Les risques sanitaires posés par la végétalisation des villes
- La végétalisation des villes est l’une des solutions promues pour atténuer les effets du changement climatique.
- Cette approche peut réduire significativement la température urbaine, améliorer le bien-être des citadins et la consommation énergétique.
- La végétalisation urbaine crée de nouvelles niches écologiques, favorisant une biodiversité plus variée dans ces milieux, mais elle peut aussi augmenter les risques sanitaires liés aux maladies vectorielles.
- La gestion de la végétalisation doit être adaptée pour éviter les risques sanitaires, comme les épidémies de dengue ou la propagation de tiques porteuses de maladies.
- Il est essentiel de poursuivre la recherche pour comprendre et minimiser ces risques tout en maximisant les bienfaits de la végétalisation en ville.
Face aux retombées du changement climatique en cours, végétaliser les villes est l’une des solutions d’adaptation promues. En multipliant les éléments naturels en ville comme la végétation et les plans d’eau, l’approche permet de répondre à plusieurs des Objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations unies en 2015. La végétalisation améliore le bien-être et la santé des citadins et réduit les risques naturels comme les inondations.
Dans son dernier rapport1, le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC) souligne son intérêt majeur pour réduire la chaleur extrême dans les lieux privés et publics : grâce à l’ombre des arbres, la consommation électrique liée à la climatisation résidentielle peut être réduite de plus de 30 % en période de pointe. À Paris, une étude montre que la température de l’air dans les rues peut être réduite de plus de 4 °C si trois mesures d’adaptation sont déployées : créer des parcs, isoler les bâtiments et utiliser des matériaux réfléchissants2. Plus de la moitié de la population mondiale vit en ville aujourd’hui. D’ici 2050, les deux tiers de la population mondiale pourraient être citadins3.
Comment la végétalisation modifie-t-elle la biodiversité en ville ?
L’urbanisation érode la biodiversité. En ville, seules les espèces les plus tolérantes à l’urbanisation sont présentes, elles sont assez homogènes d’une ville à l’autre. En remettant de la nature en ville, on crée de nouvelles niches écologiques qui profitent à d’autres espèces. Planter des arbres, végétaliser une façade ou un toit, créer un espace vert… Il existe une panoplie de solutions de végétalisation, dont les retombées sur la biodiversité varient. Les insectes pollinisateurs comme les abeilles et les papillons bénéficient de la présence de parcs urbains4 et de plantes produisant du nectar5. La création de prairies ouvertes augmente la richesse des espèces d’oiseaux6. Des mammifères sauvages comme les sangliers peuvent également pénétrer les villes quand des corridors verts sont mis en place.
Dans un article publié en mars 20247, vous soulignez l’émergence de préoccupations sanitaires liées à la végétalisation des villes. Quels sont ces risques ?
Les modifications de biodiversité urbaine engendrées par la végétalisation peuvent augmenter le risque de circulation de pathologies à transmission vectorielle [Ndlr : des maladies infectieuses transmises par les insectes et acariens, comme le paludisme, la dengue, etc.]. Entre 2009 et 2012 à Madrid, une recrudescence de cas de leishmanioses est enregistrée. Elle est liée à la hausse des populations de lièvres et moucherons, associée à une fréquentation plus importante des habitants d’une forêt urbaine récemment aménagée en périphérie de la ville. En 2014 à Tokyo, une épidémie de dengue a lieu : le lien a été établi avec la fréquentation du parc Yoyogi, où le moustique tigre était fortement présent grâce à l’habitat offert par le parc.
Mais ces effets sanitaires sont très dépendants du lieu. Au Brésil, la dengue est véhiculée par une autre espèce de moustique (Aedes aegypti), qui trouve les conditions nécessaires à son développement même en milieu très minéralisé. Des travaux à São Paulo montrent, à l’inverse de Tokyo, une diminution de la contamination par la dengue dans les quartiers végétalisés de la ville, plus frais8.
Existe-t-il d’autres risques sanitaires liés à l’introduction de mammifères ?
