Le mystère des tremblements de terre dans des zones dites « calmes »
- Si les séismes proviennent du choc des plaques tectoniques entre elles, certains peuvent aussi se produire à l’intérieur des plaques : ce sont les séismes intraplaques.
- Les séismes intraplaques restent mystérieux et peuvent se déclencher dans des endroits inattendus, avec des magnitudes plus ou moins fortes.
- Parmi les théories avancées pour expliquer l’origine de ces séismes, la plus récente concerne les petits phénomènes : érosion, pluies ou fonte glaciaire pourraient être des éléments déclencheurs.
- Il est nécessaire d’intensifier les recherches afin de comprendre ces séismes et d’être en mesure de calculer les risques futurs.
La surface de la Terre est découpée en différentes plaques tectoniques, sur lesquelles reposent océans et continents. Mouvantes, elles coulissent, s’entrechoquent ou se chevauchent. Les frontières de plaques se déforment, la pression s’accumule jusqu’à un « trop-plein » : elle est brusquement relâchée grâce à un glissement brutal le long des failles. Voilà l’origine bien comprise des tremblements de terre1. À l’intérieur des plaques tectoniques, on est loin de l’agitation des frontières de plaques, dans des zones supposées « calmes » et sans déformation… et pourtant des séismes ont lieu. Ils questionnent la communauté scientifique, qui propose de nouvelles théories pour expliquer l’origine de ces séismes. Exit la tectonique des plaques ? Érosion, circulation de fluides ou encore fonte des glaciers pourraient déclencher ces tremblements de terre.
Les séismes intraplaques
De quels tremblements de terre parle-t-on exactement ? Ces séismes – enregistrés loin des frontières de plaques tectoniques – sont qualifiés d’intraplaques. « Bien qu’on en connaisse sur tous les continents, ils sont assez disparates et nous les enregistrons seulement dans quelques zones du globe », décrit Éric Calais. En 2017, un séisme de magnitude 6,5 survient au Botswana, dans une zone sans mouvement tectonique a priori. En 1811–1812, quatre séismes intraplaques importants (magnitude 7 ou plus) secouent la région de New-Madrid le long du Mississippi aux États-Unis. Des séismes intraplaques ont également lieu au centre de l’Australie, au nord de la Suède ou encore en Guyane … mais aussi en France métropolitaine, une zone considérée comme intraplaque2. En 2019, un séisme de magnitude 4,9 dans la vallée du Rhône surprend la communauté scientifique. « Avant ce séisme, la sismicité enregistrée était relativement faible : 39 séismes ont été mesurés entre 1962 et 2018 dans cette zone, tous de magnitude faible (inférieure à 3), détaille Jean-François Ritz. La faille à l’origine de ce séisme n’était pas non plus identifiée comme une faille active, c’est-à-dire ayant le potentiel de générer des séismes. Elle semblait calme depuis 20 millions d’années ! »
« Les séismes intraplaques peuvent atteindre des magnitudes importantes, mais ils sont beaucoup plus rares que ceux situés aux frontières des plaques », précise Éric Calais. Depuis les premiers enregistrements sismiques en 1974, seule une vingtaine de séismes intraplaques importants (de magnitude au moins 6) sont dénombrés à travers le monde3. De plus anciens sont connus grâce aux archives historiques ou aux traces laissées dans les paysages géologiques. Autre particularité : leur fréquence. « En frontière de plaque, un même séisme tend à se répéter à une fréquence variable, par exemple quelques centaines d’années en Californie, poursuit Éric Calais. Ce comportement répétitif n’est pas observé pour les séismes intraplaques : certains semblent être des séismes “orphelins” sur des failles inactives depuis des millions d’années. »
Comprendre le séisme pour s’en protéger
Mieux comprendre ces séismes est fondamental : leur magnitude modérée à élevée les rend potentiellement très destructeurs. Ils affectent en effet des régions souvent mal préparées, et peuvent se déclencher à très faible profondeur. Le séisme du Teil – qui s’est produit à moins de 20 kilomètres de deux centrales nucléaires – s’est déclenché seulement 1 km sous terre4. Il a endommagé sérieusement 900 bâtiments, fait 3 blessés et provoqué une perte économique de plusieurs millions d’euros. En France, un zonage réglementaire impose des normes de construction parasismique pour le bâti. Il s’appuie sur la carte nationale d’aléa sismique, dans laquelle des séismes inattendus comme le séisme du Teil ne sont pas reflétés. « Depuis quelques années, la communauté scientifique a pris conscience que des séismes intraplaques peuvent survenir dans des lieux inattendus et que les modèles tectoniques sur lesquels se basent les calculs d’aléa sismique classiques ne permettent pas de refléter ce risque », raconte Éric Calais.
