Des lubrifiants pour atténuer les tremblements de terre
Les tremblements de terre sont des catastrophes naturelles qui se produisent en raison d’une rupture soudaine dans les couches géologiques de la croûte terrestre. Chaque année, dans le monde, un tremblement de terre d’une magnitude supérieure à 8 [sur l’échelle de Richter créée pour mesurer l’énergie libérée] se produit, et 130 autres d’une magnitude comprise entre 6 et 7. En moyenne, chaque minute, il y a deux « mini » séismes d’une magnitude supérieure ou égale à 2.
Les événements sismiques de ce type sont dus au mouvement des plaques tectoniques, des couches externes de notre planète qui se déplacent progressivement, se poussant parfois les unes contre les autres. Même si ce mouvement est relativement lent, les forces croissantes dans les plaques qui se poussent entraînent le stockage d’une énorme quantité d’énergie à l’endroit où elles se rencontrent. Et cette énergie s’accumule progressivement au fil des mois ou des années. Quand les forces deviennent trop importantes, les deux plaques glissent l’une sur l’autre en libérant toute l’énergie, et en générant ainsi des ondes sismiques – les secousses ressenties lors d’un tremblement de terre. Elles peuvent entraîner de lourds dommages aux bâtiments, aux ponts et aux réseaux (eau, gaz, etc.). Le grand tremblement de terre de Tohoku au Japon (mars 2011) a par exemple coûté environ 235 milliards de dollars à la Banque mondiale.
Séismes artificiels
Outre les séismes naturels, il existe aujourd’hui un certain nombre de séismes dits « artificiels ». Ils prennent la forme de faibles secousses, et sont provoqués par diverses activités humaines, comme les transports (e.g. poids lourds, tramways) ou les installations industrielles utilisant des turbines. Si ces vibrations faibles ne créent généralement pas de gêne majeure, il existe d’autres tremblements de terre artificiels plus forts.Ils peuvent être ressentis dans les quartiers qui entourent les exploitations minières, les centrales géothermiques (comme celles de Strasbourg ou de Bâle) ou les zones où est pratiquée la fracturation hydraulique. Dans ce cas, les experts évoquent alors la « sismicité anthropique » pour qualifier ces secousses dues aux activités humaines.
L’exemple de la fracturation hydraulique est particulièrement éclairant. Il s’agit d’un procédé qui permet de capter le pétrole et le gaz piégés à l’intérieur de la roche-mère solide, en pompant du liquide sous pression dans le sous-sol. L’objectif est de créer des fissures dans le sous-sol, pour libérer les hydrocarbures de poches dans lesquelles ils resteraient piégés pendant des millénaires. Cette technique peut provoquer des secousses importantes, voire activer les failles naturelles existant entre les couches géologiques. Bien que la fracturation hydraulique soit une méthode importante d’extraction du pétrole, les activités industrielles sont souvent retardées, voire interdites, en raison des risques de séismes.
Il serait possible d’injecter des fluides lubrifiants dans le substratum rocheux afin que les structures géologiques « glissent » doucement les unes sur les autres.
Maîtriser les tremblements de terre artificiels
Les dommages causés par les tremblements de terre artificiels pouvant s’avérer importants, il est donc impératif d’équilibrer le risque avec les enjeux économiques. Plusieurs pistes sont donc à l’étude pour trouver une méthode de prévention appropriée. La recherche a d’ailleurs démontré qu’il serait possible d’injecter des fluides lubrifiants dans le substratum rocheux afin que les structures géologiques « glissent » doucement les unes sur les autres, libérant ainsi l’énergie de manière progressive plutôt que brutale.
Le projet CoQuake, financé par la Commission européenne, vise à contrôler les tremblements de terre artificiels de cette manière1. Des recherches sont menées entre l’École Centrale de Nantes (Prof. Stefanou) et l’Institut Polytechnique de Paris (POEMS, Dr Chaillat, et laboratoires IMSIA à l’ENSTA Paris). Ils combinent des expériences en laboratoire, des modèles mécaniques et sismologiques complexes ainsi que des méthodes de simulation avancées.
L’une de nos doctorants (L. Bagur) étudie grâce à des modèles informatiques les processus mécaniques complexes à l’œuvre dans les séismes d’origine humaine. À l’aide d’un logiciel appelé COFFEE2, l’équipe peut modéliser et évaluer l’efficacité du contrôle des secousses par l’injection de différents fluides, tout en tenant compte de la configuration 3D extrêmement complexe des couches géologiques. Le défi consiste à comprendre les différents mécanismes de glissement en tenant compte de l’influence des fluides – un peu comme les essuie-glaces qui glissent ou grincent selon l’intensité de la pluie !
Bien sûr, et au-delà de l’intérêt scientifique du sujet, les avantages économiques et environnementaux seraient considérables si nous parvenons à réduire les problèmes sismiques liés à la fracturation hydraulique.
Le rêve ultime : maîtriser les séismes naturels
Pour les séismes naturels, nous connaissons déjà le rôle crucial des fluides dans le déclenchement des glissements le long des failles. Il a été largement étudié dans le Golfe de Corinthe – l’une des zones les plus sismiques d’Europe. On pourrait donc imaginer d’ajuster la pression des fluides à des endroits stratégiques pour contrôler la stabilité des failles.
Mais cela reste cependant très complexe à une si grande échelle. L’idée est donc passionnante, mais il faudra probablement des installations gigantesques pour parvenir à la rendre efficace. Ces pistes sont d’ailleurs liées aux recherches actuellement menées aux États-Unis par le professeur Avouac à Caltech3, qui a étudié le déficit de glissement le long des lignes de faille actives afin de prédire le déclenchement futur de grands tremblements de terre. L’idée consiste à quantifier le nombre de tremblements de terre qui auraient dû se produire sur une période donnée (déficit de glissement) afin d’évaluer la probabilité qu’un grand séisme se produise à l’avenir en lien avec l’accumulation des forces dans les plaques tectoniques.
En réalité, le processus de stockage d’énergie autour des grandes failles peut être lent – plusieurs décennies voire quelques siècles –, de sorte que pas de nouvelles peut souvent être synonyme de mauvaise nouvelle. Mais, la maîtrise et le contrôle les grands tremblements de terre sont peut-être à notre portée !