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Quel avenir pour la rénovation thermique des bâtiments ?

Les matériaux biosourcés améliorent le confort et l’empreinte carbone des bâtiments

Thibaut Lecompte, enseignant-chercheur à l’Université Bretagne-Sud et Vincent Picandet , enseignant-chercheur à l’Université Bretagne-Sud
Le 4 octobre 2022 |
6 min. de lecture
Thibaut Lecompte
Thibaut Lecompte
enseignant-chercheur à l’Université Bretagne-Sud
Vincent Picandet
Vincent Picandet
enseignant-chercheur à l’Université Bretagne-Sud
En bref
  • Pour pallier la quantité d’émissions de gaz à effet de serre (GES) produite par la fabrication des matériaux de construction, opter pour les matériaux biosourcés (issus de biomasse animale ou végétale) semble une bonne alternative.
  • À l’inverse des matériaux conventionnels, les matériaux biosourcés permettent non seulement d’éviter de déstocker le carbone des sols mais encore de stocker du CO2 atmosphérique pendant des dizaines d’années.
  • Les matériaux biosourcés offrent de nombreuses opportunités, pour le confort général et l’empreinte carbone, à condition que la biomasse extraite soit compensée par la production.
  • Pourtant, les matériaux biosourcés ne représentent aujourd’hui que 12 % des matériaux utilisés dans le bâtiment : c’est l’arrivée de nouvelles réglementations qui pourrait permettre de changer la donne.

Décar­bon­er le secteur de la con­struc­tion repose sur dif­férents leviers. Économie cir­cu­laire, éco­con­cep­tion, réno­va­tion énergé­tique… et nou­veaux matéri­aux. La fab­ri­ca­tion des matéri­aux pour la con­struc­tion de bâti­ments représente 10 % des émis­sions glob­ales de CO2 en 2020, soit 3,2 Gt de CO21. Et la demande s’accroit : la con­som­ma­tion mon­di­ale de ciment est passée de 900 000 à près de 2 mil­lions de tonnes entre 2000 et 2015 (elle baisse un peu en 2020 en rai­son de la crise san­i­taire). Le ciment et l’acier pèsent le plus dans la bal­ance, suiv­is par l’aluminium, le verre et les matéri­aux isolants. Les matéri­aux biosour­cés représen­tent une alter­na­tive de choix pour le secteur.

Conventionnel ou biosourcé ?

Struc­ture, iso­la­tion ou encore revête­ment d’un bâti­ment peu­vent être réal­isés à par­tir de matéri­aux biosour­cés. Issus de bio­masse d’origine ani­male ou (plus sou­vent) végé­tale, les matéri­aux biosour­cés sur le marché de la con­struc­tion sont var­iés : bois d’œuvre, ouate de cel­lu­lose, chènevotte ou anas de lin, paille de blé… Pour­tant, ils sont aujourd’hui très peu util­isés : seuls 12 % des matéri­aux util­isés dans le bâti­ment sont biosour­cés2. De plus, ces matéri­aux man­quent cru­elle­ment d’un cadre régle­men­taire vertueux pour l’environnement : la norme européenne (NF-EN 16575) con­sid­ère comme matéri­au biosour­cé tout pro­duit issu entière­ment ou par­tielle­ment de bioressources…

Un label privé va plus loin en dis­tin­guant les matéri­aux inté­grant un seuil min­i­mum de matière biosour­cée, fixé à 70 % pour les isolants ou 25 % pour les bétons végé­taux3. En France, le label d’État « Bâti­ment biosour­cé » con­cerne les bâtis neufs. Pour l’obtenir, une mai­son indi­vidu­elle doit incor­por­er de 42 à 84 kilo­grammes de matière biosour­cée par m2 de sur­face de planch­er, selon le grade désiré. Ces chiffres tombent à 18 à 36 kg/m2 pour un habi­tat collectif. 

Chaque kilo­gramme de paille de blé con­tribue à séquestr­er env­i­ron 1,4 kg de CO2.

