La congestion du trafic automobile en zone urbaine n’est pas nouvelle. La ville de Paris, réputée pour ses embouteillages, a notamment voulu fluidifier la circulation en augmentant le nombre de voies, dans les années 80. Mais cette tentative de gestion a conduit à ce qu’on appelle le paradoxe de Bræss : l’ajout ou la modification de routes – ici l’augmentation du nombre de voies – modifie le flux de circulation, et en réduit sa performance globale. Or, la question de la congestion appelle celle de la pollution, dont celle de l’air. Selon l’OMS, elle serait responsable de 4,2 millions de morts prématurées par an dans le monde1, provoquées notamment par l’exposition aux particules (ultra)fines dans les villes. Face à cette problématique grandissante de santé publique, plusieurs politiques de fermeture de voies ont vu le jour, bien que régulièrement contestées pour leur manque de preuve quant à leur effet présumé sur la qualité de l’air.
Des centres plus verts, mais des banlieues plus grises
En 2016, suivant cette logique, la Ville de Paris a fermé la voie Georges-Pompidou, aussi appelée « les voies sur Berges ». Emprunté par environ 40 000 véhicules par jour sur 3,3 km de long, ce tronçon permettait d’accéder à Paris et certaines banlieues. Bien que la réduction de cette voirie entraîne divers effets bénéfiques intramuros (qualité de l’air, besoin de plus vastes espaces publics, réduction des nuisances sonores…), elle a provoqué la déportation d’usagers sur d’autres voies. Résultat : les voies Ouest-Est du périphérique sud ont vu leur congestion augmenter de 15 %, ajoutant 2 minutes de trajet sur une distance de 10 km.
La congestion des berges de Seine s’exporte donc en périphérie, qui connaît déjà une hausse globale des complications respiratoires de ses habitants. Selon une étude menée par l’association Airparif2, 5 040 décès prématurés dans la métropole du Grand Paris et près de 7 920 en Île-de-France sont à déplorer entre 2017 et 2019. Il n’y a pas d’indication que cette hausse soit un effet dû à l’augmentation de la congestion en ville, mais il ne l’améliore sans doute pas.
La pollution de l’air s’est donc déplacée augmentant la concentration dans l’air autour de 70 μg/m3 pour le NO2 sur la borne de pollution au niveau du périphérique Est (en 2015) alors qu’au centre, le taux de pollution se maintient autour de 40 μg/m3. Or, le niveau recommandé par l’UE est de 40. Cette déportation montre que les espaces déjà grandement confrontés aux problèmes de pollution le sont d’autant plus et que l’impact sur la santé, bien que complexe à corréler avec de telles mesures, pourrait être important dans les années à venir.
Les analyses de notre étude sur le sujet4 semblent indiquer que si les automobilistes ne changent pas de modes de transports, c’est parce qu’ils sont dans l’impossibilité de le faire. L’élargissement des transports en commun ne suivant pas la cadence, les politiques publiques pénalisent les « captifs de la voiture » habitant en périphérie, et qui le restent par défaut faute d’alternatives à voiture. De telles alternatives doivent donc être intégrées aux prochaines mesures envisagées, afin d’avoir des effets positifs sur le long terme sur l’ensemble du territoire et d’éviter un déplacement perpétuel de la congestion des routes.
Quelles autres pistes ?
D’autres solutions ont été envisagées à l’étranger. Certaines villes comme Londres ou Séoul ont notamment installé des péages urbains, dont le coût est calculé en fonction de l’impact moyen d’un automobiliste en termes de congestion (« congestion charge » à Londres). Cependant, il serait complexe de l’appliquer en France, alors que les tensions politiques autour des taxes environnementales sont très fortes. La hausse de la taxe carbone en 2018, finalement annulée suite au mouvement des gilets jaunes, est un des exemples les plus flagrants de l’opposition du peuple français envers ce type de taxation. De plus, cela reviendrait à creuser les inégalités sociales, car en France, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis, la population la moins aisée vit en banlieue.
Alors pour endiguer la congestion des voies routières sans aggraver la fracture sociale, plusieurs idées pourraient être réalisées notamment celle qui induit de fermer et ouvrir les quais à différents moments de la journée. Pour cela, il est possible d’imaginer comment utiliser de manière optimale les berges en fonction de la consommation des aménités. Car, quand les voies sont fermées, elles sont exploitées pour des fins économiques. À titre d’exemple, il pourrait être intéressant de couper la circulation en dehors des heures de pointe en semaine (8h-18h) afin de faciliter le trafic pour les usagers travaillant dans la capitale et en même temps permettre l’exploitation des aménités qui ne sont peut-être pas consommées pendant les heures de pointe.
Néanmoins toutes ces solutions impliquent différents coûts, notamment sur l’ouverture et la fermeture des berges qui nécessitent du personnel. Les bonnes solutions sont donc complexes et doivent être nuancées avec beaucoup de prudence afin que les différents partis puissent y trouver leur compte.