Montée des eaux et affaissement des villes, une double menace pour les côtes
- L’avenir de 11 % de la population mondiale, vivant sur des zones côtières est menacé par la hausse du niveau de la mer et l’affaissement des villes.
- Des chercheurs ont identifié différentes causes à cet affaissement : le poids des sédiments résiduels de la dernière grande déglaciation, les mouvements tectoniques…
- Mais les activités humaines jouent incontestablement un rôle majeur dans ce phénomène.
- Les scientifiques alertent sur les menaces qui planent sur les populations côtières comme la sécurité alimentaire, les inondations, l’accès à l’eau potable…
En 2020, près de 11 % de la population mondiale réside dans des zones côtières situées à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer1. Elle pourrait passer de près de 900 millions à plus d’un milliard en 2050. L’avenir de ces habitants est particulièrement menacé. Bien sûr, la hausse du niveau de la mer – en raison du réchauffement climatique – les touche directement. Mais d’autres activités humaines dans cette frange littorale, provoquant un affaissement des villes, participent à augmenter le risque – parfois de façon majeure.
La subsidence, une menace qui pèse sur les côtes
Entre 2006 et 2018, la hausse moyenne du niveau marin global est estimée à 3,7 mm par an2. « L’expansion thermique des océans – liée à la hausse de la température – et la fonte des glaciers et calottes glaciaires sont les facteurs majeurs expliquant cette augmentation », précise Rémi Thieblemont, chercheur en climatologie et risques côtiers au BRGM. Localement pourtant, lorsqu’on se penche sur la hausse du niveau marin relatif, la mer semble gagner bien plus de terrain. Le niveau marin relatif correspond à la hauteur du niveau marin par rapport à un référentiel terrestre local. Dans la revue Nature climate change3, une équipe de recherche l’évalue. À l’échelle globale, la hausse du niveau marin relatif à l’ensemble des côtes est de 2,6 mm/an entre 1993 et 2015. Mais en le rapportant à la densité de population côtière, les chercheurs aboutissent à un chiffre 4 fois plus élevé, illustrant l’impact des activités humaines ! En cause ? L’affaissement des terres.
On parle plus précisément de subsidence. Le phénomène est majeur : « Dans certaines régions, la contribution de la subsidence peut être 10 fois plus élevée que celle de l’élévation du niveau marin », écrivent les auteurs d’un article dans Nature Communications4. Le long de la côte Est des États-Unis, ils estiment qu’elle atteint presque partout le niveau de la hausse du niveau marin, et peut grimper jusqu’à 6 mm/an. Dans une évaluation couvrant 99 villes côtières dans le monde5, une autre équipe pointe que pour un tiers des villes, des quartiers s’enfoncent d’au moins 10 mm/an. Pour certaines comme Tianjin, Semarang et Jakarta, le chiffre grimpe jusqu’à plus de 30 mm/an ! Istanbul, Lagos, Taipei, Mumbaï, Auckland, Tampa Bay, Manille, Karachi… Les auteurs soulignent l’ampleur du phénomène pour des villes importantes culturellement et économiquement. Les plaines côtières et les régions deltaïques sont les régions les plus touchées à travers le monde6.
En cause : les activités humaines et des phénomènes naturels
Qu’est-ce qui explique cette subsidence ? Le phénomène est complexe et présente de grandes variabilités spatiales et temporelles7, mais les scientifiques pointent toujours en premier lieu les processus naturels. « Ils sont bien identifiés, en particulier les retombées de la dernière grande déglaciation il y a 12 000 ans qui affectent la planète entière », explique Mélanie Becker, chercheuse CNRS en géophysique à l’Université de la Rochelle. Une quantité importante de sédiments – des particules entraînées par les eaux – s’est accumulée en amont des anciennes vallées glaciaires. « Dans les grandes régions deltaïques, le poids de ces sédiments contribue encore aujourd’hui à la subsidence, de l’ordre de quelques mm/an », ajoute Mélanie Becker. Notons qu’à l’inverse, la fonte des grandes calottes glaciaires de l’époque entraîne – encore aujourd’hui – un rebond de la Terre, à la manière d’un poids ôté d’un matelas. « Ce phénomène est particulièrement marqué en Amérique du Nord et en Europe, la hausse du niveau des terres peut atteindre 10 mm/an : cela participe à limiter la hausse relative du niveau marin », détaille Mélanie Becker. En périphérie de cette zone en rebond, d’autres s’affaissent pour compenser : c’est notamment le cas pour la côte Est des États-Unis, de l’ordre de quelques mm/an. Autres processus naturels locaux : les mouvements tectoniques lors des séismes par exemple. Ils peuvent entraîner des mouvements verticaux très forts, jusqu’à plusieurs dizaines de centimètres.
