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Biodiversité : comprendre la nature pour mieux la préserver

Le réensauvagement, une nouvelle approche pour protéger la biodiversité

Clémentine Mutillod, doctorante à l’Université d’Avignon au sein de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie et Simon Chollet, enseignant-chercheur à l’Université de Rennes et responsable du Master Gestion des Habitats et des Bassins Versants
Le 16 octobre 2024 |
5 min. de lecture
Clémentine Mutillod
Clémentine Mutillod
doctorante à l’Université d’Avignon au sein de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie
Simon_Chollet
Simon Chollet
enseignant-chercheur à l’Université de Rennes et responsable du Master Gestion des Habitats et des Bassins Versants
En bref
  • Le concept de réensauvagement est une innovation qui vise à protéger la biodiversité en remettant la notion d’autonomie des processus naturels au centre.
  • Il pourrait également aider la biodiversité à amortir les effets du réchauffement climatique.
  • Le concept pose la question éthique de la place de l’humanité dans notre conception de la nature.
  • De nombreuses approches du réensauvagement, passives et actives, existent avec ou sans l’intervention humaine.

La bio­di­ver­sité débute sa 6ème extinc­tion de masse, la pre­mière entière­ment causée par une seule espèce : l’Homme. Une extinc­tion de masse est définie comme la perte de plus des trois quarts des espèces dans un court laps de temps géologique. Les taux d’extinction actuels sont les plus rapi­des jamais observés1. Et il est désor­mais clair que cette extinc­tion con­cerne une grande par­tie du vivant : oiseaux, mam­mifères mais aus­si les invertébrés, qui dis­parais­sent à des taux encore plus rapi­des2.

Si pro­téger la bio­di­ver­sité est néces­saire, cela n’a pas suf­fi et restau­r­er les écosys­tèmes dégradés est désor­mais inévitable3. Ce con­stat n’est pas nou­veau : les Nations Unies ont adop­té une réso­lu­tion déclarant la décen­nie 2021–2030 comme celle de la restau­ra­tion des écosys­tèmes4. Après quelques années de débat sci­en­tifique, le con­cept de « réen­sauvage­ment » devient un nou­v­el out­il phare de pro­tec­tion de la nature.

« Le réen­sauvage­ment devient à la mode à la fin des années 1990, et explose depuis les années 2010 face à une époque où la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité devient de plus en plus tech­nocra­tique », expose Simon Chol­let. En 1998, deux éco­logues améri­cains pub­lient un pre­mier arti­cle5 men­tion­nant la notion de réen­sauvage­ment. Le con­cept repose sur 3 approches clés : de larges réserves stricte­ment pro­tégées, con­nec­tées et dans lesquelles des espèces clés de voûte sont réin­tro­duites. « À cette époque, on com­prend que de nom­breux écosys­tèmes sont con­trôlés par quelques espèces dites clés de voûte », témoigne Simon Chol­let. L’exemple phare est la réin­tro­duc­tion du loup dans le parc nation­al du Yel­low­stone (États-Unis) en 1995, 70 ans après sa dis­pari­tion. L’interaction de ce pré­da­teur avec cer­taines proies a déclenché des réac­tions en cas­cade6, affec­tant tout l’écosystème jusqu’à trans­former les paysages.

Un concept centré sur la biodiversité

Depuis, la déf­i­ni­tion du réen­sauvage­ment a évolué jusqu’à aboutir à un con­sen­sus en 20217. « Le réen­sauvage­ment remet la notion d’autonomie des proces­sus naturels au cen­tre, à l’inverse des effets actuels des activ­ités humaines qui anni­hi­lent l’autonomie de la nature », résume Simon Chol­let. Offrir à la nature la pos­si­bil­ité de se restau­r­er elle-même est une véri­ta­ble inno­va­tion dans le domaine de la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité8. Clé­men­tine Mutil­lod com­plète : « L’objectif du réen­sauvage­ment est de retrou­ver les fonc­tions ini­tiales d’un écosys­tème dégradé. À l’inverse d’autres approches de pro­tec­tion comme la restau­ra­tion écologique, le réen­sauvage­ment ne se focalise pas sur les espèces, notam­ment rares et pro­tégées : la com­po­si­tion spé­ci­fique de l’écosystème peut chang­er du moment que ses fonc­tions sont retrou­vées. Cela per­met de tenir compte de la dynamique du vivant. »

Face aux retombées des activ­ités humaines – dont le change­ment cli­ma­tique, le con­cept séduit. « L’idée ini­tiale n’était pas liée au change­ment cli­ma­tique, souligne Clé­men­tine Mutil­lod. Mais aujourd’hui, bon nom­bre de sci­en­tifiques font l’hypothèse que le réen­sauvage­ment pour­rait per­me­t­tre d’aider la bio­di­ver­sité à amor­tir les effets du change­ment cli­ma­tique. » Autre atout : redonner une place de choix à la bio­di­ver­sité, la plaçant sur un pied d’égalité avec les humains. « His­torique­ment, ce con­cept a séduit les acteurs de la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité qui en avaient assez de la notion de “ser­vice” », pointe Simon Chol­let. Les ser­vices écosys­témiques – les ser­vices ren­dus par les écosys­tèmes à l’humanité, garan­tis­sant son bien-être et son développe­ment – ont servi ces dernières années à jus­ti­fi­er l’importance de la pro­tec­tion de la nature. 

