Le transport routier, et en l’occurrence, le marché de l’automobile, se trouve au cœur de la transition énergétique. Et dans le (rétro)viseur : la voiture individuelle. En effet, 30 % des émissions de CO2 en France sont liées aux transports, dont 16 % spécifiquement à la voiture individuelle. Dans le but de réduire ces émissions, il existe plusieurs pistes à explorer, dont les développements technologiques – notamment le passage des véhicules thermiques à l’électrique – et l’évolution vers des moyens de transports collectifs.
La mobilité en évolution
La piste technologique, que nous connaissons tous de mieux en mieux, est celle qui consiste à faire basculer le parc existant des véhicules thermiques vers l’électrique – ou dans un avenir plus lointain, peut-être même vers les transports à hydrogène. « C’est déjà une rupture importante, car la mobilité électrique va s’intéresser non seulement à la valeur de l’automobile pour celui qui la conduit, mais aussi à la valeur produite pour celui qui vit à ses côtés et qui en subit les nuisances, explique Christophe Midler, professeur émérite de gestion de l’innovation à l’École polytechnique (CNRS/IP Paris). Cette évolution élargit la notion de client au-delà du conducteur et du passager, pour inclure la ville, le pays, les communautés ».
Dans tous les cas, le 8 juin 2022, le Parlement européen a voté en faveur de l’interdiction de la vente de nouveaux véhicules thermiques à l’horizon 2035. Et nous pourrons donc considérer cette piste technologique comme étant bien en cours.
La deuxième piste pour réduire les émissions de CO2 consiste à convaincre les conducteurs de ne plus utiliser leur véhicule seuls. Cette solution prend donc forme dans un report modal des transports individuels vers des transports collectifs. Ceci passe certes par une amélioration des transports en commun, mais également par une réduction de l’autosolisme.
« En moyenne, en Europe, il y a 1,1 personne par véhicule, commente Christophe Midler. Pour changer cela, il faut une petite révolution, qui consiste à mettre au point de nouveaux services de mobilité collectifs basés sur la voiture individuelle. Cela oblige à coordonner des acteurs qui n’ont pas pour habitude de travailler ensemble : des conducteurs propriétaires de leurs voitures, des collectivités locales, des gestionnaires d’infrastructures et d’applications ».
L’autopartage nécessite donc le développement du covoiturage, mais aussi des véhicules autonomes, sans conducteur, et il révèle une tendance beaucoup plus lourde annonçant peut-être même la fin d’un modèle basé sur la voiture individuelle. « Si on met en place du covoiturage, on va augmenter à 1,8 dit le professeur. Surtout sur ces trajets du quotidien entre domicile et travail. »
Cependant, le modèle économique n’est pas simple car, comme souligne Christophe Midler, « les constructeurs savent qu’il leur faudra accompagner leurs clients dans l’apprentissage de cette nouvelle mobilité. À la mise sur le marché d’une nouvelle voiture, le client sait vite repérer ce qu’elle a de mieux que la précédente. Mais avec de telles ruptures technologiques il faut expérimenter, habituer les passagers à ne pas avoir peur dans un véhicule que personne ne conduit. »
Le covoiturage et le citoyen
Un jeune entrepreneur français, Thomas Matagne, président fondateur d’Ecov, essaye de mener son service de covoiturage dans de nombreuses régions de France. Son objectif : apporter une solution aux habitants des territoires périurbains et ruraux qui ne disposent pas de transports collectifs, afin de rendre possible la mobilité du quotidien.
Pour cela, il a décidé de faire de la voiture un outil de transport collectif, et de déployer, en lien avec les collectivités, des lignes de covoiturage qui sont comme des lignes de bus. Après avoir identifié sur une zone donnée les flux de voitures, des stations sont installées, matérialisées par des panneaux à diodes sur lesquels s’affiche la destination du passager en demande d’un covoiturage.
Ni le conducteur, ni le passager, n’ont réservé à l’avance le covoiturage, et c’est ce qui fait le succès du système. Le temps d’attente moyen sur les réseaux déjà en fonctionnement est de 4 minutes, et Ecov garantit un taxi ou un VTC si le passager ne trouve pas de chauffeur dans les 15 minutes. « Les passagers sont certains de partir et de revenir, c’est la condition pour créer la confiance dans le service » souligne Thomas Matagne.
Selon les collectivités, le service est gratuit ou payant. De même que la RATP, Transdev, ou Keolis opèrent les lignes de bus, de métro, ou de trams, Ecov a déjà ouvert une soixantaine de lignes de covoiturage pour des collectivités.
Reste à monter en charge : « Notre prochaine étape est de travailler avec les habitants des territoires, potentiels utilisateurs, pour coconstruire ce service public partagé, commente-t-il.Nous pensons nous développer aussi à l’étranger, car nous sommes sur une innovation de rupture technologique et organisationnelle qu’aucun autre acteur ne sait organiser pour l’instant en Europe ».
Mais ce n’est pas que du logiciel qu’Ecov a développé : « Nous avons parmi nos salariés des ingénieurs en analyse, certes, mais aussi des ingénieurs voiries, des ingénieurs transports, des spécialistes du marketing, qui peuvent accompagner les changements de comportement, mais aussi animer des communautés, assister les utilisateurs. Nous appelons chaque utilisateur qui fait un premier trajet en temps réel pour lui signifier qu’il n’est pas seul, que l’on surveille ce qui se passe. »
Un marché multiaxe
Ces changements de comportement auraient évidemment des impacts importants sur les constructeurs, qui se retrouvent en position de fournisseurs de véhicules à des services de mobilité. Et ces services sont plus portés par les opérateurs de smartphone comme Orange ou Bouygues Telecom… « C’est pourquoi à peu près l’ensemble des constructeurs d’automobiles – y compris Renault, Daimler et PSA – ont investi dans le domaine de l’opérateur de mobilité en location, explique Christophe Midler. Ils ont tous une activité soit directement, soit en ayant des actions d’opérateur de mobilité, de manière à contrôler un peu ce bout de leur chaine de valeur qui, avant leur appartenait en propre. »
Résultat : les constructeurs automobiles doivent mener de front plusieurs axes stratégiques et opérationnels qui se situent à des horizons différents. On parle ici du véhicule électrique, du véhicule autonome autour de 2035, et des véhicules thermiques qui constituent encore l’essentiel de leurs ventes. Pas simple pour eux de préparer l’avenir en développant des technologies qui sont en compétition frontale avec le véhicule thermique !
La sobriété, c’est une organisation collective qui permet aux individus de moins consommer tout en vivant bien.
« Au cœur de ce changement, il faut se rappeler que ce sont des innovations demandées par la société, souligne Christophe Midler. Pour le véhicule électrique par exemple, ce ne sont ni les constructeurs ni les clients qui ont dit « je veux une voiture électrique », mais la société civile qui a réclamé une diminution des émissions de CO2. »
Enfin, comme le souligne Thomas Matagne, la sobriété ne peut relever du seul choix individuel. « La sobriété, c’est une organisation collective qui permet aux individus de moins consommer tout en vivant bien ». Si les gens sont prêts pour une demande de transition écologique, encore faut-il que la société leur donne les moyens, notamment, de se déplacer autrement…