Peut-on véritablement mesurer l’empreinte écologique des JO ?
- Les organisateurs des Jeux olympiques de Paris 2024 promettent de réduire de moitié les émissions de CO2 par rapport aux précédents Jeux d'été.
- Aucune des éditions récentes des JO n’a atteint les objectifs environnementaux initialement promis.
- Si une étude sur les Jeux de Londres montrait que la majorité des indicateurs environnementaux étaient positifs ou insignifiants, la communauté scientifique reste divisée sur la durabilité globale des JO.
- La première source d’émissions de GES des JO : les vols des visiteurs, suivie de la construction de nouveaux bâtiments.
- Pour concilier JO et durabilité, plusieurs mesures sont à envisager, notamment de faire tourner les Jeux dans les mêmes villes et de les diffuser à travers le monde.
La capitale française s’apprête à accueillir les Jeux olympiques. Village des athlètes, équipements sportifs, des millions de visiteurs à accueillir… Difficile d’ignorer les retombées environnementales d’un tel évènement. « La première source d’émissions de gaz à effet de serre (GES) des Jeux olympiques est constituée par les vols des visiteurs, suivie de la construction de nouveaux bâtiments », précise Martin Müller. Les organisateurs promettent de limiter les émissions : alors que les précédents Jeux d’été ont émis 3 à 4 millions de tonnes de CO2 équivalent (CO2e, une unité intégrant tous les GES), Paris 2024 promet de diviser ce bilan par deux1.
La tenue d’un tel évènement aura toujours plus de retombées que s’il ne se passait rien.
Il faut dire que la problématique n’est pas nouvelle, et le Comité international olympique (CIO) – l’organisation organisatrice des Jeux modernes – s’est emparé du sujet. La durabilité est l’un des piliers de l’Agenda olympique 2020, la feuille de route stratégique du CIO, et les villes organisatrices se doivent de démontrer la durabilité de l’évènement. « Il est important de réduire les émissions de GES, mais dire que les Jeux sont durables n’a aucun sens : la tenue d’un tel évènement aura toujours plus de retombées que s’il ne se passait rien », assène Marie Delaplace.
Quels sont précisément ces impacts ? Une équipe de l’Université de Londres-Est a mené une étude d’impact2 sur les Jeux d’été de Londres de 2012 pour le CIO. Parmi les 67 indicateurs considérés, 15 concernent l’impact environnemental. Pour dix d’entre eux, l’impact des Jeux est positif : création d’espaces verts grâce à la réhabilitation d’une ancienne friche industrielle, amélioration de l’infrastructure ferroviaire (en particulier dans l’est de Londres), nouvelles installations de traitement des déchets (et notamment dangereux), augmentation de l’offre d’hébergement et pérennité des nouvelles constructions. Quant aux sept autres, ils sont évalués comme insignifiants : qualité de l’eau de la rivière Lee, qualité de l’air, l’usage des terres… Et même les émissions de GES grâce aux initiatives de compensation des émissions (qui s’élevaient à 3,3 millions de tonnes CO2e). Aucun indicateur n’a un impact négatif. Au total, les auteurs attribuent une note moyenne (0,56 sur 1) de durabilité à l’évènement concernant les indicateurs environnementaux, et ce, trois ans après la tenue des Jeux.
Une question sans consensus scientifique
Mais la communauté scientifique se divise sur la durabilité des Jeux olympiques. « Ils suivent par essence un principe de croissance, cela va à l’encontre du grand principe de durabilité, à savoir l’idée de bien vivre en limitant la consommation des ressources », témoigne Martin Müller. Reste que le débat est ouvert parmi les scientifiques, comme le décrivent Martin Müller et ses collègues dans la revue Nature sustainability3 : pour certains, les méga-évènements comme les JO représentent une opportunité pour promouvoir et présenter des solutions innovantes face aux défis mondiaux et sont des leviers politiques vers la durabilité.