Des séismes intraplaques peuvent survenir dans des lieux inattendus et les modèles classiques ne permettent pas de refléter ce risque.
La recherche est active sur ce domaine car les implications sont importantes, comme l’écrivent des scientifiques français5 : « Ce manque de consensus […] conduit à des incertitudes importantes dans la caractérisation de la sismicité et de l’aléa sismique associé. » Pendant longtemps, la communauté scientifique a pensé que seule la tectonique des plaques expliquait ces séismes. L’intérieur des plaques se déformerait très légèrement, à des taux tellement faibles qu’il serait impossible de réellement les mesurer.
Petits phénomènes, grandes conséquences
Mais aujourd’hui une toute nouvelle explication est avancée. De petits phénomènes, très rapides à l’échelle des temps géologiques (quelques milliers d’années voire dizaines d’années), seraient à l’origine de ces séismes6. Il peut s’agir de la circulation de fluides : la pluie qui s’infiltre en surface ; ou encore des gaz ou liquides qui proviennent du manteau, à plusieurs dizaines de kilomètres de profondeur, et remontent à travers la plaque tectonique. Ils augmentent ainsi la pression à travers les roches jusqu’à déclencher des séismes intraplaques, comme cela est suggéré pour le séisme du Botswana en 20177.
Autres éléments déclencheurs : la fonte des glaciers ou encore l’érosion. En allégeant la surface de la Terre, ces phénomènes entraînent un léger mouvement de la plaque tectonique, similaire à un rebond. Pour le séisme du Teil, la fonte des glaciers à la fin de la dernière glaciation importante (il y a 12 000 ans) est proposée comme l’une des hypothèses8. « Le rapport d’expertise sur le séisme du Teil9 conclut qu’il est possible que l’extraction de roches – allégeant elle aussi la croûte terrestre – au niveau d’une carrière proche ait contribué au déclenchement du séisme, ajoute Jean-François Ritz. Il est cependant clair que ce sont les forces tectoniques qui expliquent sa magnitude. »
Si ces petits phénomènes sont la clé de la nouvelle théorie, ils ne sont en effet pas seuls en jeu. « Ils sont les éléments déclencheurs du séisme, mais il faut bien comprendre que ce sont les faibles contraintes accumulées – parfois depuis plusieurs millions d’années – qui sont le moteur du séisme, ajoute Éric Calais. Sans élément déclencheur, ces contraintes restent en réserve et aucun séisme n’aurait lieu. » À une échelle de millions voire dizaines de millions d’années, les mouvements des plaques tectoniques fluctuent : certaines plaques changent de direction, d’autres se morcellent, ou se stabilisent … Ces anciennes déformations qu’elles subissent constituent ce « réservoir de contraintes » réparti à travers la plaque tectonique. « Nos observations sur la faille ayant généré le séisme du Teil suggèrent que la fonte des glaces ou l’érosion peuvent aussi générer des séismes réguliers, mais à des fréquences très longues de l’ordre de 10 000 ans10 », pointe également Jean-François Ritz.
Reste que les séismes intraplaques sont peu nombreux, il est donc difficile de quantifier leur comportement. Les chercheurs les reproduisent dans des simulations numériques, mais il est compliqué d’identifier de façon claire le rôle de chaque phénomène (tectonique des plaques, érosion, circulation de fluides, etc.). Les retombées sont importantes, comme le décrit Éric Calais : « Avec ces séismes spéciaux, il est très compliqué de calculer des risques futurs, d’autant plus qu’ils peuvent parfois n’avoir lieu qu’une seule fois à un endroit donné. Nous manquons d’indicateurs objectifs pour évaluer la sismicité intraplaque future. » En France, les travaux se poursuivent autour du séisme du Teil à la recherche de traces de séismes passés. « Nous pouvons raisonnablement penser que la faille où s’est déclenché ce séisme va rester calme un bout de temps, mais d’autres failles existent dans la zone, conclut Jean-François Ritz. Je ne doute pas qu’une réévaluation de l’aléa sismique régional sera réalisée d’ici quelques années, il faut lancer beaucoup plus de recherches et d’observations dans ce domaine, et revoir notre copie ! »