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Le changement climatique entraînera une augmentation des séismes

Christophe Larroque
Christophe Larroque
enseignant-chercheur à l'Université de Reims-Champagne Ardenne et au laboratoire Géoazur (CNRS/OCA/UniCA/IRD)
Marco Bohnoff
Marco Bohnhoff
professeur de sismologie expérimentale et de forage à la Freie Universität de Berlin
En bref
  • Pendant des décennies et des siècles, le réchauffement climatique continuera d’accélérer le déclenchement de certains séismes.
  • Les conditions météorologiques influencent l’activité sismique : en 2020, la tempête Alex a provoqué des précipitations intenses dans le Sud-Est de la France, entraînant, dans les 100 jours suivants, 188 séismes de magnitude 2 dans le parc national du Mercantour.
  • La relation entre météo et sismicité repose sur divers mécanismes, où de petites variations de contraintes peuvent suffire à déclencher des tremblements de terre.
  • Le réchauffement climatique intensifie ces phénomènes météorologiques en augmentant les températures à la surface terrestre, accélérant la fonte des glaciers, et accentuant les précipitations extrêmes, les cyclones et la montée du niveau des mers.
  • Il est donc urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter les séismes liés au changement climatique.

Chaque année à tra­vers le monde, plusieurs dizaines de séismes majeurs1 se pro­duisent. Ces évène­ments peu­vent causer la mort2 de cen­taines de mil­liers de per­son­nes, comme récem­ment en 2010 (226 000 décès) et 2004 (227 000 décès). Les trem­ble­ments de terre sont déclenchés lors d’un glisse­ment abrupt le long d’une faille – une frac­ture – dans la croûte ter­restre, c’est-à-dire les pre­miers kilo­mètres sous nos pieds. Ce glisse­ment survient lorsque les con­traintes sur la faille dépassent un seuil de rup­ture, notam­ment en rai­son des mou­ve­ments des plaques tec­toniques. Mais depuis quelques années, un sujet de recherche émerge par­mi la com­mu­nauté sci­en­tifique : le change­ment cli­ma­tique causé par les activ­ités humaines pour­rait-il influ­encer les séismes ?
 
« La per­tur­ba­tion causée par les activ­ités humaines est telle­ment intense et éten­due qu’elle est mar­quée à l’échelle de toute la planète, on par­le même d’Anthropocène, souligne Christophe Lar­roque. L’impact sur la sis­mic­ité nous ques­tionne. » Mar­co Bohn­hoff com­mente : « Le sujet est nou­veau et il y a très peu de groupes de recherche qui tra­vail­lent dessus, mais l’attention est crois­sante. » En mai dernier, Mar­co Bohn­hoff et ses col­lègues résu­ment dans un arti­cle les con­nais­sances actuelles3 : pen­dant plusieurs décen­nies et siè­cles, les activ­ités humaines vont mod­i­fi­er l’horloge sis­mique des failles, déclen­chant un nom­bre crois­sant de petits et grands trem­ble­ments de terre. En clair : sur les failles au bord de la rup­ture, prêtes à gliss­er et à génér­er un séisme, le change­ment cli­ma­tique pour­ra être l’élément déclencheur, accélérant donc la sur­v­enue du séisme.

L’influence de la météo sur les tremblements de terre

Il est désor­mais clair que la météo influ­ence les séismes. En 2020, la France est bal­ayée par la tem­pête Alex, qui génère de très impor­tants cumuls de pluie dans le Sud-Est, jusqu’à 600 mm en moins de 24 heures. Dans les 100 jours suiv­ants, 188 séismes de mag­ni­tude 2 au max­i­mum – une mag­ni­tude trop faible pour être ressen­tie par la pop­u­la­tion – sont enreg­istrés dans la val­lée de la Tinée, dans le parc nation­al du Mer­can­tour4. « C’est une obser­va­tion sig­ni­fica­tive : en trois mois dans cette zone, nous avons enreg­istré autant de séismes que nous en avions eu en 5 ans », pointe Christophe Lar­roque.
 
