Eau bleue et verte : pourquoi nous sommes tous concernés
- Si les politiques en matière d’eau se concentrent sur les sources d’eau visibles (eau bleue), la prise en compte de l’eau stockée dans le sol et la végétation (eau verte) est primordiale.
- L’eau verte est la plus grande contributrice d’eau douce au niveau mondial, et elle est nécessaire aux écosystèmes terrestres, qui peuvent absorber 25 à 30 % du dioxyde de carbone émis par les combustibles fossiles.
- L’eau évaporée d'une région d’un pays peut avoir un impact significatif sur les précipitations dans des régions éloignées, car les pays sont interconnectés en termes de cycle hydrologique.
- L’eau doit être reconnue comme un bien commun mondial, où les ressources en eau visibles, l’eau verte et les flux d’humidité atmosphérique d’un pays, impactent d’autres pays du monde.
- La COP29 a permis de poser les jalons d’un pacte mondial pour l’eau, en soulignant la nécessité de prendre en compte les enjeux liés à l’eau des populations autochtones, des jeunes et des migrants.
Il est impératif de s’attaquer à la crise de l’eau pour s’adapter au climat mondial. Les politiques actuelles en matière d’eau se concentrent principalement sur les sources d’eau visibles, ou « bleues », et négligent souvent le rôle essentiel de l’eau « verte », stockée dans le sol et la végétation, qui constitue environ 60 % des précipitations terrestres mondiales. Reconnaître l’eau comme un bien commun mondial est essentiel pour atteindre les objectifs climatiques et les objectifs de développement durable.
Lors de la COP29, les négociations visent à conclure des accords pour répondre de manière adéquate à la crise de l’eau ; toutefois, pour ce faire, une bonne compréhension du cycle hydrologique sous-jacent est nécessaire. L’eau, ou cycle hydrologique, est considéré comme « […] un système complexe composé de différents réservoirs qui interagissent avec d’autres composants du système terrestre, tels que l’atmosphère, la biosphère et la lithosphère, avec des forces variables et sur un large éventail d’échelles1 » et qui est régi par le rayonnement solaire et la gravité, l’eau se transformant en différents états (liquide, gaz, solide) et se déplaçant entre l’atmosphère, l’océan et la terre. L’évapotranspiration de l’eau part des terres et des masses d’eau, puis est transportée, condensée et finalement précipitée à nouveau sur la surface de la Terre.
Crise mondiale de l’eau
À l’échelle mondiale, nous sommes en train de déséquilibrer le cycle hydrologique. Le changement climatique induit par l’Homme, la déforestation et la perte de biodiversité modifient les régimes de précipitations. Avec l’augmentation de la température, le cycle s’intensifie et évapore plus d’eau, ce qui entraîne des phénomènes météorologiques plus extrêmes, tels que des précipitations extrêmes, des ouragans et des inondations côtières2.
Les politiques actuelles en matière d’eau se concentrent principalement sur les sources d’eau visibles, telles que les rivières et les océans (eau bleue), tout en négligeant souvent l’importance de l’eau verte. Pourtant, des preuves scientifiques montrent qu’environ 60 % des précipitations qui tombent sur la terre finissent par être stockées sous forme d’eau verte, ce qui indique en outre que l’eau verte est la plus grande contributrice d’eau douce au niveau mondial3. L’importance de l’eau verte est également abordée par Friedlingstein et al.4, qui soulignent que l’eau verte dans les sols est nécessaire aux écosystèmes terrestres, qui peuvent absorber 25 à 30 % du dioxyde de carbone émis par les combustibles fossiles.
La figure 1 ci-dessus représente le réseau mondial des flux d’humidité terrestre entre différentes régions, montrant à quel point notre monde est interconnecté par les rivières atmosphériques. Les flèches représentent la direction du flux d’humidité, à travers deux processus : l’évapotranspiration, processus par lequel l’eau est transférée de la terre à l’atmosphère par évaporation et transpiration (des plantes), et les précipitations, humidité qui retourne à la terre sous forme de pluie. Sur la carte, des points présentent également le centre géographique de chaque pays pour montrer que l’eau s’évapore et se précipite de chaque pays vers le reste du monde. Le réseau montre donc que les pays sont fortement interconnectés en ce qui concerne les flux d’humidité. Il s’agit d’une preuve scientifique que l’eau évaporée d’une région d’un pays peut avoir un impact significatif sur les précipitations dans des régions éloignées ; les pays sont encore plus interconnectés en termes de cycle hydrologique qu’on ne le pensait auparavant.
