Décarboner le secteur de la construction repose sur différents leviers. Économie circulaire, écoconception, rénovation énergétique… et nouveaux matériaux. La fabrication des matériaux pour la construction de bâtiments représente 10 % des émissions globales de CO2 en 2020, soit 3,2 Gt de CO21. Et la demande s’accroit : la consommation mondiale de ciment est passée de 900 000 à près de 2 millions de tonnes entre 2000 et 2015 (elle baisse un peu en 2020 en raison de la crise sanitaire). Le ciment et l’acier pèsent le plus dans la balance, suivis par l’aluminium, le verre et les matériaux isolants. Les matériaux biosourcés représentent une alternative de choix pour le secteur.
Conventionnel ou biosourcé ?
Structure, isolation ou encore revêtement d’un bâtiment peuvent être réalisés à partir de matériaux biosourcés. Issus de biomasse d’origine animale ou (plus souvent) végétale, les matériaux biosourcés sur le marché de la construction sont variés : bois d’œuvre, ouate de cellulose, chènevotte ou anas de lin, paille de blé… Pourtant, ils sont aujourd’hui très peu utilisés : seuls 12 % des matériaux utilisés dans le bâtiment sont biosourcés2. De plus, ces matériaux manquent cruellement d’un cadre réglementaire vertueux pour l’environnement : la norme européenne (NF-EN 16575) considère comme matériau biosourcé tout produit issu entièrement ou partiellement de bioressources…
Un label privé va plus loin en distinguant les matériaux intégrant un seuil minimum de matière biosourcée, fixé à 70 % pour les isolants ou 25 % pour les bétons végétaux3. En France, le label d’État « Bâtiment biosourcé » concerne les bâtis neufs. Pour l’obtenir, une maison individuelle doit incorporer de 42 à 84 kilogrammes de matière biosourcée par m2 de surface de plancher, selon le grade désiré. Ces chiffres tombent à 18 à 36 kg/m2 pour un habitat collectif.
Chaque kilogramme de paille de blé contribue à séquestrer environ 1,4 kg de CO2.
« La fabrication de matériaux conventionnels contribue à déstocker le carbone conservé depuis des millions d’années dans les sols pour l’injecter dans l’atmosphère, explique Thibaut Lecompte. La priorité du secteur doit être le réemploi des matériaux, puis en second temps d’utiliser des matériaux biosourcés. » Leur avantage ? À l’inverse des matériaux conventionnels, ils permettent de stocker du carbone. « Les végétaux captent le CO2 contenu dans la basse atmosphère pendant leur croissance, détaille Thibaut Lecompte. Il reste ensuite stocké en leur sein pendant toute la durée de vie du bâtiment, voire même plus longtemps si le matériau est réemployé ! »
Par exemple, chaque kilogramme de paille de blé contribue à séquestrer environ 1,4 kg de CO24. Le carbone capté est finalement relâché dans l’atmosphère en fin de vie du matériau, par exemple si le bois est brûlé pour le chauffage. Les matériaux biosourcés présentent donc un double avantage : celui de séquestrer du CO2 atmosphérique pendant des dizaines d’années, mais aussi d’éviter de déstocker du carbone des sols en se substituant aux matériaux conventionnels.
Un champ de possibilités
Les opportunités offertes par les différentes alternatives varient. Intéressons-nous au bois, le matériau de structure biosourcé le plus couramment utilisé. « Le bois d’ossature permet de limiter les ponts thermiques, de réaliser de grandes ouvertures tout en facilitant la mise en œuvre, contrairement à l’acier ou au béton », pointe Thibaut Lecompte. Les forêts sont le deuxième puits de carbone dans le monde, elles contribuent à stocker 10 milliards de tonnes équivalent CO25. Une sylviculture vertueuse doit cependant être gérée durablement, en limitant les coupes à blanc, les monocultures et l’usage de produits phytosanitaires6. « Il faut également que la biomasse extraite soit compensée par la production, ajoute Thibaut Lecompte. À l’échelle européenne, nous prélevons moins de bois que la production annuelle (73 %) : il est nécessaire de conserver cet équilibre pour que le bilan carbone de la filière reste intéressant, par exemple en diminuant notre consommation de bois énergie au profit du bois d’œuvre. »
En Europe, nous prélevons moins de bois que la production annuelle (73 %) : il faut conserver cet équilibre pour que le bilan carbone reste intéressant.
Une équipe de recherche européenne estime que la surface de sylviculture nécessaire pour fournir le bois d’œuvre ou d’isolation peut pleinement répondre à la demande : elle ne représente que 23 % des terres déjà utilisées pour la construction, et ne générerait donc aucune pression foncière ou concurrence intersectorielle7.
