Le changement climatique aura aussi un impact sur les éruptions volcaniques
- Le changement climatique modifie les systèmes géologiques, dont les éruptions volcaniques.
- La fonte des glaciers peut par exemple favoriser la remontée du magma à la surface alors que la hausse du niveau des mers peut diminuer la production du magma en profondeur.
- Au cours du temps, certaines régions volcaniques peuvent s’attendre à une augmentation des éruptions et des risques secondaires (lahars).
- Il est toutefois encore difficile d’attribuer la survenue d’une éruption au changement climatique.
Comment le changement climatique influence-t-il des phénomènes géologiques comme les éruptions volcaniques ?
Virginie Pinel. Pour qu’une éruption se produise, le magma doit arriver à la surface de la terre. Or des changements en surface peuvent favoriser la production de magma en profondeur ou encore faciliter sa remontée1.
Prenons ce dernier exemple : le magma est moins dense que les roches qui l’entourent, il remonte donc vers la surface grâce à la poussée d’Archimède [N.D.L.R : tout comme de l’huile plongée dans l’eau]. Si la charge présente au-dessus de la chambre magmatique diminue, le magma peut remonter plus rapidement. C’est précisément ce qu’il se produit lors de la fonte des glaciers liée au changement climatique causé par les activités humaines. Lorsqu’un glacier diminue en épaisseur ou en largeur, un réservoir de magma en profondeur peut rompre et le magma remonter à la surface. Cela d’autant plus que le volcan est proche de l’éruption !
Et concernant la production de magma en profondeur ?
VP. La fonte des glaciers sur de grandes étendues augmente la production de magma en profondeur. À l’inverse, pour les volcans sous-marins, la hausse du niveau des mers liée au changement climatique d’origine humaine augmente la pression sur les chambres magmatiques. Cela pourrait diminuer la production de magma.
Ces phénomènes ont-ils déjà été observés et mesurés ?
VP. Oui, notamment dans les traces géologiques du volcanisme passé. Nous observons des changements d’activité volcanique liés aux changements climatiques passés. Par exemple en Islande, les taux d’éruption volcanique ont été 30 à 50 fois plus importants qu’aujourd’hui suite aux importantes déglaciations du passé (la dernière ayant eu lieu il y a 10 000 ans). Mais des effets sont également enregistrés sur le volcanisme actuel, en particulier en Islande où l’on peut observer une saisonnalité des éruptions liée aux variations d’épaisseur de neige.
Depuis quelques années, des études d’attribution permettent de définir l’impact du changement climatique sur la probabilité de survenue des évènements météorologiques extrêmes. Qu’en est-il des éruptions volcaniques ?
Thomas J. Aubry. Il est encore compliqué d’attribuer la survenue d’une éruption au changement climatique. Nous pouvons attribuer le déclenchement de certaines éruptions aux précipitations, en particulier sur les volcans dont l’histoire éruptive et le système magmatique sont bien connus. Les précipitations – modifiées elles aussi par le changement climatique – peuvent s’infiltrer en profondeur et réagir avec le système magmatique pour déclencher une éruption. Mais pour une éruption particulière, il est compliqué d’attribuer de manière robuste le double lien entre l’éruption et les précipitations, ainsi qu’entre les précipitations et le changement climatique.
Le changement climatique influence-t-il l’éruption une fois celle-ci déclenchée ?
TA. Oui, de nombreux processus éruptifs sont influencés. En particulier, l’hydrologie de surface affecte énormément le style éruptif. Si le magma rencontre une calotte glaciaire ou un lac à son arrivée en surface, l’éruption dégage beaucoup plus d’énergie et le panache volcanique atteint une hauteur plus importante. Le changement climatique influence cette hydrologie de surface.
L’autre effet du climat sur l’éruption concerne la remontée du panache volcanique dans l’atmosphère. Sa hauteur est principalement contrôlée par l’intensité de l’éruption (évoquée précédemment), mais aussi par les gradients de températures et de densité de l’atmosphère. Dans les zones tropicales, le changement climatique modifie la troposphère – les 16 kilomètres les plus bas de l’atmosphère – d’une façon telle que les panaches montent moins. La hauteur des panaches pourrait diminuer de 1 à 2 km d’ici la fin du siècle si nous continuons à émettre des gaz à effet de serre. En dehors des zones tropicales, l’impact du changement climatique sur les panaches est lié aux régimes des vents, qui varient beaucoup selon les régions et l’altitude.
Certaines régions volcaniques sont-elles plus affectées par le changement climatique ?
TA. Nous menons actuellement des travaux visant à réaliser cette cartographie des volcans les plus sensibles au changement climatique. Grossièrement, nous savons que cela concerne les régions où la fonte des glaciers est rapide, comme l’Islande ou le Chili, ainsi que les volcans qui sont très affectés par les précipitations comme en Indonésie. Une étude publiée en 20222 montre que 716 volcans à travers le monde – soit 58 % des volcans aériens actifs – seront affectés par des précipitations plus extrêmes à mesure que les températures globales vont continuer de grimper. Nous pouvons donc nous attendre à potentiellement plus d’éruptions.
VP. L’autre effet de ces précipitations extrêmes est l’augmentation des risques secondaires, en particulier les lahars. La fonte des glaces et les pluies extrêmes peuvent déclencher ces coulées de boue composées des cendres d’anciennes éruptions volcaniques : ce phénomène contribue de manière significative au nombre de décès liés au volcanisme à travers le monde. Cela concerne de nombreux sites volcaniques.
Cela a‑t-il des retombées pour la gestion du risque volcanique ?
TA. Dans les régions particulièrement sensibles au changement climatique, nous estimons que la fréquence et l’intensité des éruptions seront modifiées à mesure que le réchauffement global augmente. Les agences gouvernementales se penchent déjà sur ces changements. Dans le passé, les changements climatiques ont provoqué des effets spectaculaires sur les éruptions volcaniques. Mais il faut tout de même relativiser : ces changements climatiques passés étaient d’une plus grande ampleur, on ne s’attend pas à des modifications aussi importantes. En revanche, l’une de nos motivations à travailler sur le sujet est de mettre en évidence les conséquences de nos activités. Si nous n’atténuons pas suffisamment le changement climatique, nous irons jusqu’à modifier les systèmes géologiques. Je trouve cela incroyable…
VP. Concernant la gestion des risques, les effets du changement climatique ont aussi un impact sur la prévision des éruptions. La fonte des glaces et les changements de précipitations induisent des déplacements du sol : or ce sont les déplacements du sol liés aux processus volcaniques – comme la remontée du magma – qui permettent d’anticiper les éruptions. Les effets du changement climatique brouillent le signal.
Les effets du changement climatique sur l’activité volcanique sont-ils bien connus ?
TA. Les effets de l’activité volcanique sur le climat sont bien connus : il est en effet crucial de bien comprendre l’impact des processus naturels sur le climat pour mesurer les effets des activités humaines. L’inverse est beaucoup moins étudié. Seul le lien entre les déglaciations et les éruptions volcaniques a pu être largement exploré grâce aux enregistrements géologiques.
VP. La difficulté de ce domaine d’étude repose sur l’échelle de temps. Les systèmes volcaniques se mettent en place au cours de plusieurs centaines de milliers d’années, alors que le changement climatique se déroule sur quelques décennies. Nous n’avons pas encore assez de recul pour avoir une vision claire des modifications en cours sur l’activité volcanique. Reste que le changement climatique représente pour nous une opportunité de mieux comprendre les facteurs qui modulent et déclenchent les éruptions, comme une expérience grandeur nature.