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Les risques sanitaires posés par la végétalisation des villes

Florence Fournet
Florence Fournet
directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD)
En bref
  • La végétalisation des villes est l’une des solutions promues pour atténuer les effets du changement climatique.
  • Cette approche peut réduire significativement la température urbaine, améliorer le bien-être des citadins et la consommation énergétique.
  • La végétalisation urbaine crée de nouvelles niches écologiques, favorisant une biodiversité plus variée dans ces milieux, mais elle peut aussi augmenter les risques sanitaires liés aux maladies vectorielles.
  • La gestion de la végétalisation doit être adaptée pour éviter les risques sanitaires, comme les épidémies de dengue ou la propagation de tiques porteuses de maladies.
  • Il est essentiel de poursuivre la recherche pour comprendre et minimiser ces risques tout en maximisant les bienfaits de la végétalisation en ville.

Face aux retombées du change­ment cli­ma­tique en cours, végé­talis­er les villes est l’une des solu­tions d’adaptation pro­mues. En mul­ti­pli­ant les élé­ments naturels en ville comme la végé­ta­tion et les plans d’eau, l’approche per­met de répon­dre à plusieurs des Objec­tifs de développe­ment durable (ODD) adop­tés par les Nations unies en 2015. La végé­tal­i­sa­tion améliore le bien-être et la san­té des citadins et réduit les risques naturels comme les inondations.

Dans son dernier rap­port1, le Groupe inter­gou­verne­men­tal d’experts sur le cli­mat (GIEC) souligne son intérêt majeur pour réduire la chaleur extrême dans les lieux privés et publics : grâce à l’ombre des arbres, la con­som­ma­tion élec­trique liée à la cli­ma­ti­sa­tion rési­den­tielle peut être réduite de plus de 30 % en péri­ode de pointe. À Paris, une étude mon­tre que la tem­péra­ture de l’air dans les rues peut être réduite de plus de 4 °C si trois mesures d’adaptation sont déployées : créer des parcs, isol­er les bâti­ments et utilis­er des matéri­aux réfléchissants2. Plus de la moitié de la pop­u­la­tion mon­di­ale vit en ville aujourd’hui. D’ici 2050, les deux tiers de la pop­u­la­tion mon­di­ale pour­raient être citadins3.

Comment la végétalisation modifie-t-elle la biodiversité en ville ?

L’urbanisation érode la bio­di­ver­sité. En ville, seules les espèces les plus tolérantes à l’urbanisation sont présentes, elles sont assez homogènes d’une ville à l’autre. En remet­tant de la nature en ville, on crée de nou­velles nich­es écologiques qui prof­i­tent à d’autres espèces. Planter des arbres, végé­talis­er une façade ou un toit, créer un espace vert… Il existe une panoplie de solu­tions de végé­tal­i­sa­tion, dont les retombées sur la bio­di­ver­sité vari­ent. Les insectes pollinisa­teurs comme les abeilles et les papil­lons béné­fi­cient de la présence de parcs urbains4 et de plantes pro­duisant du nec­tar5. La créa­tion de prairies ouvertes aug­mente la richesse des espèces d’oiseaux6. Des mam­mifères sauvages comme les san­gliers peu­vent égale­ment pénétr­er les villes quand des cor­ri­dors verts sont mis en place.

Dans un article publié en mars 20247, vous soulignez l’émergence de préoccupations sanitaires liées à la végétalisation des villes. Quels sont ces risques ?

Les mod­i­fi­ca­tions de bio­di­ver­sité urbaine engen­drées par la végé­tal­i­sa­tion peu­vent aug­menter le risque de cir­cu­la­tion de patholo­gies à trans­mis­sion vec­to­rielle [Ndlr : des mal­adies infec­tieuses trans­mis­es par les insectes et acariens, comme le palud­isme, la dengue, etc.]. Entre 2009 et 2012 à Madrid, une recrude­s­cence de cas de leish­man­ios­es est enreg­istrée. Elle est liée à la hausse des pop­u­la­tions de lièvres et moucherons, asso­ciée à une fréquen­ta­tion plus impor­tante des habi­tants d’une forêt urbaine récem­ment amé­nagée en périphérie de la ville. En 2014 à Tokyo, une épidémie de dengue a lieu : le lien a été établi avec la fréquen­ta­tion du parc Yoyo­gi, où le mous­tique tigre était forte­ment présent grâce à l’habitat offert par le parc.