Autre piste : les parois biosourcées, intégrant des isolants biosourcés et des bétons végétaux. « Les matériaux biosourcés sont très intéressants du point de vue du confort thermique », pointe Vincent Picandet. Grâce à leur faculté à absorber et restituer l’eau sous forme de vapeur, l’humidité à l’intérieur du bâtiment est mieux régulée. « Même si les isolants conventionnels affichent souvent une plus faible conductivité thermique, ils sont beaucoup moins performants, voire totalement inefficaces, sur la régulation de l’humidité, poursuit Vincent Picandet. Malheureusement, le meilleur confort offert par les matériaux biosourcés n’est pas reflété par les normes actuelles qui mesurent uniquement la conductivité thermique. » À ce jour, seuls 11 % des rénovations en toiture le sont à base d’isolant biosourcé (ce chiffre tombe respectivement à 7 % et 4 % pour les murs et les planchers)8.
Ils présentent cependant une contrainte par rapport aux matériaux conventionnels. « Une bonne mise en œuvre doit être respectée pour assurer une bonne respiration de l’ensemble de la paroi », précise Vincent Picandet. Cela rend leur usage plus compliqué en rénovation. « Mais si les bonnes conditions de mise en œuvre sont respectées, ces matériaux ont la même durabilité que les matériaux conventionnels à l’échelle d’un demi-siècle, détaille Vincent Picandet. Plus longtemps, nous n’avons pas encore le recul nécessaire. » Pour le chercheur, la question de la durée de vie souhaitée pour un bâtiment doit se poser. « Le béton de chanvre présente une durabilité moins grande que le béton traditionnel : mais les normes nous imposent de construire des bâtiments plus résistants que nécessaire ! Bien sûr, le béton classique sera toujours nécessaire pour les ouvrages de génie civil ou pour assurer des fonctions structurelles. Mais les bétons de granulats végétaux peuvent tout à fait se substituer aux isolants conventionnels ou aux parois composites couramment mises en œuvre. »
Quelle empreinte carbone ?
D’un point de vue climatique, les plantes annuelles utilisées pour l’isolation ou le béton biosourcé (chanvre, blé, lin, tournesol, etc.) présentent une analyse du cycle de vie (ACV) très intéressante. En quelques mois de culture, elles séquestrent du carbone, qui restera ensuite stocké dans le matériau pendant toute la durée de vie du bâtiment. L’impact carbone de la mise en œuvre d’une paroi entièrement biosourcée (composée d’une ossature bois et d’une isolation paille, d’une durée de vie de 50 ans) est évalué à près de 4 kg CO2e, contre 49 pour une solution conventionnelle9.
Le secteur de la construction ne nécessiterait que 12 % des terres déjà disponibles à la construction si la paille de blé était utilisée comme isolant
Les gisements sont, eux, bien présents : le secteur de la construction ne nécessiterait que 12 % des terres déjà disponibles à la construction si la paille de blé était utilisée comme isolant, une grande partie de celle-ci n’étant aujourd’hui pas valorisée6. Ce n’est pas le cas en revanche pour le chanvre et le liège, peu cultivés aujourd’hui. « Pour maintenir une empreinte carbone intéressante, il est nécessaire de conserver un équilibre pour l’usage des terres : ne pas remplacer une forêt par un champ par exemple », alerte Thibaut Lecompte. Par exemple, le chanvre et le lin peuvent être introduits en tant que culture intermédiaire. Dans un article de The Conversation10, la chercheuse Hélène Lenormand présente un panorama de l’ensemble des plantes disponibles pour l’isolation : « S’il y a compétition entre différentes applications, le gisement annuel est tellement gigantesque (15 millions de tonnes en France) que toutes les voies de valorisation pourront être fournies sans crainte de concurrence. » Les différents gisements sont complémentaires tant géographiquement que temporellement, assurant une disponibilité de la ressource. Un atout de taille par rapport à d’autres matériaux conventionnels importés.
Malgré tout, la filière des matériaux biosourcés est peu développée. Peu de chiffres existent. Les isolants biosourcés ont connu une croissance de près de 40 % en 3 ans, pour atteindre 10 % du marché d’après les professionnels du secteur11. L’arrivée de la nouvelle réglementation thermique française pourrait changer les choses : la RE2020 – applicable aux constructions neuves – intègre l’impact carbone des matériaux utilisés à travers leur ACV, tout comme le Danemark et les Pays-Bas. Et à travers le monde, de plus en plus de pays mettent en place des réglementations – intégrant l’empreinte carbone des matériaux – visant à atteindre l’objectif zéro carbone d’ici 205012.