Le changement climatique entraînera une augmentation des séismes
- Pendant des décennies et des siècles, le réchauffement climatique continuera d’accélérer le déclenchement de certains séismes.
- Les conditions météorologiques influencent l’activité sismique : en 2020, la tempête Alex a provoqué des précipitations intenses dans le Sud-Est de la France, entraînant, dans les 100 jours suivants, 188 séismes de magnitude 2 dans le parc national du Mercantour.
- La relation entre météo et sismicité repose sur divers mécanismes, où de petites variations de contraintes peuvent suffire à déclencher des tremblements de terre.
- Le réchauffement climatique intensifie ces phénomènes météorologiques en augmentant les températures à la surface terrestre, accélérant la fonte des glaciers, et accentuant les précipitations extrêmes, les cyclones et la montée du niveau des mers.
- Il est donc urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter les séismes liés au changement climatique.
Chaque année à travers le monde, plusieurs dizaines de séismes majeurs1 se produisent. Ces évènements peuvent causer la mort2 de centaines de milliers de personnes, comme récemment en 2010 (226 000 décès) et 2004 (227 000 décès). Les tremblements de terre sont déclenchés lors d’un glissement abrupt le long d’une faille – une fracture – dans la croûte terrestre, c’est-à-dire les premiers kilomètres sous nos pieds. Ce glissement survient lorsque les contraintes sur la faille dépassent un seuil de rupture, notamment en raison des mouvements des plaques tectoniques. Mais depuis quelques années, un sujet de recherche émerge parmi la communauté scientifique : le changement climatique causé par les activités humaines pourrait-il influencer les séismes ?
« La perturbation causée par les activités humaines est tellement intense et étendue qu’elle est marquée à l’échelle de toute la planète, on parle même d’Anthropocène, souligne Christophe Larroque. L’impact sur la sismicité nous questionne. » Marco Bohnhoff commente : « Le sujet est nouveau et il y a très peu de groupes de recherche qui travaillent dessus, mais l’attention est croissante. » En mai dernier, Marco Bohnhoff et ses collègues résument dans un article les connaissances actuelles3 : pendant plusieurs décennies et siècles, les activités humaines vont modifier l’horloge sismique des failles, déclenchant un nombre croissant de petits et grands tremblements de terre. En clair : sur les failles au bord de la rupture, prêtes à glisser et à générer un séisme, le changement climatique pourra être l’élément déclencheur, accélérant donc la survenue du séisme.
L’influence de la météo sur les tremblements de terre
Il est désormais clair que la météo influence les séismes. En 2020, la France est balayée par la tempête Alex, qui génère de très importants cumuls de pluie dans le Sud-Est, jusqu’à 600 mm en moins de 24 heures. Dans les 100 jours suivants, 188 séismes de magnitude 2 au maximum – une magnitude trop faible pour être ressentie par la population – sont enregistrés dans la vallée de la Tinée, dans le parc national du Mercantour4. « C’est une observation significative : en trois mois dans cette zone, nous avons enregistré autant de séismes que nous en avions eu en 5 ans », pointe Christophe Larroque.
Les premières observations de l’influence de la météo sur la sismicité remontent au début des années 2000. En France, en 2002, après des précipitations aussi intenses que lors de la tempête Alex, une augmentation de l’activité sismique est enregistrée dans les mois qui suivent dans l’ouest de la Provence5. En 2005, une série inhabituelle de 47 séismes est enregistrée en l’espace seulement de 12 heures dans le centre de la Suisse, suite à des précipitations intenses (300 mm de pluie en 3 jours)6. Autre exemple : au Népal, une équipe relève un nombre de séismes plus faible en été (-37 %) qu’en hiver, suggérant ainsi un effet de la mousson sur la sismicité7.