Mais ces effets san­i­taires sont très dépen­dants du lieu. Au Brésil, la dengue est véhiculée par une autre espèce de mous­tique (Aedes aegyp­ti), qui trou­ve les con­di­tions néces­saires à son développe­ment même en milieu très minéral­isé. Des travaux à São Paulo mon­trent, à l’inverse de Tokyo, une diminu­tion de la con­t­a­m­i­na­tion par la dengue dans les quartiers végé­tal­isés de la ville, plus frais8.

Existe-t-il d’autres risques sanitaires liés à l’introduction de mammifères ?

Les mam­mifères favorisent l’établissement des tiques dans les zones urbaines végé­tal­isées, elles-mêmes vec­tri­ces de pathogènes asso­ciés à des mal­adies comme l’encéphalite à tiques, les fièvres hémor­rag­iques (comme la fièvre hémor­rag­ique Crimée-Con­go) et la mal­adie de Lyme. On note une aug­men­ta­tion de l’incidence de cer­taines de ces patholo­gies dans les zones urbaines à Stat­en Island (New-York) et en Europe. Une étude dans le jour­nal Infec­tion Ecol­o­gy & Epi­demi­ol­o­gy9 relate plusieurs obser­va­tions : un nom­bre impor­tant de tiques (136 tous les 100 mètres) est retrou­vé dans des parcs d’Helsinki, avec un taux d’infection de 19 à 55 % à la bac­térie respon­s­able de la mal­adie de Lyme. En Bav­ière (Alle­magne), les tiques por­teuses du par­a­site respon­s­able de la babé­siose sont retrou­vées dans les parcs abri­tant des pop­u­la­tions per­ma­nentes de cerfs.

Ces émergences de maladies ne sont-elles pas liées à la fréquentation des parcs par les populations ?

Oui, c’est l’un des fac­teurs de prop­a­ga­tion des mal­adies. On observe une fréquen­ta­tion aug­men­tée des zones végé­tal­isées en ville. Le con­tact accru de l’Homme avec la bio­di­ver­sité favorise la recrude­s­cence des cas de mal­adies vec­to­rielles. Cela com­plique la ges­tion de la végé­tal­i­sa­tion par les autorités publiques et entrave l’acceptabilité des pop­u­la­tions à la végé­tal­i­sa­tion urbaine. La métro­pole de Lyon est très investie sur ce sujet. Les pelous­es des parcs urbains ne sont plus tail­lées à ras pour pro­mou­voir la bio­di­ver­sité. La ville a donc instal­lé des pan­neaux pour sen­si­bilis­er les promeneurs aux risques liés aux tiques. Elle les déplace régulière­ment pour main­tenir un bon niveau d’alerte des populations.

Vous attirez l’attention sur ces préoccupations sanitaires grandissantes. L’impact sanitaire de la végétalisation des villes est-il vraiment un nouveau sujet de recherche ?

Les retombées de la végé­tal­i­sa­tion sur les mal­adies res­pi­ra­toires ont été beau­coup étudiées. La végé­tal­i­sa­tion dimin­ue les gaz à effet de serre, la pol­lu­tion et la chaleur. De plus, les parcs favorisent la pra­tique de l’activité physique : tout cela réduit les risques car­dio-vas­cu­laires. À l’inverse, la végé­tal­i­sa­tion expose la pop­u­la­tion aux pol­lens et aug­mente le risque d’allergies res­pi­ra­toires. Mais les risques liés aux mal­adies vec­to­rielles sont moins bien étudiés. L’écologie urbaine est une dis­ci­pline sci­en­tifique qui cumule beau­coup de travaux. Pour­tant, les con­nais­sances sont par­cel­laires : on ne com­prend pas encore bien les retombées de la végé­tal­i­sa­tion sur la diver­sité spé­ci­fique (nom­bre d’espèces d’un milieu) et la diver­sité fonc­tion­nelle (var­iété des répons­es des espèces face à un change­ment) en ville.

Doit-on arrêter de végétaliser les villes ?

Non, ce n’est pas l’objectif des travaux que nous menons. La végé­tal­i­sa­tion apporte des bien­faits aux pop­u­la­tions, notam­ment face au risque accru de canicules en lien avec le change­ment cli­ma­tique. Il est cru­cial de mieux com­pren­dre les effets de la végé­tal­i­sa­tion urbaine pour éviter les risques san­i­taires liés. Par exem­ple : à quoi sert la végé­ta­tion au mous­tique, a‑t-elle un rôle dans son repos ? Nous n’avons pas la réponse. Nous con­nais­sons en revanche l’intérêt d’augmenter la bio­di­ver­sité en ville. Par exem­ple, le virus de la dengue est véhiculé par le mous­tique tigre, mais cer­taines autres espèces de mous­tiques ne le dis­sémi­nent pas. Lorsque plusieurs espèces sont présentes, le risque d’infection est diminué.

