« Le changement climatique est 20% plus rapide en Méditerranée »
Avec les régions polaires, la Méditerranée est l’une des régions du monde les plus touchées par les effets du changement climatique. Les températures y augmentent 20% plus vite qu’ailleurs, et sont déjà supérieures de 1,5°C aux températures préindustrielles. Pour chaque degré gagné, on observe une hausse subséquente d’environ 4% des précipitations. Cette évolution a un effet paradoxal sur le climat : les précipitations deviennent plus extrêmes, et les périodes de sécheresse beaucoup plus longues – avec 10 à 30 % de précipitations estivales en moins.
Les projections les plus pessimistes prévoient une augmentation des températures de 6,5 °C d’ici la fin du siècle. Le niveau de la mer, qui a déjà augmenté de 6 cm au cours des 20 dernières années, devrait donc encore augmenter de 90 cm d’ici à 2100. Les prélèvements effectués en mer Méditerranée montrent également une augmentation de la salinité et une acidification. Sans parler de la prolifération d’espèces invasives terrestres et marines, et de leurs répercussions sur la biodiversité locale.
L’heure est donc venue de trouver des solutions proactives pour préserver la région. En novembre 2020, le réseau indépendant d’experts méditerranéens sur le changement climatique et environnemental (MedECC), fondé en 2015, a publié le rapport « Climate and Environmental Change in the Mediterranean Basin Current Situation and Risks for the Future 1st Mediterranean Assessment Report » 1. Le MedECC combine les efforts de 190 experts, dont je suis, provenant de 43 pays de l’UE, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Appelé MAR1, le rapport décrit les problèmes climatiques et environnementaux spécifiques à la Méditerranée, et ce à quoi il faut s’attendre dans les années à venir.
La transition énergétique en Méditerranée
Dans le chapitre de MAR1 consacré à la transition énergétique, que j’ai coordonné via le Centre interdisciplinaire Energy4Climate 2 et l’Institut Pierre Simon Laplace 3, nous montrons que la Méditerranée est une région qui n’est responsable que d’une part relativement faible des émissions mondiales de gaz à effet de serre – à peine 6 %. Pourtant, la région est fortement affectée par leurs effets.
Le changement climatique devrait altérer la production d’énergie en Méditerranée (en raison des impacts sur les ressources et les infrastructures) et sa consommation (par une diminution de la demande de chauffage et une augmentation des besoins de refroidissement). Nous prévoyons également que les combustibles fossiles resteront la principale source d’énergie jusqu’en 2040, et qu’ils seront progressivement remplacés par d’autres technologies. Les chiffres montrent que la part des énergies renouvelables va tripler pour atteindre jusqu’à 27 % du mix global. Le réchauffement de la région devrait cependant entraîner des pertes dans la production de certaines énergies renouvelables. L’impact de ces pertes sera marginal si le réchauffement de la planète ne dépasse pas 2°C (comme défini dans l’Accord de Paris), mais il se détériorera radicalement si les températures dépassent 2°C.
La capacité de production des centrales hydroélectriques et thermoélectriques traditionnelles devrait également se détériorer, en raison de la baisse du débit des cours d’eau et de la hausse de la température de la surface de la mer, qui pourrait encore augmenter de 1 à 4 °C d’ici la fin du siècle.
Améliorer l’efficacité énergétique et déployer les énergies renouvelables à grande échelle va donc devenir nécessaire pour réduire les tensions en matière de sécurité énergétique pour les pays importateurs, d’améliorer les opportunités pour les pays exportateurs et de réduire les coûts de l’énergie ainsi que les dommages environnementaux pour toute la région. Même si la transition n’est pas acquise, la région dispose d’un grand potentiel pour l’énergie propre, en particulier l’énergie solaire.
Pour réussir sa transition énergétique à grande échelle, la région aura besoin d’une plus grande collaboration entre les pays concernés, afin de mettre en place des politiques énergétiques plus inclusives. Il existe d’ailleurs déjà des initiatives de collaboration régionale, notamment autour des instances de régulation du marché de l’énergie comme MEDREG et MEDSO, ou MEDENER, une agence axée sur les politiques environnementales et énergétiques du pourtour méditerranéen.
Des efforts comme ceux-ci encourageront, nous l’espérons, les pays à se détourner des combustibles fossiles, tout en contribuant à créer des emplois et à améliorer le bien-être des populations.
Améliorer l’efficacité énergétique et déployer les énergies renouvelables à grande échelle va donc devenir nécessaire.
Changer les pratiques locales
La Méditerranée est donc, du fait de sa position géographique, un « point chaud », où les effets du réchauffement climatique sont amplifiés. Mais le rapport MAR1 évoque également d’autres problèmes spécifiques au bassin méditerranéen, notamment en ce qui concerne la mer, dont le niveau monte et dont l’eau s’acidifie. Sur terre, on observe également une augmentation de la durée et de l’amplitude des vagues de chaleur, ainsi qu’une diminution des précipitations estivales dans certaines régions, ce qui entraîne une augmentation des pénuries d’eau et une désertification.
Mais les changements sont également dus à la croissance démographique, à la pollution de l’air, des sols, des rivières et des océans, ainsi qu’aux pratiques non durables d’exploitation des sols et de la mer. Combinés, ces effets ont de nombreuses conséquences, telles que la dégradation des ressources naturelles, la réduction de la disponibilité de l’eau douce, l’altération du confort thermique et l’augmentation des risques pour la santé humaine. Les personnes les plus touchées seront les populations défavorisées et vulnérables. Les conflits provoqués par la raréfaction des ressources et les migrations humaines risquent en effet d’augmenter en raison de la sécheresse et de la détérioration des ressources agricoles et halieutiques, mais également en raison de facteurs socioéconomiques et politiques.
MAR1 jette donc les bases nécessaires à la mise en place d’une réflexion à l’échelle de la région, afin de répondre correctement aux grandes questions à venir : comment la région peut-elle s’adapter au changement climatique ? De quelles informations a‑t-on besoin pour déterminer les futures politiques climatiques de la région ? La situation du bassin méditerranéen peut-elle devenir plus durable ?
MAR1 : la COP de la Méditerranée
Le MAR1 présente des similitudes avec les rapports produits par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui a rédigé cinq rapports d’évaluation entre 1990 et 2013, et dont le dernier a servi base pour les négociations de l’Accord de Paris en 2015 4. Comme pour le GIEC, le MedECC produit une évaluation qui fournit des informations pertinentes aux décideurs politiques, mais qui n’est pas prescriptive et ne présente pas de recommandations sur les actions à mener. De plus, le MAR1 se concentre sur l’adaptation au changement climatique plutôt que sur son atténuation, qui doit elle être traitée à l’échelle mondiale.
En tant que collectif, le MedECC a reçu le Prix Nord-Sud du Conseil de l’Europe 5. Il s’agit d’un prix qui récompense notamment des personnes pour leurs efforts en matière de protection des droits de l’Homme – une version européenne du prix Nobel de la Paix, pourrait-on dire. Cette année a été l’une des rares fois où il a été décerné à un groupe plutôt qu’à un individu.