques (comme la végétation), chimiques (comme la quantité d’aérosols) ou encore humains (comme l’utilisation des terres).
Tous ces paramètres évoluent en même temps que le changement climatique, il est donc très difficile de réussir à prévoir les évolutions hydrologiques, en particulier les pluies extrêmes. Le seul résultat qui fait consensus est la tendance globale à l’augmentation de la fréquence et l’intensité des pluies extrêmes à mesure que le climat se réchauffe. Mais cela ne renseigne pas sur les retombées locales ou saisonnières.
Certaines régions sont-elles plus concernées ?
Non, tout le monde est concerné. L’impact du réchauffement climatique sur le cycle de l’eau est le plus important pour les sociétés humaines. L’un des principaux problèmes est que l’humanité a appris à maîtriser la ressource hydrologique depuis l’Antiquité, cela a été fondamental pour le développement des sociétés modernes. Mais les ouvrages hydrauliques – conçus pour stocker l’eau, maitriser les crues – sont dimensionnés pour un climat passé. Or, avec un climat aujourd’hui – et à l’avenir – différent, nos infrastructures ne sont plus adaptées et nous perdons cette maîtrise.
Vous parlez de pluies extrêmes, et non d’inondations… Pourquoi ?
Inondations et pluies extrêmes sont deux concepts différents. Les précipitations extrêmes ne génèrent pas toujours des inondations et vice versa. Le risque d’inondation dépend du climat mais aussi de l’impact direct des activités humaines. Ce facteur est important : en Europe, les variations hydrologiques observées s’expliquent majoritairement par l’anthropisation du cycle hydrologique3. Cela passe par exemple par l’imperméabilisation des sols, qui augmente le risque d’inondation, tandis que certains ouvrages hydrauliques peuvent le diminuer. De nombreux facteurs anthropiques influencent le cycle de l’eau continental – irrigation, urbanisation, gestion de la navigabilité des fleuves, hydroélectricité, etc. Il est très difficile de séparer les retombées du changement climatique de celles des activités humaines sur le cycle hydrologique, cela complexifie encore plus les projections futures des inondations.
Quelle est notre compréhension du risque d’inondation à l’avenir ?
Il est presque impossible de l’anticiper à l’échelle locale. Tout ce que nous savons, comme le rappelle le GIEC, est que lors d’un évènement de précipitation intense, l’intensité est augmentée par la présence de plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère4. Mais comme les inondations sont aussi affectées par les activités humaines, ainsi que d’autres phénomènes climatiques (fonte des glaciers, hausse du niveau marin, sécheresse), il n’est pas possible de savoir si le risque d’inondation va augmenter ou même diminuer à l’avenir, pour un endroit donné.