Les pre­mières obser­va­tions de l’influence de la météo sur la sis­mic­ité remon­tent au début des années 2000. En France, en 2002, après des pré­cip­i­ta­tions aus­si intens­es que lors de la tem­pête Alex, une aug­men­ta­tion de l’activité sis­mique est enreg­istrée dans les mois qui suiv­ent dans l’ouest de la Provence5. En 2005, une série inhab­ituelle de 47 séismes est enreg­istrée en l’espace seule­ment de 12 heures dans le cen­tre de la Suisse, suite à des pré­cip­i­ta­tions intens­es (300 mm de pluie en 3 jours)6. Autre exem­ple : au Népal, une équipe relève un nom­bre de séismes plus faible en été (-37 %) qu’en hiv­er, sug­gérant ain­si un effet de la mous­son sur la sis­mic­ité7.

Les exem­ples con­cer­nent aus­si d’autres évène­ments météo. Par exem­ple, la Cal­i­fornie est mar­quée par une alter­nance de saisons sèch­es et humides lors desquelles la neige et l’eau s’accumulent dans les mon­tagnes, les lacs et réser­voirs. Il a été mon­tré que cette saison­nal­ité mod­i­fie les taux de sis­mic­ité dans la région8. Et en Turquie, les oscil­la­tions du niveau de la mer de Mar­mara – asso­ciées à la vari­a­tion des saisons – sont aus­si cor­rélées avec le nom­bre de séismes9. « Jusqu’à présent, les séismes cor­rélés avec des évène­ments météorologiques sont essen­tielle­ment de faible mag­ni­tude – cela n’exclut pas d’éventuels séismes de mag­ni­tude plus forte dans le futur, pré­cise Christophe Lar­roque. Cela pose de vrais chal­lenges d’observation puisqu’il faut déploy­er un réseau d’enregistrement sis­mologique de bonne qual­ité pour enreg­istr­er pré­cisé­ment ces petits séismes. Ces dernières années, l’amélioration et la mul­ti­pli­ca­tion des réseaux sis­mologiques a per­mis d’améliorer notre com­préhen­sion. »

Les mécanismes impliqués dans la relation entre les conditions météorologiques et les tremblements de terre

Quels mécan­ismes expliquent cette cor­réla­tion entre la météo et la sis­mic­ité ? « Plusieurs proces­sus sont en jeu, il est com­pliqué de les dis­crim­in­er », répond Christophe Lar­roque. Con­cer­nant la tem­pête Alex, Christophe Lar­roque et ses col­lègues vien­nent de pub­li­er une analyse inédite, à la croisée de dif­férentes dis­ci­plines. « Nous avons relo­cal­isé pré­cisé­ment les séismes, retracé leur migra­tion au cours du temps, et mod­élisé dif­férentes hypothès­es pour com­pren­dre les proces­sus en jeu », retrace Christophe Lar­roque. Ain­si, l’équipe mon­tre que la pluie a généré une sur­pres­sion de flu­ide qui s’est propagée en pro­fondeur – on par­le d’un front de pres­sion – jusqu’à désta­bilis­er une faille déjà sous con­trainte. La faille s’est alors mise à gliss­er (de façon asis­mique) jusqu’à déclencher de petits essaims de séismes.
 
Il faut bien com­pren­dre que de petites vari­a­tions des con­traintes peu­vent suf­fire à déclencher des séismes. Si le front de pres­sion généré par la tem­pête Alex est à l’origine de la sis­mic­ité inhab­ituelle dans la région, les évène­ments météorologiques peu­vent mod­i­fi­er locale­ment les con­traintes par d’autres mécan­ismes. Une étude s’est intéressée aux effets du typhon Morakot à Taïwan en 200910. Les pré­cip­i­ta­tions intens­es ont provo­qué plus de 10 000 glisse­ments de ter­rain et un trans­port très impor­tant de roches et sédi­ments dans les riv­ières. Ces déplace­ments de mass­es en sur­face ont aug­men­té les con­traintes sur les failles, expli­quant la hausse impor­tante de la fréquence des séismes super­fi­ciels durant deux ans et demi après le pas­sage du typhon. Autre exem­ple : en Cal­i­fornie, les vari­a­tions saison­nières de la sis­mic­ité sont liées prin­ci­pale­ment aux con­traintes générées par le poids de l’eau accu­mulée en sur­face pen­dant la sai­son humide11.
 