« La fab­ri­ca­tion de matéri­aux con­ven­tion­nels con­tribue à dés­tock­er le car­bone con­servé depuis des mil­lions d’années dans les sols pour l’injecter dans l’atmosphère, explique Thibaut Lecompte. La pri­or­ité du secteur doit être le réem­ploi des matéri­aux, puis en sec­ond temps d’utiliser des matéri­aux biosour­cés. » Leur avan­tage ? À l’inverse des matéri­aux con­ven­tion­nels, ils per­me­t­tent de stock­er du car­bone. « Les végé­taux captent le CO2 con­tenu dans la basse atmo­sphère pen­dant leur crois­sance, détaille Thibaut Lecompte. Il reste ensuite stocké en leur sein pen­dant toute la durée de vie du bâti­mentvoire même plus longtemps si le matéri­au est réem­ployé ! »

Par exem­ple, chaque kilo­gramme de paille de blé con­tribue à séquestr­er env­i­ron 1,4 kg de CO24. Le car­bone cap­té est finale­ment relâché dans l’atmosphère en fin de vie du matéri­au, par exem­ple si le bois est brûlé pour le chauffage. Les matéri­aux biosour­cés présen­tent donc un dou­ble avan­tage : celui de séquestr­er du CO2 atmo­sphérique pen­dant des dizaines d’années, mais aus­si d’éviter de dés­tock­er du car­bone des sols en se sub­sti­tu­ant aux matéri­aux conventionnels. 

Un champ de possibilités 

Les oppor­tu­nités offertes par les dif­férentes alter­na­tives vari­ent. Intéres­sons-nous au bois, le matéri­au de struc­ture biosour­cé le plus couram­ment util­isé. « Le bois d’ossature per­met de lim­iter les ponts ther­miques, de réalis­er de grandes ouver­tures tout en facil­i­tant la mise en œuvre, con­traire­ment à l’acier ou au béton », pointe Thibaut Lecompte. Les forêts sont le deux­ième puits de car­bone dans le monde, elles con­tribuent à stock­er 10 mil­liards de tonnes équiv­a­lent CO25. Une sylvi­cul­ture vertueuse doit cepen­dant être gérée durable­ment, en lim­i­tant les coupes à blanc, les mono­cul­tures et l’usage de pro­duits phy­tosan­i­taires6. « Il faut égale­ment que la bio­masse extraite soit com­pen­sée par la pro­duc­tion, ajoute Thibaut Lecompte. À l’échelle européenne, nous prélevons moins de bois que la pro­duc­tion annuelle (73 %) : il est néces­saire de con­serv­er cet équili­bre pour que le bilan car­bone de la fil­ière reste intéres­sant, par exem­ple en dimin­u­ant notre con­som­ma­tion de bois énergie au prof­it du bois d’œuvre. »

En Europe, nous prélevons moins de bois que la pro­duc­tion annuelle (73 %) : il faut con­serv­er cet équili­bre pour que le bilan car­bone reste intéressant.

Une équipe de recherche européenne estime que la sur­face de sylvi­cul­ture néces­saire pour fournir le bois d’œuvre ou d’isolation peut pleine­ment répon­dre à la demande : elle ne représente que 23 % des ter­res déjà util­isées pour la con­struc­tion, et ne génér­erait donc aucune pres­sion fon­cière ou con­cur­rence inter­sec­to­rielle7.

Autre piste : les parois biosour­cées, inté­grant des isolants biosour­cés et des bétons végé­taux. « Les matéri­aux biosour­cés sont très intéres­sants du point de vue du con­fort ther­mique », pointe Vin­cent Pican­det. Grâce à leur fac­ulté à absorber et restituer l’eau sous forme de vapeur, l’humidité à l’intérieur du bâti­ment est mieux régulée. « Même si les isolants con­ven­tion­nels affichent sou­vent une plus faible con­duc­tiv­ité ther­mique, ils sont beau­coup moins per­for­mants, voire totale­ment inef­fi­caces, sur la régu­la­tion de l’humidité, pour­suit Vin­cent Pican­det. Mal­heureuse­ment, le meilleur con­fort offert par les matéri­aux biosour­cés n’est pas reflété par les normes actuelles qui mesurent unique­ment la con­duc­tiv­ité ther­mique. » À ce jour, seuls 11 % des réno­va­tions en toi­ture le sont à base d’isolant biosour­cé (ce chiffre tombe respec­tive­ment à 7 % et 4 % pour les murs et les planch­ers)8

