drought in spanish reservoir with viaduct
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Cycle de l’eau : comment faire face au dérèglement climatique

Les sécheresses amplifiées par le changement climatique

Hervé Douville, chercheur au Centre National de Recherches Météorologiques (CNRM)
Le 5 février 2025 |
5 min. de lecture
Hervé Douville
Hervé Douville
chercheur au Centre National de Recherches Météorologiques (CNRM)
En bref
  • En janvier 2025, de incendies touchent la région de Los Angeles et les analyses montrent que l’aridité et la chaleur figurent parmi les facteurs expliquant ces feux.
  • Des scientifiques montent que parmi les 103 sécheresses étudiées jusqu à présent, 71 ont été rendues plus sévères ou probables par le réchauffement climatique.
  • Le réchauffement climatique impacte les sécheresses en modifiant les précipitations, en diminuant les stocks de neige dans certaines régions et en augmentant l’évapotranspiration.
  • Si les sécheresses météorologiques sont peu affectées par le réchauffement climatique, on observe une augmentation des sécheresses agricoles partout dans le monde.
  • Sans diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre, environ un tiers des terres devraient souffrir d’une sécheresse au mieux modérée d’ici 2100.

En jan­vi­er 2025, de vio­lents incendies touchent la région de Los Ange­les. Les pre­mières analy­ses1 mon­trent que l’aridité et la chaleur des mois précé­dents fig­urent par­mi les fac­teurs expli­quant l’intensité de ces feux2 : elles ont con­tribué à asséch­er la végé­ta­tion, – par­ti­c­ulière­ment dense en rai­son des pluies de l’an­née précé­dente – et à aug­menter la quan­tité de com­bustibles disponibles. « Ces dernières années, l’assèchement de l’environnement a glob­ale­ment aug­men­té la durée de la sai­son des feux à tra­vers une grande par­tie du monde, con­tribuant à des feux de forêt d’une sévérité sans précé­dent », pointe le GIEC dans son 6ème rap­port d’évaluation3. La sécher­esse est un risque naturel majeur. Entre 1970 et 2019, seules 7 % des cat­a­stro­phes naturelles ont été liées à la sécher­esse. Pour­tant, elles ont con­tribué de manière dis­pro­por­tion­née à 34 % des décès liés aux cat­a­stro­phes, prin­ci­pale­ment en Afrique, comme le syn­thé­tise le GIEC4. Aux États-Unis, les sécher­ess­es ont coûté 250 mil­liards de dol­lars et tué près de 3 000 per­son­nes entre 1980 et 20205.

Le changement climatique augmente la sévérité des sécheresses

Les études d’attribution – qui étab­lis­sent l’impact du change­ment cli­ma­tique sur les évène­ments extrêmes – ont déjà mon­tré à de nom­breuses repris­es la con­tri­bu­tion du change­ment cli­ma­tique à la fréquence ou la sévérité des sécher­ess­es. Bien sûr, toutes les sécher­ess­es ne sont pas expliquées par le change­ment cli­ma­tique, et des sécher­ess­es avaient déjà lieu avant la mod­i­fi­ca­tion du cli­mat par les activ­ités humaines. Mais par­mi les 103 sécher­ess­es étudiées jusqu’à présent (syn­thétisées par Car­bon Brief6), 71 ont été ren­dues plus sévères ou prob­a­bles par le change­ment cli­ma­tique. Le col­lec­tif à l’origine de ces études d’attribution – le World Weath­er Attri­bu­tion – syn­thé­tise7 : « Nous pou­vons attribuer au réchauf­fe­ment cli­ma­tique une aug­men­ta­tion de la grav­ité et de la prob­a­bil­ité des sécher­ess­es en Méditer­ranée, Afrique du Sud, Asie cen­trale et ori­en­tale, sud de l’Australie et ouest de l’Amérique du Nord avec une con­fi­ance élevée. »