Pour­tant aujourd’hui, nom­bre d’arguments évo­qués par les sci­en­tifiques s’extraient de cette vision anthro­pocen­trique, dans laque­lle la nature est là unique­ment pour nous servir. Simon Chol­let ne tar­it pas d’arguments : « Pour la pre­mière fois depuis 4 mil­liards d’années, un mem­bre unique de la bio­di­ver­sité (les humains) con­duit au déclin du vivant. Enray­er ce phénomène relève d’une respon­s­abil­ité morale et éthique, c’est la rai­son prin­ci­pale pour laque­lle nous devons pro­téger la nature. » Le sci­en­tifique pour­suit : « Bien sûr, la nature nous est utile : sans elle, nous ne pou­vons pas vivre car elle nous four­nit beau­coup et notam­ment notre ali­men­ta­tion via les pollinisa­teurs. Mais son util­ité ne jus­ti­fie pas de la résumer à un ser­vice, la nature ne doit pas être sim­ple­ment con­sid­érée comme une pour­voyeuse pour nos activ­ités. »

La solution écologique, ou pas ?

Mais alors com­ment restau­r­er la nature grâce au réen­sauvage­ment ? La réponse est loin d’être unique, de nom­breuses approches exis­tent. Elles sont regroupées en deux grandes caté­gories : les approches pas­sives con­sis­tent à retir­er un max­i­mum de pres­sion humaine. Elles sont dévelop­pées notam­ment par les ges­tion­naires de forêts grâce aux réserves biologiques inté­grales depuis les années 60 – avant même que le con­cept de réen­sauvage­ment soit défi­ni ! Pour les approches actives, l’Homme inter­vient tou­jours, par exem­ple en réin­tro­duisant cer­taines espèces pré­da­tri­ces. Cer­tains poussent même le con­cept à l’extrême : comme le réen­sauvage­ment vise à restau­r­er les fonc­tions ini­tiales d’un écosys­tème dégradé, des sci­en­tifiques (notam­ment améri­cains et russ­es) imag­i­nent restau­r­er des écosys­tèmes fonc­tion­nels du Pléis­tocène, l’ère géologique précé­dant la nôtre ( ‑2,58 mil­lions d’années à ‑11 700 ans). Ces écosys­tèmes ont en effet été com­plète­ment boulever­sés par la dis­pari­tion de cer­tains méga-her­bi­vores (les mam­mouths par exem­ple), chas­sés par les Hommes.

« Le réen­sauvage­ment n’est que peu mis en appli­ca­tion pour le moment, mais c’est l’une des approches de con­ser­va­tion qui fait le plus réfléchir les sci­en­tifiques et les ges­tion­naires », témoigne Simon Chol­let. Dif­fi­cile par­fois de con­cili­er les con­séquences du réen­sauvage­ment avec les pop­u­la­tions locales. L’approche néces­site sou­vent de grandes zones exemptes de toute activ­ité humaine, ce qui peut déclencher des con­fits relat­ifs au fonci­er. Et la réin­tro­duc­tion de grands pré­da­teurs dans les approches actives peut con­duire à des col­li­sions avec les voitures ou des dégâts dans les éle­vages alen­tours. « À ce jour, l’efficacité du réen­sauvage­ment n’a été que peu éval­uée con­traire­ment à d’autres approches comme la restau­ra­tion écologique, explique Clé­men­tine Mutil­lod. Les résul­tats dépen­dent beau­coup du con­texte, mais dans l’ensemble les expéri­ences sont assez pos­i­tives pour rétablir l’écosystème dégradé. » Simon Chol­let com­plète : « Ce n’est pas une solu­tion mir­a­cle, mais cer­tains résul­tats sont bien con­nus, comme le rôle béné­fique des pré­da­teurs ou des grands her­bi­vores sur la bio­di­ver­sité. » Si le réen­sauvage­ment ne con­stitue pas la nou­velle norme de pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité, il devient une approche com­plé­men­taire aux méth­odes his­toriques des gestionnaires.

Anaïs Marechal
1Barnosky, A., Matzke, N., Tomiya, S. et al. Has the Earth’s sixth mass extinc­tion already arrived?. Nature471, 51–57 (2011). https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​3​8​/​n​a​t​u​r​e​09678
2Cowie RH, Bouchet P, Fontaine B. The Sixth Mass Extinc­tion: fact, fic­tion or spec­u­la­tion? Biol Rev Camb Phi­los Soc. 2022 Apr;97(2):640–663. doi: 10.1111/brv.12816. Epub 2022 Jan 10. PMID: 35014169; PMCID: PMC9786292.
3https://doi.org/10.1016/S0006-3207(99)00057–9
4 https://​doc​u​ments​.un​.org/​d​o​c​/​u​n​d​o​c​/​g​e​n​/​n​1​9​/​0​6​0​/​1​7​/​p​d​f​/​n​1​9​0​6​0​1​7.pdf
5Soule, M. & Noss, R. (1998). Com­ple­men­tary goals for con­ti­nen­tal con­ser­va­tionWild Earth8,  19–28.
6https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​b​i​o​c​o​n​.​2​0​1​1​.​11.00
7https://​con​bio​.onlineli​brary​.wiley​.com/​d​o​i​/​p​d​f​/​1​0​.​1​1​1​1​/​c​o​b​i​.​13730
8https://​doi​.org/​1​0​.​1​1​1​1​/​b​r​v​.​13046

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