Ils présen­tent cepen­dant une con­trainte par rap­port aux matéri­aux con­ven­tion­nels. « Une bonne mise en œuvre doit être respec­tée pour assur­er une bonne res­pi­ra­tion de l’ensemble de la paroi », pré­cise Vin­cent Pican­det. Cela rend leur usage plus com­pliqué en réno­va­tion. « Mais si les bonnes con­di­tions de mise en œuvre sont respec­tées, ces matéri­aux ont la même dura­bil­ité que les matéri­aux con­ven­tion­nels à l’échelle d’un demi-siè­cle, détaille Vin­cent Pican­det. Plus longtemps, nous n’avons pas encore le recul néces­saire. » Pour le chercheur, la ques­tion de la durée de vie souhaitée pour un bâti­ment doit se pos­er. « Le béton de chan­vre présente une dura­bil­ité moins grande que le béton tra­di­tion­nel : mais les normes nous imposent de con­stru­ire des bâti­ments plus résis­tants que néces­saire ! Bien sûr, le béton clas­sique sera tou­jours néces­saire pour les ouvrages de génie civ­il ou pour assur­er des fonc­tions struc­turelles. Mais les bétons de gran­u­lats végé­taux peu­vent tout à fait se sub­stituer aux isolants con­ven­tion­nels ou aux parois com­pos­ites couram­ment mis­es en œuvre. »

Quelle empreinte carbone ?

D’un point de vue cli­ma­tique, les plantes annuelles util­isées pour l’isolation ou le béton biosour­cé (chan­vre, blé, lin, tour­nesol, etc.) présen­tent une analyse du cycle de vie (ACV) très intéres­sante. En quelques mois de cul­ture, elles séquestrent du car­bone, qui restera ensuite stocké dans le matéri­au pen­dant toute la durée de vie du bâti­ment. L’impact car­bone de la mise en œuvre d’une paroi entière­ment biosour­cée (com­posée d’une ossa­t­ure bois et d’une iso­la­tion paille, d’une durée de vie de 50 ans) est éval­ué à près de 4 kg CO2e, con­tre 49 pour une solu­tion con­ven­tion­nelle9

Le secteur de la con­struc­tion ne néces­sit­erait que 12 % des ter­res déjà disponibles à la con­struc­tion si la paille de blé était util­isée comme isolant

Les gise­ments sont, eux, bien présents : le secteur de la con­struc­tion ne néces­sit­erait que 12 % des ter­res déjà disponibles à la con­struc­tion si la paille de blé était util­isée comme isolant, une grande par­tie de celle-ci n’étant aujourd’hui pas val­orisée6. Ce n’est pas le cas en revanche pour le chan­vre et le liège, peu cul­tivés aujourd’hui. « Pour main­tenir une empreinte car­bone intéres­sante, il est néces­saire de con­serv­er un équili­bre pour l’usage des ter­res : ne pas rem­plac­er une forêt par un champ par exem­ple », alerte Thibaut Lecompte. Par exem­ple, le chan­vre et le lin peu­vent être intro­duits en tant que cul­ture inter­mé­di­aire. Dans un arti­cle de The Con­ver­sa­tion10, la chercheuse Hélène Lenor­mand présente un panora­ma de l’ensemble des plantes disponibles pour l’isolation : « S’il y a com­péti­tion entre dif­férentes appli­ca­tions, le gise­ment annuel est telle­ment gigan­tesque (15 mil­lions de tonnes en France) que toutes les voies de val­ori­sa­tion pour­ront être fournies sans crainte de con­cur­rence. » Les dif­férents gise­ments sont com­plé­men­taires tant géo­graphique­ment que tem­porelle­ment, assur­ant une disponi­bil­ité de la ressource. Un atout de taille par rap­port à d’autres matéri­aux con­ven­tion­nels importés.