Existe-t-il des moyens de végétaliser tout en contenant les risques sanitaires ?

C’est une ques­tion de recherche et de plan­i­fi­ca­tion urbaine à laque­lle nous devons répon­dre. Il est clair que l’arrosage des espaces verts joue un rôle majeur : les instal­la­tions goutte-à-goutte empêchent la for­ma­tion de petites col­lec­tions d’eau qui sont de véri­ta­bles gîtes à mous­tiques. Nous tra­vail­lons aus­si sur un pro­jet de recherche dans la ban­lieue de Mont­pel­li­er qui vise à met­tre au point une stratégie effi­cace de lutte biologique con­tre le mous­tique tigre. Nous étu­dions les sites les plus per­ti­nents (ceux qui favoris­eraient l’accouplement) pour lâch­er des mous­tiques mâles stériles en fonc­tion de la végé­tal­i­sa­tion. D’autres pistes pour­raient être aus­si creusées pour iden­ti­fi­er les espèces pré­da­tri­ces du mous­tique tigre à par­tir des fèces des oiseaux et des chauves-souris afin de pou­voir ensuite éventuelle­ment favoris­er leur implan­ta­tion dans un objec­tif de con­trôle biologique.

Anaïs Marechal
1Dod­man, D., B. Hay­ward, M. Pelling, V. Cas­tan Bro­to, W. Chow, E. Chu, R. Daw­son, L. Khir­fan, T. McP­hear­son, A. Prakash, Y. Zheng, and G. Zier­vo­gel, 2022: Cities, Set­tle­ments and Key Infra­struc­ture. In: Cli­mate Change 2022: Impacts, Adap­ta­tion and Vul­ner­a­bil­i­ty. Con­tri­bu­tion of Work­ing Group II to the Sixth Assess­ment Report of the Inter­gov­ern­men­tal Pan­el on Cli­mate Change [H.-O. Pört­ner, D.C. Roberts, M. Tign­or, E.S. Poloczan­s­ka, K. Minten­beck, A. Ale­gría, M. Craig, S. Langs­dorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, Cam­bridge, UK and New York, NY, USA, pp. 907‑1040, doi:10.1017/9781009325844.008.
2Vin­cent Vigu­ié et al 2020 Env­i­ron. Res. Lett. 15 075006
3https://​our​worldin​da​ta​.org/​u​r​b​a​n​i​z​ation
4Banaszak-Cibic­ka, W., Twerd, L., Fliszkiewicz, M. et al. City parks vs. nat­ur­al areas – is it pos­si­ble to pre­serve a nat­ur­al lev­el of bee rich­ness and abun­dance in a city park?. Urban Ecosyst 21, 599–613 (2018). https://doi.org/10.1007/s11252-018‑0756‑8
5Clark, P.J., Reed, J.M. & Chew, F.S. Effects of urban­iza­tion on but­ter­fly species rich­ness, guild struc­ture, and rar­i­ty. Urban Ecosyst 10, 321–337 (2007). https://doi.org/10.1007/s11252-007‑0029‑4
6Archibald CL,  McK­in­ney M,  Mustin K,  Shana­han DF,  Poss­ing­ham HP.  Assess­ing the impact of reveg­e­ta­tion and weed con­trol on urban sen­si­tive bird species. Ecol Evol.  2017; 7: 4200–4208. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​0​2​/​e​c​e​3​.2960
7Four­net Flo­rence, Simard Frédéric, Fonte­nille Didi­er. Green cities and vec­tor-borne dis­eases: emerg­ing con­cerns and oppor­tu­ni­ties. Euro Surveill.2024;29(10):pii=2300548. https://doi.org/10.2807/1560–7917.ES.2024.29.10.2300548
8Vieira Arau­jo R. et al. (2015) Sao Paulo urban heat islands have a high­er inci­dence of dengue than oth­er urban areas. The Brazil­ian jour­nal of infec­tious dis­eases, Vol­ume 19, Issue 2, pages 146–155. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​b​j​i​d​.​2​0​1​4​.​1​0.004
9Lõh­mus, M., & Bal­bus, J. (2015). Mak­ing green infra­struc­ture health­i­er infra­struc­ture. Infec­tion Ecol­o­gy & Epi­demi­ol­o­gy, 5(1). https://​doi​.org/​1​0​.​3​4​0​2​/​i​e​e​.​v​5​.​30082

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