À l’instar des bassins fluviaux et des aquifères, l’humidité atmosphérique transporte l’eau d’un pays à l’autre, à travers les océans et les continents5, ce qui signifie que les rivières atmosphériques peuvent être suivies pour démontrer comment les activités économiques qui se déroulent dans une région ou un pays peuvent avoir un impact sur d’autres régions situées en aval.
Par exemple, l’évaporation de l’eau en Afrique de l’Ouest est transportée par le vent jusqu’à la forêt amazonienne (principalement au Brésil), où elle arrive sous forme de précipitations. Or, au cours de la dernière décennie, le Brésil a encouragé des politiques d’épuisement des ressources de la forêt amazonienne, qui entraînent une perte de disponibilité de l’eau verte à mesure que la capacité de la terre à stocker et à utiliser l’eau verte disparaît. Il y a donc moins d’eau verte qui peut s’évaporer dans la forêt amazonienne pour être transportée plus loin sous le vent vers les pays voisins. C’est le cas de pays comme la Colombie, qui dépendent fortement de l’eau de pluie pour la consommation et la production d’énergie, étant donné que l’épuisement des ressources au Brésil a entraîné une baisse du rendement de l’eau6.
L’interconnexion mondiale dans le cycle de l’eau est un fait, et cela signifie que nous devons commencer à aborder la crise de l’eau de manière holistique, où l’eau verte et l’eau bleue sont au premier plan des politiques et des pactes à l’échelle mondiale.
L’eau, un bien commun mondial
Si l’eau fait partie de ce système complexe appelé cycle hydrologique (ou cycle de l’eau), sa gestion nécessite un changement de perception. L’eau doit être de plus en plus considérée comme un bien commun mondial. Mais qu’implique exactement ce concept ?
Premièrement, reconnaître l’eau comme un bien commun mondial, c’est reconnaître que les communautés, les pays et les régions sont interconnectés, non seulement par des ressources en eau visibles (eau bleue, comme les rivières et les lacs), mais aussi par des flux d’humidité atmosphérique et de l’eau verte (eau stockée dans le sol et la végétation). Deuxièmement, ce changement place l’eau en haut de l’agenda international car il comprend que l’impact de l’Anthropocène sur le cycle hydrologique est intimement lié à la pression qu’il exerce sur d’autres processus alarmants tels que le changement climatique et la perte de biodiversité ; par exemple, un approvisionnement stable en eau verte est crucial pour absorber le dioxyde de carbone et soutenir les écosystèmes.
En outre, ce concept évite de traiter l’eau de manière cloisonnée lorsqu’il s’agit des objectifs du Millénaire pour le développement. La crise de l’eau n’est pas seulement un problème à résoudre dans le cadre de l’objectif du développement durable n°6 (ODD6), qui traite principalement de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène. L’eau est fondamentale pour atteindre pratiquement tous les objectifs du développement durable, car un cycle hydrologique déstabilisé menace la sécurité alimentaire, la stabilité économique, la santé publique et l’équité sociale, qui sont les pierres angulaires du développement durable7.
Le pacte mondial de l’eau
Lors de la COP29 à Bakou, les négociateurs ont eu une occasion unique de promouvoir une approche intégrée pour résoudre la crise de l’eau et de poser les jalons d’un pacte mondial unifié pour l’eau en adoptant la Déclaration de Bakou sur l’eau pour l’action climatique.