Mal­gré tout, la fil­ière des matéri­aux biosour­cés est peu dévelop­pée. Peu de chiffres exis­tent. Les isolants biosour­cés ont con­nu une crois­sance de près de 40 % en 3 ans, pour attein­dre 10 % du marché d’après les pro­fes­sion­nels du secteur11. L’arrivée de la nou­velle régle­men­ta­tion ther­mique française pour­rait chang­er les choses : la RE2020 – applic­a­ble aux con­struc­tions neuves – intè­gre l’impact car­bone des matéri­aux util­isés à tra­vers leur ACV, tout comme le Dane­mark et les Pays-Bas. Et à tra­vers le monde, de plus en plus de pays met­tent en place des régle­men­ta­tions – inté­grant l’empreinte car­bone des matéri­aux – visant à attein­dre l’objectif zéro car­bone d’ici 205012.

Anaïs Marechal
1Unit­ed Nations Envi­ron­ment Pro­gramme (2021). 2021 Glob­al Sta­tus Report for Build­ings and Con­struc­tion: Towards a Zero-emis­sion, Effi­cient and Resilient Build­ings and Con­struc­tion Sec­tor. Nairo­bi
2D’après le con­grès nation­al du bâti­ment durable cité par l’Observatoire de l’immobilier durable : https://o‑immobilierdurable.fr/materiaux-biosources-pour-decarboner-les-batiments-les-defis-du-passage-a-lechelle/#_ftn1
3Site inter­net con­sulté le 02/09/2022 : https://​www​.occ​i​tanie​.devel​oppe​ment​-durable​.gouv​.fr/​l​e​s​-​d​i​f​f​e​r​e​n​t​s​-​l​a​b​e​l​s​-​b​i​o​s​o​u​r​c​e​s​-​a​2​5​7​9​1​.html
4Lecompte (2019), Matéri­aux bio-sour­cés pour le bâti­ment et stock­age tem­po­raire de car­bone, dans Con­struc­tion et travaux publics, la con­struc­tion respon­s­able, Tech­niques de l’ingénieur.
5Site inter­net con­sulté le 02/09/2022 : https://​www​.onf​.fr/​o​n​f​/​f​o​r​e​t​s​-​e​t​-​c​h​a​n​g​e​m​e​n​t​-​c​l​i​m​a​t​i​q​u​e​/​+​/​5​9​0​:​:​l​a​-​f​o​r​e​t​-​e​t​-​l​e​-​b​o​i​s​-​d​e​s​-​a​l​l​i​e​s​-​p​o​u​r​-​l​e​-​c​l​i​m​a​t​.html
6Lecompte (2019), Matéri­aux bio-sour­cés pour le bâti­ment et stock­age tem­po­raire de car­bone, dans Con­struc­tion et travaux publics, la con­struc­tion respon­s­able, Tech­niques de l’ingénieur.
7Pit­tau et al., 2021, Heal­ing the euro­pean build­ing stock with bio-based mate­ri­als: do we have enough avail­able land ?, 4th inter­na­tion­al con­fer­ence on bio-based build­ing mate­ri­als, Barcelona.
8Obser­va­toire nation­al de la réno­va­tion énergé­tique (mars 2022), La réno­va­tion énergé­tique des loge­ments : bilan des travaux et des aides entre 2016 et 2019.
9Lecompte (2019), Matéri­aux bio-sour­cés pour le bâti­ment et stock­age tem­po­raire de car­bone, dans Con­struc­tion et travaux publics, la con­struc­tion respon­s­able, Tech­niques de l’ingénieur.
10https://​the​con​ver​sa​tion​.com/​f​a​i​r​e​-​p​o​u​s​s​e​r​-​d​e​s​-​i​s​o​l​a​n​t​s​-​t​h​e​r​m​i​q​u​e​s​-​u​n​-​p​a​n​o​r​a​m​a​-​d​e​s​-​m​a​t​e​r​i​a​u​x​-​d​i​s​p​o​n​i​b​l​e​s​-​e​n​-​f​r​a​n​c​e​-​1​85653
11Site con­sulté le 03/09/2022 : http://​www​.kari​bati​.fr/​m​a​t​e​r​i​a​u​x​-​b​i​o​s​o​u​r​c​e​s​/​p​r​e​s​e​n​t​a​tion/
12Unit­ed Nations Envi­ron­ment Pro­gramme (2021). 2021 Glob­al Sta­tus Report for Build­ings and Con­struc­tion: Towards a Zero-emis­sion, Effi­cient and Resilient Build­ings and Con­struc­tion Sec­tor. Nairo­bi

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