Les mammifères favorisent l’établissement des tiques dans les zones urbaines végétalisées, elles-mêmes vectrices de pathogènes associés à des maladies comme l’encéphalite à tiques, les fièvres hémorragiques (comme la fièvre hémorragique Crimée-Congo) et la maladie de Lyme. On note une augmentation de l’incidence de certaines de ces pathologies dans les zones urbaines à Staten Island (New-York) et en Europe. Une étude dans le journal Infection Ecology & Epidemiology9 relate plusieurs observations : un nombre important de tiques (136 tous les 100 mètres) est retrouvé dans des parcs d’Helsinki, avec un taux d’infection de 19 à 55 % à la bactérie responsable de la maladie de Lyme. En Bavière (Allemagne), les tiques porteuses du parasite responsable de la babésiose sont retrouvées dans les parcs abritant des populations permanentes de cerfs.
Ces émergences de maladies ne sont-elles pas liées à la fréquentation des parcs par les populations ?
Oui, c’est l’un des facteurs de propagation des maladies. On observe une fréquentation augmentée des zones végétalisées en ville. Le contact accru de l’Homme avec la biodiversité favorise la recrudescence des cas de maladies vectorielles. Cela complique la gestion de la végétalisation par les autorités publiques et entrave l’acceptabilité des populations à la végétalisation urbaine. La métropole de Lyon est très investie sur ce sujet. Les pelouses des parcs urbains ne sont plus taillées à ras pour promouvoir la biodiversité. La ville a donc installé des panneaux pour sensibiliser les promeneurs aux risques liés aux tiques. Elle les déplace régulièrement pour maintenir un bon niveau d’alerte des populations.
Vous attirez l’attention sur ces préoccupations sanitaires grandissantes. L’impact sanitaire de la végétalisation des villes est-il vraiment un nouveau sujet de recherche ?
Les retombées de la végétalisation sur les maladies respiratoires ont été beaucoup étudiées. La végétalisation diminue les gaz à effet de serre, la pollution et la chaleur. De plus, les parcs favorisent la pratique de l’activité physique : tout cela réduit les risques cardio-vasculaires. À l’inverse, la végétalisation expose la population aux pollens et augmente le risque d’allergies respiratoires. Mais les risques liés aux maladies vectorielles sont moins bien étudiés. L’écologie urbaine est une discipline scientifique qui cumule beaucoup de travaux. Pourtant, les connaissances sont parcellaires : on ne comprend pas encore bien les retombées de la végétalisation sur la diversité spécifique (nombre d’espèces d’un milieu) et la diversité fonctionnelle (variété des réponses des espèces face à un changement) en ville.
Doit-on arrêter de végétaliser les villes ?
Non, ce n’est pas l’objectif des travaux que nous menons. La végétalisation apporte des bienfaits aux populations, notamment face au risque accru de canicules en lien avec le changement climatique. Il est crucial de mieux comprendre les effets de la végétalisation urbaine pour éviter les risques sanitaires liés. Par exemple : à quoi sert la végétation au moustique, a‑t-elle un rôle dans son repos ? Nous n’avons pas la réponse. Nous connaissons en revanche l’intérêt d’augmenter la biodiversité en ville. Par exemple, le virus de la dengue est véhiculé par le moustique tigre, mais certaines autres espèces de moustiques ne le disséminent pas. Lorsque plusieurs espèces sont présentes, le risque d’infection est diminué.
Existe-t-il des moyens de végétaliser tout en contenant les risques sanitaires ?
C’est une question de recherche et de planification urbaine à laquelle nous devons répondre. Il est clair que l’arrosage des espaces verts joue un rôle majeur : les installations goutte-à-goutte empêchent la formation de petites collections d’eau qui sont de véritables gîtes à moustiques. Nous travaillons aussi sur un projet de recherche dans la banlieue de Montpellier qui vise à mettre au point une stratégie efficace de lutte biologique contre le moustique tigre. Nous étudions les sites les plus pertinents (ceux qui favoriseraient l’accouplement) pour lâcher des moustiques mâles stériles en fonction de la végétalisation. D’autres pistes pourraient être aussi creusées pour identifier les espèces prédatrices du moustique tigre à partir des fèces des oiseaux et des chauves-souris afin de pouvoir ensuite éventuellement favoriser leur implantation dans un objectif de contrôle biologique.