« En raison des changements que nous traversons, il sera impossible de fournir un accès universel à l’eau sans Adaptation. » Le constat d’Éric Servat, directeur du centre UNESCO ICIREWARD – Montpellier, est sans appel. Si les États membres des Nations Unies souhaitent respecter leur engagement de fournir un accès universel et équitable à l’eau potable, il est nécessaire de mettre en place des mesures d’adaptation. L’Adaptation réduit les risques climatiques et la vulnérabilité des populations, principalement grâce à l’ajustement des systèmes existants comme le décrit le GIEC1. Ci-après, un tour d’horizon – non exhaustif – des mesures d’adaptation indispensables pour sécuriser l’accès à l’eau dans le contexte du changement climatique.
De multiples leviers d’action
L’un des premiers freins d’accès à l’eau ? Le manque d’infrastructure et la défaillance des services de distribution d’eau potable. De nombreuses catégories de population – les femmes, les personnes vivant dans les quartiers informels, dans des pays peu développés, etc. – sont plus largement affectées par le stress hydrique, et ces inégalités sont renforcées par le changement climatique. Comment améliorer efficacement l’accès à l’eau ? Un exemple en la matière : le projet « Eau, femmes et pouvoir de décisions ». Mis en place en 2005 à Diatokro (Côte d’Ivoire), il a permis de réduire durablement la vulnérabilité des femmes. Ce projet pilote a impliqué les femmes et les hommes dans la gestion des pompes hydrauliques de plusieurs villages2. En leur donnant les outils nécessaires à l’entretien et la gestion des points d’eau, le projet a connu un large succès, comme en démontre la création d’une Chaire UNESCO « Eau, femmes et pouvoir de décisions ». Grâce à d’autres actions d’éducation et de sensibilisation, la représentation des femmes dans les administrations a été renforcée, et les gains de temps offerts par un meilleur approvisionnement en eau ont été réinvestis dans des activités génératrices de revenus3.
L’autre levier prioritaire d’Adaptation est la sobriété. Cela concerne tous les usages de l’eau, par exemple, faut-il continuer à arroser les golfs avec de l’eau potable ? 70 % des prélèvements d’eau douce dans le monde sont utilisés pour l’agriculture4. S’il est crucial de fournir de l’eau douce à la population… il faut aussi la nourrir. Aujourd’hui, un tiers de la production globale de calories alimentaires est issu de cultures irriguées5. « Il est nécessaire de considérer l’efficience de l’eau en agriculture à l’échelle de chaque territoire, témoigne Nassim Ait Mouheb. Cela implique une réflexion systémique pour guider les choix politiques et de gouvernance. » Pour réduire l’usage de l’eau, de nombreuses mesures d’adaptation sont bien documentées : la réduction du labour, le mulch, le changement du calendrier de semis et de récoltes, le choix des cultures et leur diversification ont prouvé leur efficacité.
Il existe de nombreuses voies d’amélioration
L’irrigation est la mesure d’adaptation la plus fréquemment mise en œuvre en agriculture, et la plus efficace. Jusqu’à 35 % des productions agricoles mondiales pourraient basculer en système irrigué tout en impactant de façon limitée l’environnement. Si certains systèmes d’irrigation sont peu efficients (une grande partie de l’eau n’est pas utilisée par la plante), il serait possible de réduire de 76 % la consommation d’eau non utilisée – tout en préservant les rendements – en remplaçant les systèmes inefficaces. Allongement des intervalles d’irrigation, réduction de la durée d’arrosage, réduction des fuites, irrigation déficitaire… De nombreux leviers existent. « L’irrigation goutte-à-goutte peut atteindre jusqu’à 95 % d’efficience, complète Nassim Ait Mouheb. Mais elle n’est pas utilisable pour toutes les cultures et dépend des pratiques : au Maroc, nous constatons parfois une faible efficience en raison d’une sur-irrigation. » Il est possible de compléter le système par des sondes mesurant l’état hydrique du sol pour améliorer la précision de l’irrigation. « Nous constatons également que le passage au goutte-à-goutte diminue la consommation en eau à la parcelle… Et en retour, cela pousse les agriculteurs à étendre leurs parcelles. Au final, la consommation en eau reste la même, pointe Nassim Ait Mouheb. Le changement de pratiques doit impérativement s’accompagner de garde-fous. »
Penser l’impact environnemental des mesures d’adaptation
L’accès à l’eau potable est un enjeu sociétal et sanitaire majeur. Face au manque d’eau douce, de nouveaux modes d’approvisionnement émergent. « L’eau douce doit rester la ressource prioritaire pour produire de l’eau potable, mais le dessalement d’eau de mer est une solution d’adaptation dans les zones côtières où l’eau douce n’est pas disponible, explique Corinne Cabassud. Je pense à certaines zones rurales isolées, aux situations de crise ou encore aux deltas qui se salinisent en raison de la montée des mers liée au changement climatique. » Le dessalement est utilisé depuis les années 60. Entre 2010 et 2019, les capacités installées ont augmenté de 7 % par an6. La production quotidienne atteint environ 120 millions de m3 d’eau dessalée grâce à près de 20 000 usines en 2022. Elle pourrait dépasser 250 millions de m3 par jour en 20307. On trouve ces usines aux Émirats arabes Unis, en Arabie Saoudite, aux États-Unis, en Espagne ou encore en Algérie.
