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Flooded road after hurricane
π Planète

Pluies extrêmes : peut-on anticiper les risques d’inondations ?

Jan Polcher
Jan Polcher
directeur de recherche spécialiste du cycle de l’eau au Laboratoire de météorologie dynamique (CNRS) et enseignant à l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Avec le réchauffement climatique, les épisodes de pluies extrêmes s'intensifient, mais il reste difficile de prévoir avec précision les risques d'inondation futurs.
  • La relation de Clausius-Clapeyron montre qu’en raison du réchauffement climatique, les régions arides deviennent plus sèches, tandis que les régions humides deviennent encore plus humides.
  • Cependant, il est difficile à ce jour de caractériser précisément l’impact du réchauffement climatique sur les précipitations extrêmes, qui sont intermittentes et variables selon les zones géographiques.
  • Tout ce que nous savons pour anticiper les inondations est que lors d’un évènement de précipitation intense, l’intensité est augmentée par la présence de plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère.
  • Le risque d’inondation dépend du climat, mais aussi des impacts directs des activités humaines, comme l’imperméabilisation des sols, qui amplifie ce risque, tandis que certains ouvrages hydrauliques peuvent le réduire.

Le changement climatique a‑t-il une influence sur les inondations à travers le monde ?

Jan Polch­er. Le change­ment cli­ma­tique influ­ence le cycle de l’eau. Un col­lègue l’a très bien décrit au pre­mier ordre : avec le change­ment cli­ma­tique, les régions sèch­es devi­en­nent plus sèch­es et les régions humides devi­en­nent plus humides1. Cela s’explique par un proces­sus physique bien con­nu : la rela­tion de Clau­sius-Clapey­ron. La hausse de tem­péra­ture de l’atmosphère en sur­face entraine une hausse de la quan­tité de vapeur d’eau dans l’atmosphère, d’environ 7 % à chaque degré supplémentaire.

En con­séquence, les pré­cip­i­ta­tions sont plus intens­es. D’après le dernier rap­port du Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal  sur l’évolution du cli­mat (GIEC), on observe une hausse de la fréquence et de l’intensité des pré­cip­i­ta­tions extrêmes à l’échelle glob­ale sur les con­ti­nents depuis les années 50, en par­ti­c­uli­er en Europe, Amérique du Nord et Asie2. Mais il faut not­er que notre com­préhen­sion de ce sujet n’a que peu évolué ces dernières décen­nies, et on ne peut pas dire que nous car­ac­térisons bien l’impact du change­ment cli­ma­tique sur les pré­cip­i­ta­tions extrêmes.

Pourquoi est-ce si difficile ?

Cela est lié à la nature même des pré­cip­i­ta­tions extrêmes : elles sont très inter­mit­tentes et géo­graphique­ment vari­ables. Il peut pleu­voir beau­coup dans une val­lée pen­dant quelques heures, et pas du tout dans celle d’à côté. Or notre sys­tème d’observation des pré­cip­i­ta­tions n’est pas du tout adap­té pour enreg­istr­er ce type d’évènement météo, cela néces­site l’installation d’un grand nom­bre d’instruments comme des plu­viomètres. Si cer­taines régions du monde comme l’Europe ou l’Amérique du Nord sont mieux instru­men­tées, ce n’est pas le cas de nom­breuses zones, en par­ti­c­uli­er des zones tropicales.

À ce manque de don­nées s’ajoutent les per­for­mances des mod­èles infor­ma­tiques util­isés pour simuler et mieux com­pren­dre le cli­mat. Les mod­èles clas­siques simu­lent le cli­mat de la planète en la découpant en mailles d’une cen­taine de kilo­mètres car­rés cha­cune, une réso­lu­tion bien trop impor­tante pour simuler les pluies extrêmes. Nous tra­vail­lons à réduire cette échelle, mais c’est un défi sci­en­tifique et tech­nique colossal.

Est-on tout de même en mesure d’anticiper les précipitations extrêmes et les inondations du futur ?