Le 19 novembre (journée consacrée à l’alimentation, à l’agriculture et à l’eau), des éléments clés ont été examinés en vue de l’élaboration de la déclaration. Un premier résultat crucial a été l’engagement à « […] promouvoir le dialogue et les partenariats en renforçant les synergies entre les COP et en soutenant le développement d’une politique d’action climatique collaborative et alignée8 ». Cet engagement constitue une étape importante dans l’établissement d’un pacte mondial pour l’eau, car il place le cycle hydrologique dans son ensemble au cœur du trio de Rio — la Convention Cadre des Nations Unies pour le Changement Climatique, la Convention sur la diversité biologique et la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. Après tout, nous savons que la sécurité, la conservation et la gestion durable de l’eau doivent être traitées intégralement pour atteindre les objectifs climatiques9.
La Déclaration sur l’eau pour l’action climatique a également fait de l’eau un élément fondamental de l’action climatique, puisqu’elle demande aux pays de s’engager à « […] intégrer efficacement les considérations relatives à l’eau dans la conception des politiques climatiques, y compris dans les Plans nationaux d’adaptation au changement climatique (PNACC), les Contributions déterminées au niveau national (CDN) et les plans de mise en œuvre associés, ainsi que les stratégies et plans d’action nationaux en matière de biodiversité (NBSAPs) […] ». La déclaration n’était pas explicite sur la nécessité de fixer des objectifs mondiaux clairs en matière de conservation de l’eau sous ses formes verte et bleue, limitant ainsi le soutien aux politiques internationales de quantification des progrès, un aspect crucial pour un Pacte mondial pour l’eau bien conçu10.
La Déclaration sur l’eau pour l’action climatique ne contient pas d’engagements financiers. Pour qu’un pacte mondial pour l’eau devienne une réalité, les pays et les institutions financières doivent s’engager à investir dans des infrastructures durables pour l’eau, des technologies innovantes et des efforts de conservation, ce que la déclaration ne soutient pas. En outre, le besoin de transparence et de responsabilité concernant l’eau et les utilisations liées aux ressources (telles que la déforestation et la production d’énergie) n’a pas été explicitement énoncé. Il est donc plus difficile de soutenir des propositions telles que la normalisation du processus de partage des données, la divulgation de l’empreinte verte et bleue de l’eau et les pratiques durables des entreprises en matière d’eau, qui facilitent la responsabilisation des entreprises en termes d’impact sur le cycle hydrologique11.
Une grande victoire en termes d’inclusion sociale a cependant été remportée dans le cadre de la déclaration sur l’eau pour l’action climatique. Les cinquante pays signataires se sont mis d’accord sur la nécessité d’intégrer les points de vue de communautés souvent marginalisées, telles que les populations autochtones, les migrants et les jeunes. Un pacte mondial pour l’eau aura intrinsèquement besoin de ces voix pour élaborer des politiques efficaces qui protègent les ressources locales en eau sous leurs formes bleues et vertes et respectent les connaissances traditionnelles, puisque les communautés autochtones sont les gardiennes des ressources naturelles et que les jeunes sont les héritiers des conséquences des politiques actuelles en matière d’eau12.
Quelle est la prochaine étape ?
Alors que les preuves scientifiques démontrent que le cycle hydrologique relie les pays et les régions bien plus profondément qu’on ne le pensait, un pacte mondial pour l’eau semble être le moyen le plus ambitieux, mais aussi le plus crucial, de s’attaquer à la crise de l’eau. La COP29 avait une occasion unique de lancer une feuille de route formelle vers un pacte mondial pour l’eau en soulignant le rôle de l’eau dans l’action climatique. Cette déclaration est loin d’être parfaite : elle ne promeut pas un cadre pour le financement de l’eau et du climat, et elle manque l’occasion de soutenir les objectifs fixés pour l’action climatique. Cependant, la déclaration soutient également la nécessité d’une collaboration entre les COP, promeut l’intégration de l’eau — implicitement à la fois bleue et verte — dans les plans de développement nationaux, et demande que la voix des peuples autochtones et des jeunes soit au premier plan du débat. Dans l’ensemble, la Déclaration sur l’eau pour l’action climatique signée à Bakou lors de la COP29 renforce l’élan que l’eau a pris ces dernières années à l’échelle internationale et, à l’approche de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (la COP clé pour l’action en faveur de l’eau), la communauté internationale devrait suivre de près les mesures que ces pays prendront pour continuer à accroître la visibilité de l’eau dans l’ordre du jour international.