Comment évaluer les véritables effets d’un tel évènement ? « Le terme de “neutralité climatique” est parfois employé, or c’est un terme marketing qui repose sur la comptabilité carbone : compenser les émissions par l’achat de certificats carbone, illustre Martin Müller. Des recherches ont montré que nombre de ces crédits ne sont pas fiables et ne compensent pas ce qu’ils promettent. » Si le CIO demande aux villes de démontrer leur durabilité, des scientifiques estiment que l’organisation est incapable de garantir des JO durables sur le plan environnemental4 : aucune des éditions récentes des JO n’a atteint les objectifs environnementaux initialement promis. Rio 2016, Pékin 2008, Vancouver 2010, Londres 2012 ou encore Sochi 2014 : les auteurs établissent une longue liste de références appuyant leur constat. « Les indicateurs considérés par le CIO sont beaucoup trop généraux et globaux, ajoute Marie Delaplace. Plutôt que de raisonner en termes d’impact, ce qui sous-tend une relation de causalité, il est plus pertinent de parler de coproduction. Cela reflète ce qui advient lors d’un évènement qui, de fait, est ancré dans le temps et l’espace. Cela exige de raisonner à l’échelle de micro-territoires. »
En considérant les 16 éditions des JO tenues entre 1992 et 2020, Martin Müller et ses collègues évaluent la durabilité des JO. Elle est définie par une empreinte écologique et matérielle limitée, l’amélioration de la justice sociale et l’efficacité économique. Au global, la durabilité est moyenne (atteignant le score de 48/100). Les indicateurs écologiques sont encore moins bons et décrochent la note de 44/100. Pire, les auteurs montrent que la durabilité – et particulièrement les aspects écologiques – diminue depuis 1992. Sochi 2014 et Pékin 2008 décrochent les pires scores sur les aspects écologiques. À l’inverse, Albertville 1992, Barcelone 1992, Salt Lake City 2002 et Athènes 2004 obtiennent les meilleures notes écologiques.
L’après-Jeux olympiques : héritage des infrastructures
L’indicateur de « viabilité long-terme », basé sur l’utilisation des équipements après l’évènement, obtient en revanche un haut score (76/100). Il soulève un autre enjeu important : quel est l’héritage de ces évènements ? Les organisateurs de Paris 2024 précisent par exemple que le Village des athlètes, construit sur une ancienne friche industrielle, sera transformé en un quartier de ville durable5. « Une transformation similaire a eu lieu à Londres : de nombreux débats existent sur la gentrification du quartier versus la mixité sociale, raconte Marie Delaplace. Ces controverses existent aujourd’hui pour la Seine-Saint-Denis. » Certains équipements construits pour les Jeux (notamment les transports en commun) sont par la suite utiles à la population, comme à Londres – l’utilité est plus discutée pour Rio ou Athènes. « La question de l’héritage des Jeux est compliquée à évaluer : la difficulté est de disposer de données suffisamment anciennes pour identifier la véritable trajectoire de coproduction de l’héritage des Jeux, complète Marie Delaplace. Certains projets auraient eu lieu sans les Jeux, d’autres ont été mis en œuvre lors de candidatures précédentes de la ville. Il est difficile d’identifier l’état initial. » Martin Müller ajoute : « Il est théoriquement possible de tirer parti de ces événements pour accélérer les transitions bas-carbone, par exemple en introduisant plus rapidement des énergies propres. Mais peu de recherches ont été menées, des études antérieures ont montré que les Jeux olympiques produisent des effets de vitrine, mais ne parviennent pas à accélérer des changements structurels plus importants. »
Existe-t-il des solutions pour concilier l’atténuation du changement climatique et la tenue des JO ? Les scientifiques évoquent plusieurs pistes. En premier lieu la gouvernance, pour corriger le manque d’efficacité des incitations à la durabilité de la part du CIO. Alors que l’impact environnemental des constructions neuves est indéniable, certains proposent de mettre en œuvre une rotation des Jeux dans les mêmes villes. « Une étape importante consisterait à amener les Jeux olympiques au peuple, plutôt que d’amener le peuple aux Jeux olympiques, conclut Martin Müller. Je pense à des stades beaucoup plus petits et à des visiteurs qui profiteraient des Jeux dans des zones de supporters partout dans le monde, plutôt que de prendre l’avion. »