Or, tous ces évène­ments météorologiques sont, et encore plus à l’avenir, influ­encés par le change­ment cli­ma­tique lié aux activ­ités humaines. La hausse des tem­péra­tures à la sur­face de la Terre provoque une fonte rapi­de des calottes glaciaires, aug­mente l’intensité des pré­cip­i­ta­tions extrêmes et des cyclones, ain­si que le niveau glob­al des mers12. Tous ces change­ments de sur­face mod­i­fient locale­ment les con­traintes sur les failles.
 
Dans la pénin­sule coréenne, l’étude des trem­ble­ments de terre au cours des derniers 650 000 ans met en évi­dence une cor­réla­tion entre la sis­mic­ité et la fin des dif­férentes péri­odes glaciaires : à chaque déglacia­tion, la fonte des glaces provoque une hausse rapi­de du niveau marin et une aug­men­ta­tion de l’activité sis­mique dans la région13. Alors que le niveau marin glob­al s’est déjà élevé de 0,2 m depuis 1901 et pour­rait attein­dre 1 m de plus d’ici 2100, les con­séquences pour­raient être impor­tantes. Cer­tains esti­ment qu’une hausse de 1 m pour­rait aug­menter la pres­sion sur l’ensemble des océans (soit 70 % de la sur­face du globe) de façon suff­isante pour déclencher des séismes sur de nom­breuses failles déjà proches de la rup­ture. « La hausse du niveau des mers va dans la majorité des cas accélér­er la sur­v­enue des séismes, et dans d’autres cas la retarder, con­clut Mar­co Bohn­hoff. Dans ce cas, plus d’énergie s’accumulera sur les failles et les séismes seront alors plus forts. Cela affectera les pop­u­la­tions qui vivent sur le lit­toral, il est urgent de réduire les émis­sions de gaz à effet de serre pour lim­iter le nom­bre de séismes causé par le change­ment cli­ma­tique. »

Anaïs Marechal




 