C’est extrême­ment dif­fi­cile. Les proces­sus physiques – comme la rela­tion de Clau­sius-Clapey­ron – en jeu seront tou­jours les mêmes, et nous pou­vons nous appuy­er sur eux pour faire des prévi­sions. Mais de nom­breux autres proces­sus font d’un évène­ment de pluie une inon­da­tion : ils peu­vent être biologiques (comme la végé­ta­tion), chim­iques (comme la quan­tité d’aérosols) ou encore humains (comme l’utilisation des terres). 

Tous ces paramètres évolu­ent en même temps que le change­ment cli­ma­tique, il est donc très dif­fi­cile de réus­sir à prévoir les évo­lu­tions hydrologiques, en par­ti­c­uli­er les pluies extrêmes. Le seul résul­tat qui fait con­sen­sus est la ten­dance glob­ale à l’augmentation de la fréquence et l’intensité des pluies extrêmes à mesure que le cli­mat se réchauffe. Mais cela ne ren­seigne pas sur les retombées locales ou saisonnières.

Certaines régions sont-elles plus concernées ?

Non, tout le monde est con­cerné. L’impact du réchauf­fe­ment cli­ma­tique sur le cycle de l’eau est le plus impor­tant pour les sociétés humaines. L’un des prin­ci­paux prob­lèmes est que l’humanité a appris à maîtris­er la ressource hydrologique depuis l’Antiquité, cela a été fon­da­men­tal pour le développe­ment des sociétés mod­ernes. Mais les ouvrages hydrauliques – conçus pour stock­er l’eau, maitris­er les crues – sont dimen­sion­nés pour un cli­mat passé. Or, avec un cli­mat aujourd’hui – et à l’avenir – dif­férent, nos infra­struc­tures ne sont plus adap­tées et nous per­dons cette maîtrise.

Vous parlez de pluies extrêmes, et non d’inondations… Pourquoi ?

Inon­da­tions et pluies extrêmes sont deux con­cepts dif­férents. Les pré­cip­i­ta­tions extrêmes ne génèrent pas tou­jours des inon­da­tions et vice ver­sa. Le risque d’inondation dépend du cli­mat mais aus­si de l’impact direct des activ­ités humaines. Ce fac­teur est impor­tant : en Europe, les vari­a­tions hydrologiques observées s’expliquent majori­taire­ment par l’anthropisation du cycle hydrologique3. Cela passe par exem­ple par l’imperméabilisation des sols, qui aug­mente le risque d’inondation, tan­dis que cer­tains ouvrages hydrauliques peu­vent le dimin­uer. De nom­breux fac­teurs anthropiques influ­en­cent le cycle de l’eau con­ti­nen­tal – irri­ga­tion, urban­i­sa­tion, ges­tion de la nav­i­ga­bil­ité des fleuves, hydroélec­tric­ité, etc. Il est très dif­fi­cile de sépar­er les retombées du change­ment cli­ma­tique de celles des activ­ités humaines sur le cycle hydrologique, cela com­plex­i­fie encore plus les pro­jec­tions futures des inondations.

Quelle est notre compréhension du risque d’inondation à l’avenir ?

Il est presque impos­si­ble de l’anticiper à l’échelle locale. Tout ce que nous savons, comme le rap­pelle le GIEC, est que lors d’un évène­ment de pré­cip­i­ta­tion intense, l’intensité est aug­men­tée par la présence de plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère4. Mais comme les inon­da­tions sont aus­si affec­tées par les activ­ités humaines, ain­si que d’autres phénomènes cli­ma­tiques (fonte des glac­i­ers, hausse du niveau marin, sécher­esse), il n’est pas pos­si­ble de savoir si le risque d’inondation va aug­menter ou même dimin­uer à l’avenir, pour un endroit donné.

Propos recueillis par Anaïs Marechal
1Durack et al_Science 2012
2https://​www​.ipcc​.ch/​r​e​p​o​r​t​/​a​r​6​/​w​g​1​/​c​h​a​p​t​e​r​/​c​h​a​p​t​e​r-11/
3https://​the​ses​.hal​.sci​ence/​t​e​l​-​0​4​5​7​2​9​0​9​v​1​/​d​o​c​ument
4https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/chapter/chapter‑8/

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