Le péril silencieux des polluants éternels
- Les PFAS, qualifiés de polluants éternels, inquiètent la communauté scientifique en raison de leur toxicité persistante.
- Une enquête menée par de grands médias a établi une cartographie détaillée des dizaines de milliers de sites contaminés par les PFAS à travers l’Europe.
- Les industriels, qui ne bénéficient pas d’alternative satisfaisante, continuent d’utiliser les PFAS malgré leur nocivité connue.
- Une des solutions investiguées est la recherche d’une « bactérie dépolluante » capable de dégrader ces composés.
- La lutte contre les PFAS nécessite une approche pluridisciplinaire ; le CNRS a dédié un groupe de travail à leur détection et dépollution, ainsi qu’aux composés alternatifs.
- Innover en matière de solutions dépolluantes ne suffira pas, il est nécessaire de réglementer ces polluants éternels.
Les PFAS, des composés chimiques toxiques et persistants, ont envahi chaque recoin de notre planète. Si la communauté en sciences biologiques est mobilisée pour débusquer les micro-organismes potentiellement capables de les dégrader, la solution dépasse les frontières des laboratoires, appelant à une réponse collective et réglementaire.
Des chiffres alarmants témoignent de l’ampleur de la pollution : 1 433 ng/L au fond d’un puits du village béarnais de Monts, 1 546 ng/L à la sortie d’un forage de La Tremblade en face de l’Île d’Oléron, 2 399 ng/Kg dans des œufs de poules à proximité du bassin industriel de Pierre-Bénite au sud de Lyon. Ces relevés comptent parmi les sites français les plus contaminés par les PFAS, des polluants dits éternels qui inquiètent la communauté scientifique et au-delà, en raison de leur toxicité et de leur persistance dans l’environnement.
L’acronyme PFAS regroupe les substances per- et poly-fluoroalkylées. « Ces composés chimiques industriels entrent dans la composition de nombreux produits du quotidien, comme les plastiques d’emballages alimentaires et les batteries », détaille Stéphane Vuilleumier, microbiologiste et professeur à l’Université de Strasbourg. On les retrouve également dans les mousses anti-incendie, dans les procédés de production de papier ou de finition des textiles.
Les PFAS sont partout
Début 2023, un impressionnant travail d’enquête, mené par un consortium de grands médias européens tels que Le Monde et The Guardian, a permis d’établir une cartographie1 détaillée des sites contaminés par les PFAS à travers le continent. Leurs travaux lèvent le voile sur une pollution massive des eaux, des sédiments et des sols européens. Ils ont répertorié des dizaines de milliers de sites, dont un peu plus de 2 100 « hot spots », où la concentration dépasse largement les seuils jugés dangereux pour la santé (à savoir 100 ng/L).
Cette cartographie ne liste cependant que les sites testés ou identifiés comme particulièrement exposés et n’englobe que les substances les mieux connues (une dizaine). Or, le chercheur souligne la parution d’une nouvelle nomenclature qui classe désormais plusieurs millions de substances différentes2 dans cette catégorie, suggérant que la dissémination des PFAS est globalement sous-estimée. « Il n’existe a priori pas un seul endroit sur Terre qui n’ait pas de trace de PFAS », insiste le chercheur.
Malgré les preuves scientifiques de leur nocivité « même à de très faibles concentrations », ces substances continuent d’être largement produites et utilisées par les industriels, qui ne bénéficient pas d’alternatives satisfaisantes. Leurs effets délétères sur la santé humaine sont pourtant de mieux en mieux caractérisés, rappelle Stéphane Vuilleumier, « notamment sur le système immunitaire3 ou sur le plan hormonal, en agissant comme des perturbateurs endocriniens 4 ».
Un modèle de résistance à briser
Les PFAS sont qualifiés de polluants éternels, car ils ont la particularité d’être constitués d’une liaison carbone-fluor qui rend impossible leur biodégradation. « Il n’existe que très peu de composés organiques naturels qui contiennent du fluor » précise Michael Ryckelynck, biochimiste et professeur à l’Université de Strasbourg. En 2020, ce spécialiste de la microfluidique s’est associé avec Stéphane Vuilleumier pour trouver des bactéries capables de briser cette liaison, de défluorer. Le souci ? On estime aujourd’hui que plus d’un milliard d’espèces de bactéries différentes existe. Trouver la candidate idéale revient à rechercher une aiguille dans une botte de foin.