1“Data Page: Num­ber of sig­nif­i­cant earth­quakes”, part of the fol­low­ing pub­li­ca­tion: Han­nah Ritchie and Pablo Rosa­do (2022) – “Nat­ur­al Dis­as­ters”. Data adapt­ed from Nation­al Geo­phys­i­cal Data Cen­ter / World Data Ser­vice. Retrieved from https://​our​worldin​da​ta​.org/​g​r​a​p​h​e​r​/​s​i​g​n​i​f​i​c​a​n​t​-​e​a​r​t​h​q​uakes [online resource]
2“Data Page: Deaths from earth­quakes”, part of the fol­low­ing pub­li­ca­tion: Han­nah Ritchie and Pablo Rosa­do (2022) – “Nat­ur­al Dis­as­ters”. Data adapt­ed from Nation­al Geo­phys­i­cal Data Cen­ter / World Data Ser­vice. Retrieved from https://​our​worldin​da​ta​.org/​g​r​a​p​h​e​r​/​e​a​r​t​h​q​u​a​k​e​-​d​eaths [online resource]
3Mar­co Bohn­hoff, Patri­cia Martínez-Garzón, Yehu­da Ben-Zion; Glob­al Warm­ing Will Increase Earth­quake Haz­ards through Ris­ing Sea Lev­els and Cas­cad­ing Effects. Seis­mo­log­i­cal Research Let­ters, 2024; 95 (5): 2571–2576. doi: https://​doi​.org/​1​0​.​1​7​8​5​/​0​2​2​0​2​40100
4Jacque­mond, L., Godano, M., Cap­pa, F., & Lar­roque, C. (2024). Inter­play between flu­id intru­sion and aseis­mic stress per­tur­ba­tions in the onset of earth­quake swarms fol­low­ing the 2020 Alex extreme rain­storm. Earth and Space Sci­ence, 11,e2024EA003528, https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​2​9​/​2​0​2​4​E​A​0​03528
5Alex­is Rigo, Nicole Béthoux, Frédéric Mas­son, Jean-François Ritz, Seis­mic­i­ty rate and wave-veloc­i­ty vari­a­tions as con­se­quences of rain­fall: The case of the cat­a­stroph­ic storm of Sep­tem­ber 2002 in the Nîmes Fault region (Gard, France), Geo­phys­i­cal Jour­nal Inter­na­tion­al, Vol­ume 173, Issue 2, May 2008, Pages 473–482, https://doi.org/10.1111/j.1365–246X.2008.03718.x
6S. Husen, C. Bach­mann, D. Gia­r­di­ni, Local­ly trig­gered seis­mic­i­ty in the cen­tral Swiss Alps fol­low­ing the large rain­fall event of August 2005, Geo­phys­i­cal Jour­nal Inter­na­tion­al, Vol­ume 171, Issue 3, Decem­ber 2007, Pages 1126–1134, https://doi.org/10.1111/j.1365–246X.2007.03561.x
7Bollinger, L.,  F. Per­ri­er,  J.-P. Avouac,  S. Sap­ko­ta,  U. Gau­tam, and  D. R. Tiwari (2007), Sea­son­al mod­u­la­tion of seis­mic­i­ty in the Himalaya of Nepal, Geo­phys. Res. Lett.,  34, L08304, doi:10.1029/2006GL029192.
8Bollinger, L.,  F. Per­ri­er,  J.-P. Avouac,  S. Sap­ko­ta,  U. Gau­tam, and  D. R. Tiwari (2007), Sea­son­al mod­u­la­tion of seis­mic­i­ty in the Himalaya of Nepal, Geo­phys. Res. Lett.,  34, L08304, doi:10.1029/2006GL029192.
9Martínez-Garzón, P.,  Beroza, G. C.,  Boc­chi­ni, G. M., &  Bohn­hoff, M. (2023).  Sea lev­el changes affect seis­mic­i­ty rates in a hydrother­mal sys­tem near Istan­bul. Geo­phys­i­cal Research Let­ters,  50, e2022GL101258. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​2​9​/​2​0​2​2​G​L​1​01258
10Steer, P., Jean­det, L., Cubas, N. et al. Earth­quake sta­tis­tics changed by typhoon-dri­ven ero­sion. Sci Rep 10, 10899 (2020). https://doi.org/10.1038/s41598-020–67865‑y
11John­son, C. W.,  Fu, Y., &  Bürgmann, R. (2017).  Stress mod­els of the annu­al hydros­pher­ic, atmos­pher­ic, ther­mal, and tidal load­ing cycles on Cal­i­for­nia faults: Per­tur­ba­tion of back­ground stress and changes in seis­mic­i­ty. Jour­nal of Geo­phys­i­cal Research: Sol­id Earth, 122,  10,605–10,625. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​0​2​/​2​0​1​7​J​B​0​14778
12IPCC, 2023: Sum­ma­ry for Pol­i­cy­mak­ers. In: Cli­mate Change 2023: Syn­the­sis Report. Con­tri­bu­tion of Work­ing Groups I, II and III to the Sixth Assess­ment Report of the Inter­gov­ern­men­tal Pan­el on Cli­mate Change [Core Writ­ing Team, H. Lee and J. Romero (eds.)]. IPCC, Gene­va, Switzer­land, pp. 1–34, doi: 10.59327/IPCC/AR6-9789291691647.001
13Man-Jae Kim, Hee-Kwon Lee, Long-term pat­terns of earth­quakes influ­enced by cli­mate change: Insights from earth­quake recur­rence and stress field changes across the Kore­an Penin­su­la dur­ing inter­glacial peri­ods, Qua­ter­nary Sci­ence Reviews, Vol­ume 321, 2023, 108369, ISSN 0277–3791, https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​q​u​a​s​c​i​r​e​v​.​2​0​2​3​.​1​08369.

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