Pour mieux com­pren­dre com­ment le change­ment cli­ma­tique influ­ence les sécher­ess­es, revenons un peu en arrière. De quoi par­le-t-on exacte­ment ? « Il n’existe pas de critère uni­versel sur ce qui con­stitue une sécher­esse », note le chercheur Toby R. Ault dans un arti­cle8. Au sens large, les sécher­ess­es sont définies par un manque d’eau, ou des con­di­tions plus sèch­es que la nor­male dans un lieu don­né, dont la durée peut être var­iée. « Les sécher­ess­es météorologiques sont mar­quées par un déficit de pré­cip­i­ta­tions (plus ou moins pro­longé) ; elles peu­vent aus­si être hydrologiques par des niveaux réduits des riv­ières ou des nappes phréa­tiques (par­fois pen­dant plusieurs années),  et agri­coles par une sécher­esse des sols avec de poten­tiels impacts sur les cul­tures et la végé­ta­tion naturelle », nous informe Hervé Dou­ville. La plu­part des sécher­ess­es débu­tent par un manque de pré­cip­i­ta­tions (une sécher­esse météorologique), et peu­vent se trans­former en sécher­ess­es agri­coles et hydrologiques9. La végé­ta­tion et les activ­ités humaines – comme l’irrigation et l’artificialisation des sols – peu­vent aug­menter ou dimin­uer la sévérité de la sécher­esse et ses retombées socio-économiques.

Les activ­ités humaines impactent égale­ment indi­recte­ment les sécher­ess­es. En cause : le change­ment cli­ma­tique. Ce dernier inten­si­fie le cycle de l’eau, comme nous l’avons déjà expliqué dans de précé­dents arti­cles. Comme l’atmosphère est plus chaude, sa teneur max­i­male en eau aug­mente en moyenne de 7 % pour chaque degré de réchauffement.

Les implications du réchauffement sur les sécheresses

Cela a plusieurs impli­ca­tions pour les sécher­ess­es. En pre­mier lieu, les pré­cip­i­ta­tions sont mod­i­fiées : leur saison­nal­ité et inten­sité changent. « En Europe par exem­ple, le change­ment cli­ma­tique provoque une diminu­tion du nom­bre de jours de pluie et une aug­men­ta­tion des pluies extrêmes », indique Hervé Dou­ville. Ces pluies moins fréquentes mais plus intens­es provo­quent plus de ruis­selle­ments super­fi­ciels et sont générale­ment moins effi­caces pour recharg­er les nappes phréa­tiques. La hausse des tem­péra­tures glob­ales dimin­ue égale­ment les stocks de neige dans cer­taines régions, affec­tant le débit des riv­ières ali­men­tées par la fonte des neiges au print­emps. Enfin, dans le 6ème rap­port de syn­thèse, le GIEC pré­cise que les régions sub­trop­i­cales vont égale­ment subir une baisse sig­ni­fica­tive des pré­cip­i­ta­tions annuelles – cela con­cerne la Méditer­ranée, l’Afrique du Sud, le sud-ouest de l’Australie et de l’Amérique du Sud, l’Amérique Cen­trale, l’Afrique de l’Ouest et le bassin de l’Amazonie.

« Au-delà des pré­cip­i­ta­tions, le change­ment cli­ma­tique aug­mente aus­si l’évapotranspiration en sur­face, ce qui con­tribue forte­ment aux sécher­ess­es agri­coles », pointe Hervé Dou­ville. Sur les con­ti­nents, l’évapotranspiration désigne le flux d’eau qui s’évapore des sols et de la sur­face des riv­ières ou des lacs, mais aus­si le trans­fert de l’eau des sols vers l’atmosphère via la tran­spi­ra­tion des plantes. Or le réchauf­fe­ment des tem­péra­tures de sur­face est plus impor­tant au-dessus des con­ti­nents que des océans. Résul­tat, plus d’én­ergie est disponible pour que l’eau s’évapore et la sévérité des sécher­ess­es est aug­men­tée. Cet effet est en par­tie con­tre­bal­ancé par les effets du CO2 sur les plantes – qui peut aug­menter leur effi­cac­ité à utilis­er l’eau des sols. Mais cette con­trepar­tie ne suf­fit pas : l’évapotranspiration a aug­men­té depuis les années 1980.

Des effets contrastés selon les régions

Ces phénomènes liés au réchauf­fe­ment cli­ma­tique pro­duisent des effets con­trastés selon les régions. Si les sécher­ess­es météorologiques sont assez peu affec­tées jusqu’à présent par le change­ment cli­ma­tique, on observe une aug­men­ta­tion des sécher­ess­es agri­coles partout dans le monde – seul le nord de l’Australie est épargné10. Cela souligne le rôle majeur de l’augmentation de l’évapotranspiration sur la sécher­esse, dont le GIEC rap­pelle qu’elle est très prob­a­ble­ment due aux émis­sions anthropiques de gaz à effet de serre. Un lien clair a même été établi entre le réchauf­fe­ment lié aux activ­ités humaines et une aug­men­ta­tion de la fréquence et de la sévérité des sécher­ess­es au cours des dernières décen­nies en Méditer­ranée, dans l’ouest de l’Amérique du Nord et au sud-ouest de l’Australie.