« Notre expertise en microfluidique nous permet, justement, d’accélérer les essais et les réactions en les miniaturisant dans des volumes de l’ordre du picolitre » décrit-il. Avec cette échelle d’expérience, les chercheurs peuvent analyser une très grande quantité d’échantillons en une seule étape. « Plutôt que de présélectionner des enzymes et des bactéries candidates pour ensuite les tester une par une, nous recherchons la fonction de défluoration dans un large échantillon (…), à raison de deux millions d’analyses par heure. » Ils ont ainsi créé un « pipeline d’analyse » dans lequel interagissent les bactéries candidates avec des PFAS et un détecteur de fluorure. Si une de ces bactéries est capable de dégrader le composé, un ion fluorure est alors dégagé. Celui-ci sera mis en évidence par fluorescence, permettant aux chercheurs d’identifier la bactérie responsable et de l’isoler pour l’étudier plus en détail ensuite.
La lutte sera collective ou ne sera pas
Leurs premiers travaux5 ont permis de démontrer l’efficacité du détecteur de défluoration. Ils s‘attachent désormais à analyser des échantillons environnementaux (qui proviennent préférentiellement de sites contaminés) et à améliorer les propriétés de dégradation de certaines des bactéries d’intérêt. L’ensemble de la communauté scientifique mondiale poursuit ce même objectif : trouver « la » bactérie anti-PFAS. Cependant, à elle seule, une technologie ne pourra suffire à résoudre le problème des PFAS. Une approche collaborative du sujet s’avère indispensable pour y parvenir. « Il faut associer notre méthode de détection avec des innovations issues d’autres laboratoires, plaide Michael Ryckelynck, comme les membranes d’adsorption6 [ndlr : pour capter et stocker les PFAS], ou d’autres approches de chimie physique permettant la dégradation de ces composés. »
Les enjeux économiques sont titanesques pour l’industrie
Cette interdisciplinarité s’est récemment concrétisée en France à l’initiative de la Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires du CNRS, avec un groupe de travail7 dédié aux sujets de détection et de dépollution des PFAS, ainsi qu’aux alternatives à ces composés. Chimistes, physiciens, biologistes, ingénieurs, sociologues, mathématiciens, etc. sont appelés à rejoindre ce bouillon de science, qui visera à accélérer l’innovation et l’émergence de solutions concrètes pour traiter le problème des PFAS à sa juste mesure.
Une réglementation nécessaire
Un colloque sera organisé en mars 2024 pour rassembler ce large éventail de disciplines et pour créer des interactions avec les industriels. Ces derniers « doivent faire partie de l’équation, insiste Stéphane Vuilleumier. Il faut bâtir avec eux une relation de confiance. » Les industriels représentent une porte d’accès privilégiée des scientifiques aux échantillons de sol, de sédiments ou d’eau à analyser et à traiter. Ils auront, par ailleurs, un intérêt à suivre les avancées scientifiques de près, pour ensuite évaluer des alternatives possibles à ces substances ou bien pour implémenter des prototypes de dépollution.
Pour autant, la tendance n’est pas encore à une diminution des usages, souligne le chercheur, « car les enjeux économiques sont titanesques pour l’industrie ». Les PFAS sont, en effet, au cœur de la machine productive mondiale : « l’accélération de la fabrication de batteries pour véhicules électriques qui sollicite ce type de substances, par exemple, ne va pas forcément faciliter l’émergence de solutions. » Pour autant, la potentielle future découverte de « bactéries dépolluantes » ne saurait devenir un prétexte pour continuer à polluer. Pour les chercheurs, il faut se poser la bonne question : sommes-nous prêts à nous passer des PFAS ? Ils plaident ainsi pour que la réglementation évolue, afin de faciliter le processus de transition. « Les décideurs doivent opérer une balance bénéfice/risque entre, d’un côté, l’impact financier que provoquerait une restriction de l’usage des PFAS et, de l’autre, le coût en termes de santé publique qu’entraînerait leur dissémination continue dans l’environnement. »
Quoi qu’il en advienne, la communauté scientifique se tient en ordre de marche, tant pour innover en matière de solutions dépolluantes, que pour éclairer la décision publique et enrayer la dispersion menaçante de ces polluants éternels.