Mais le dessalement n’est pas une solution d’adaptation universelle. En cause ? Son impact environnemental. Une fois l’eau traitée, les saumures restantes – contenant des minéraux et des produits chimiques utilisés pendant les traitements – sont rejetées en mer, affectant localement la biodiversité. « Il existe de nombreuses voies d’amélioration : la dispersion en pleine mer avec des dispositifs adaptés, la concentration des saumures ou encore leur valorisation », commente Corinne Cabassud. Les principales retombées du dessalement sont liées aux quantités d’énergies nécessaires et aux émissions de gaz à effet de serre correspondantes. « En 2014, le secteur consommait 100 TWh, émettant 76 millions de tonnes de CO2 équivalent par an au niveau mondial », précise Corinne Cabassud. Soit 0,2 % des émissions totales de CO2 dans le monde.
L’utilisation d’énergies renouvelables est le levier principal d’amélioration du bilan environnemental du dessalement. « En 2018, seul 1 % des usines de dessalement étaient alimentées par énergies renouvelables », ajoute Corinne Cabassud. Aujourd’hui, les trois-quarts des usines de dessalement utilisent un procédé d’osmose inverse. Il nécessite de fortes pressions, qui pourraient être fournies par une énergie d’origine renouvelable comme le photovoltaïque, l’éolien ou l’énergie marémotrice. « L’évaporation thermique est un autre procédé de dessalement, peu utilisé aujourd’hui, complète Corinne Cabassud. L’énergie nécessaire pourrait être fournie par de l’énergie solaire thermique, comme un chauffe-eau solaire, améliorant beaucoup l’efficacité énergétique en comparaison de procédés d’osmose inverse alimentés par panneaux photovoltaïques. Cette technologie n’est pas encore au point : à Toulouse Biotechnology Institute, nous travaillons à l’améliorer. » Si elle n’est pas associée aux énergies renouvelables, la croissance attendue du dessalement provoquerait une augmentation de 180 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2040.
Dernière mesure d’adaptation importante : le REUT pour réutilisation (ou REUSE en anglais). La réutilisation des eaux usées consiste à traiter ces eaux en sortie de station d’épuration pour les réutiliser, et non les rejeter dans le milieu naturel. Cette mesure d’adaptation a pour principal intérêt de limiter les usages d’eau potable de bonne qualité, notamment celle des nappes d’eau souterraines. L’utilisation de la REUT est particulièrement intéressante pour l’agriculture. « Cela fait des milliers d’années que les eaux usées sont utilisées pour l’irrigation, rapporte Nassim Ait Mouheb. Ces eaux contiennent de l’azote, du phosphore et du potassium : elles enrichissent les sols agricoles et se substituent aux fertilisants minéraux. » En France, seul 1 % du volume d’eaux usées est réutilisé. Mais ce chiffre grimpe à 8 % en Italie, 12 % en Espagne ou 80 % en Israël8. Il est estimé que les quantités d’eaux usées produites chaque année à travers le monde représentent 15 % des prélèvements d’eau de l’agriculture. « Certains pays mélangent les différentes ressources en eau : conventionnelles, pluviales, eaux usées traitées, témoigne Nassim Ait Mouheb. C’est une mesure d’adaptation intéressante, pour peu que suffisamment d’eau soit laissée aux rivières en hiver et que le besoin soit suffisant pour faire face au coût plus élevé de cette ressource. »