Les exemples concernent aussi d’autres évènements météo. Par exemple, la Californie est marquée par une alternance de saisons sèches et humides lors desquelles la neige et l’eau s’accumulent dans les montagnes, les lacs et réservoirs. Il a été montré que cette saisonnalité modifie les taux de sismicité dans la région8. Et en Turquie, les oscillations du niveau de la mer de Marmara – associées à la variation des saisons – sont aussi corrélées avec le nombre de séismes9. « Jusqu’à présent, les séismes corrélés avec des évènements météorologiques sont essentiellement de faible magnitude – cela n’exclut pas d’éventuels séismes de magnitude plus forte dans le futur, précise Christophe Larroque. Cela pose de vrais challenges d’observation puisqu’il faut déployer un réseau d’enregistrement sismologique de bonne qualité pour enregistrer précisément ces petits séismes. Ces dernières années, l’amélioration et la multiplication des réseaux sismologiques a permis d’améliorer notre compréhension. »
Les mécanismes impliqués dans la relation entre les conditions météorologiques et les tremblements de terre
Quels mécanismes expliquent cette corrélation entre la météo et la sismicité ? « Plusieurs processus sont en jeu, il est compliqué de les discriminer », répond Christophe Larroque. Concernant la tempête Alex, Christophe Larroque et ses collègues viennent de publier une analyse inédite, à la croisée de différentes disciplines. « Nous avons relocalisé précisément les séismes, retracé leur migration au cours du temps, et modélisé différentes hypothèses pour comprendre les processus en jeu », retrace Christophe Larroque. Ainsi, l’équipe montre que la pluie a généré une surpression de fluide qui s’est propagée en profondeur – on parle d’un front de pression – jusqu’à déstabiliser une faille déjà sous contrainte. La faille s’est alors mise à glisser (de façon asismique) jusqu’à déclencher de petits essaims de séismes.
Il faut bien comprendre que de petites variations des contraintes peuvent suffire à déclencher des séismes. Si le front de pression généré par la tempête Alex est à l’origine de la sismicité inhabituelle dans la région, les évènements météorologiques peuvent modifier localement les contraintes par d’autres mécanismes. Une étude s’est intéressée aux effets du typhon Morakot à Taïwan en 200910. Les précipitations intenses ont provoqué plus de 10 000 glissements de terrain et un transport très important de roches et sédiments dans les rivières. Ces déplacements de masses en surface ont augmenté les contraintes sur les failles, expliquant la hausse importante de la fréquence des séismes superficiels durant deux ans et demi après le passage du typhon. Autre exemple : en Californie, les variations saisonnières de la sismicité sont liées principalement aux contraintes générées par le poids de l’eau accumulée en surface pendant la saison humide11.
Or, tous ces évènements météorologiques sont, et encore plus à l’avenir, influencés par le changement climatique lié aux activités humaines. La hausse des températures à la surface de la Terre provoque une fonte rapide des calottes glaciaires, augmente l’intensité des précipitations extrêmes et des cyclones, ainsi que le niveau global des mers12. Tous ces changements de surface modifient localement les contraintes sur les failles.
Dans la péninsule coréenne, l’étude des tremblements de terre au cours des derniers 650 000 ans met en évidence une corrélation entre la sismicité et la fin des différentes périodes glaciaires : à chaque déglaciation, la fonte des glaces provoque une hausse rapide du niveau marin et une augmentation de l’activité sismique dans la région13. Alors que le niveau marin global s’est déjà élevé de 0,2 m depuis 1901 et pourrait atteindre 1 m de plus d’ici 2100, les conséquences pourraient être importantes. Certains estiment qu’une hausse de 1 m pourrait augmenter la pression sur l’ensemble des océans (soit 70 % de la surface du globe) de façon suffisante pour déclencher des séismes sur de nombreuses failles déjà proches de la rupture. « La hausse du niveau des mers va dans la majorité des cas accélérer la survenue des séismes, et dans d’autres cas la retarder, conclut Marco Bohnhoff. Dans ce cas, plus d’énergie s’accumulera sur les failles et les séismes seront alors plus forts. Cela affectera les populations qui vivent sur le littoral, il est urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter le nombre de séismes causé par le changement climatique. »