Ces phénomènes naturels expliquent en partie pourquoi les villes côtières sont particulièrement touchées par la subsidence : nombre d’entre-elles se situent dans des régions deltaïques ou actives sismiquement. Mais les activités humaines jouent aussi un grand rôle. À New-York, si la ville s’enfonce en moyenne de 1 à 2 mm/an en raison de la déglaciation, certains quartiers s’affaissent au moins deux fois plus vite8. Dans Brooklyn et le Queens, le poids des bâtiments pourrait expliquer cet affaissement : les auteurs de l’étude publiée en mai 2023 soulignent qu’il pourrait même durer une centaine d’années.
Autre facteur anthropique encore plus important : le pompage des eaux souterraines et des hydrocarbures. Dans la région de Long Beach en Californie, l’extraction des hydrocarbures depuis les années 40 a entraîné un affaissement jusqu’à 8,8 m9. À Pékin, l’extraction des eaux souterraines a provoqué un pic de subsidence de 137 mm/a en 2009. Jakarta est l’exemple emblématique des effets du pompage des eaux souterraines : la capitale a enregistré des taux jusqu’à 280 mm/a. À travers le monde, le pompage des eaux souterraines est responsable de la subsidence dans près de 60 % des cas, et les activités humaines en général dans 77 % des cas10. « Les activités humaines sur les côtes peuvent accélérer la subsidence, avec des taux jusqu’à 100 fois plus importants que la hausse absolue du niveau marin », écrivent les auteurs d’une étude internationale sur les zones côtières.
L’un des enjeux est de réussir à réaliser des projections futures.
Les conséquences ? Cumulée à l’élévation du niveau des mers, la subsidence accélère la hausse du niveau marin relatif. Salinisation des zones humides, changement d’écosystèmes, accélération de l’érosion et dégâts liés aux inondations : le dernier rapport du GIEC11 en liste les conséquences. Et à l’avenir, ces risques vont très probablement être multipliés par 10 bien avant 2100. « Les événements extrêmes – qui se produisent plus fréquemment en raison du changement climatique – vont affecter plus souvent les villes côtières en raison de cette hausse relative, pointe Mélanie Becker. Nous observons déjà ces effets dans les grands deltas asiatiques comme au Bangladesh. » Aux États-Unis, la fréquence des inondations côtières va doubler d’ici 2050 si l’on prend uniquement en compte la hausse du niveau marin. Les scientifiques estiment que localement, en raison de la subsidence, ces niveaux seront atteints encore plus tôt. Les effets pour les populations sont importants puisque la sécurité alimentaire, la qualité de l’eau et les infrastructures sont directement menacés, « et particulièrement dans les grands deltas où la démographie est importante », pointe Mélanie Becker. Autre retombée : l’augmentation de la fréquence des submersions chroniques, déjà observée sur la côte Est américaine12. « Ces submersions chroniques sont provoquées par les marées et les variations saisonnières du niveau marin, et elles ont des conséquences économiques importantes », précise Rémi Thieblemont.
Désormais, la communauté scientifique se structure pour mieux caractériser le phénomène. « L’un des enjeux est de réussir à réaliser des projections futures », confie Rémi Thieblemont. Il est en effet possible d’enrayer en partie le processus : à Jakarta et Shanghai, la réduction du pompage des eaux souterraines a fortement ralenti la subsidence aujourd’hui. « La subsidence des villes côtières est un phénomène connu, mais très peu intégré dans les stratégies d’adaptation, conclut Mélanie Becker. Il est important d’y remédier. »