Source : Rap­port du GIEC (2021), chapitre 8.

À l’avenir, ces effets vont s’amplifier à mesure que les tem­péra­tures glob­ales moyennes con­tin­ueront d’aug­menter. Selon les scé­nar­ios d’émissions de gaz à effet de serre, la durée des sécher­ess­es pour­rait s’étendre de 0,5–1 mois à 2 mois de plus qu’aujourd’hui en Amérique cen­trale, Méditer­ranée, bassin ama­zonien, sud-ouest de l’Amérique du Sud, ouest de l’Afrique du Nord, sud de l’Afrique et sud-ouest de l’Australie. « Toutes ces régions vont devenir plus sèch­es en rai­son de la baisse des pré­cip­i­ta­tions et de la hausse de l’évapotranspiration […] même pour les scé­nar­ios de faibles émis­sions de gaz à effet de serre », syn­thé­tise le GIEC. Sans diminu­tion dras­tique des émis­sions de gaz à effet de serre, env­i­ron un tiers des ter­res devraient souf­frir d’une sécher­esse au mieux mod­érée d’ici 2100. Seules quelques régions et saisons devraient voir leur risque de sécher­esse dimin­uer : les zones de haute lat­i­tude en Amérique du Nord et Asie, et la sai­son des mous­sons en Asie du Sud.

Les con­séquences socio-économiques sont majeures. Dans une étude parue en 202111, une équipe estime que, en l’absence d’action en faveur du cli­mat, les dom­mages liés aux sécher­ess­es pour­raient pass­er de 9 à 65 mil­liards de dol­lars chaque année en Union européenne et Roy­aume-Uni. « L’im­pact des inon­da­tions et des sécher­ess­es devrait aug­menter dans tous les secteurs économiques, de l’a­gri­cul­ture à la pro­duc­tion d’én­ergie, ce qui aura des con­séquences néga­tives sur la pro­duc­tion mon­di­ale de biens et de ser­vices, la pro­duc­tion indus­trielle, l’emploi, le com­merce et la con­som­ma­tion des ménages », syn­thé­tise le GIEC. Dimin­uer nos émis­sions de gaz à effet de serre et met­tre en place des actions d’adaptation per­met de lim­iter forte­ment ces retombées sur les populations.

Anaïs Marechal
1https://​sus​tain​ablela​.ucla​.edu/​2​0​2​5​l​a​w​i​l​d​fires
2https://​www​.world​weather​at​tri​bu​tion​.org/​c​l​i​m​a​t​e​-​c​h​a​n​g​e​-​i​n​c​r​e​a​s​e​d​-​t​h​e​-​l​i​k​e​l​i​h​o​o​d​-​o​f​-​w​i​l​d​f​i​r​e​-​d​i​s​a​s​t​e​r​-​i​n​-​h​i​g​h​l​y​-​e​x​p​o​s​e​d​-​l​o​s​-​a​n​g​e​l​e​s​-​area/
3https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/chapter/chapter‑4/
4https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/chapter/chapter‑4/
5A. B. Smith, J. L. Matthews, Quan­ti­fy­ing uncer­tain­ty and vari­able sen­si­tiv­i­ty with­in the US bil­lion-dol­lar weath­er and cli­mate dis­as­ter cost esti­mates. Nat. Haz­ards 77, 1829–1851 (2015). 10.1007/s11069-015‑1678‑x
6https://​inter​ac​tive​.car​bon​brief​.org/​a​t​t​r​i​b​u​t​i​o​n​-​s​t​u​d​i​e​s​/​i​n​d​e​x​.html
7https://​www​.world​weather​at​tri​bu​tion​.org/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​F​R​_​W​W​A​-​L​e​s​-​e​v​e​n​e​m​e​n​t​s​-​m​e​t​e​o​r​o​l​o​g​i​q​u​e​s​-​e​x​t​r​e​m​e​s​-​e​t​-​l​e​-​c​h​a​n​g​e​m​e​n​t​-​c​l​i​m​a​t​i​q​u​e.pdf
8https://​www​.sci​ence​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​1​2​6​/​s​c​i​e​n​c​e​.​a​a​z5492
9https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/chapter/chapter‑8/
10https://​www​.ipcc​.ch/​r​e​p​o​r​t​/​a​r​6​/​w​g​1​/​c​h​a​p​t​e​r​/​c​h​a​p​t​e​r-11/
11https://www.nature.com/articles/s41558-021–01044‑3

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