La voiture est le mode de transport le plus utilisé en France, représentant de l’ordre des deux tiers de nos mobilités1, en nombre de trajets, en temps de transport ou en kilomètres parcourus. Elle représente aussi une source importante d’émissions de gaz à effet de serre, avec un peu plus de la moitié des émissions des transports intérieurs (hors transports internationaux), soit 16 % des émissions en France2. L’automobile est donc un secteur majeur pour la lutte contre le réchauffement climatique.
Ainsi, la voiture électrique est vue comme une solution pour réduire l’impact environnemental des voitures, et se trouve soutenue par les pouvoirs publics, développée par les constructeurs et de plus en plus adoptée par les usagers.
Même si les ventes de voitures électriques ont fortement augmenté depuis 2020, représentant 10 % des ventes3 sur l’année 2021, elles ne représentent qu’un peu plus de 1 % du parc automobile français actuel. Les décisions politiques vont tout de même dans le sens de cette croissance, qui devrait se poursuivre. En France, l’objectif de fin de vente des voitures thermiques est fixé pour l’instant à l’horizon 2040, tandis que l’UE devrait avancer cet objectif à 20354.
Pour juger si cette électrification est une bonne nouvelle et nous mène vers une mobilité durable, il faut regarder ses avantages et inconvénients sur plusieurs impacts environnementaux, sociaux et économiques des mobilités.
Une électrification indispensable aux objectifs climatiques
Contrairement aux véhicules thermiques, les émissions des véhicules électriques sont nulles à l’usage, et sont au contraire concentrées sur la production du véhicule et de l’énergie. Ainsi la production d’une batterie de voiture électrique demande des ressources minérales dont l’extraction a un impact environnemental indéniable, et leur raffinage comme la production de batteries consomme également de l’énergie. Sur la phase de production du véhicule, l’électrique est plus émetteur de gaz à effet de serre (en plus d’autres impacts environnementaux) que le thermique, en raison de l’ajout de cette batterie.
C’est dans l’utilisation du véhicule que l’impact climatique sera compensé, surtout pour les pays au mix électrique fortement décarboné. En France, parmi les pays les mieux dotes sur ce dernier point, la voiture électrique permet dès aujourd’hui de diviser par 3 les émissions de gaz à effet de serre, en comparaison avec une voiture thermique (selon les études, les hypothèses de départ, ou encore le type de véhicule étudié, les émissions sont divisées d’un facteur de 2 à 5).
Alors que les autres carburants alternatifs au pétrole (hydrogène, biogaz, agrocarburants, ou carburants synthétiques) ne sont pas aussi adaptés aux véhicules légers, l’électrique est une solution privilégiée et même indispensable à l’atteinte de nos objectifs climatiques dans les transports. Ainsi le rapport du GIEC7 évoque dans le résumé aux décideurs que les « véhicules électriques alimentés par de l’électricité bas-carbone offrent le principal potentiel de décarbonation des transports terrestres, en analyse de cycle de vie »8. Cependant, même un facteur 3 sur les émissions n’est pas suffisant, et nécessiterait d’être amélioré en se tournant vers des véhicules bien plus sobres, on y reviendra.
Des gains à relativiser sur la pollution atmosphérique
Au-delà du changement climatique, un autre thème d’importance concerne la pollution de l’air, qui impacte notre santé. Les conséquences sanitaires en France9 sont dues principalement aux émissions de particules fines (PM), devant les oxydes d’azote (NOx) ou encore l’ozone (O3). Le secteur des transports est plus ou moins structurant selon les polluants10 : plus de 60 % pour les NOx et 17,5 % pour les PM2.5 (les particules de diamètre inférieur à 2,5 µm), des proportions qui augmentent cependant dans les zones les plus denses et notamment en bord de route où le transport routier représente plus de la moitié des particules11, là où l’exposition des populations peut être importante.
Jusqu’à maintenant, les émissions à l’échappement ont été les principales sources de pollution atmosphérique du transport routier. Des progrès importants ont déjà été réalisés sur ces points pour les véhicules neufs, et l’électrique résoudra complètement ce problème aussi bien pour les particules fines que les NOx.
En revanche, à force de progrès sur les particules fines à l’échappement, la part des particules hors échappement se trouve de plus en plus importante, représentant 59 % des émissions de PM10 et 45 % de celles de PM2.512 en 2019 en France. Ces émissions correspondent à l’abrasion des freins, des pneus et de la chaussée, ainsi que la remise en suspension de particules fines déjà présentes sur les routes. Les véhicules électriques permettent de réduire les émissions de particules issues des freins grâce au freinage régénératif, mais les émissions sont plus fortes pour les particules issues des pneus et de la chaussée, en raison de leur poids plus important. Au total, les émissions sont un peu plus faibles pour l’électrique, d’autant plus lorsque l’autonomie, et donc le poids du véhicule, est limitée.
De nombreux impacts de la voiture trop souvent oubliés
Aussi bien pour les émissions de gaz à effet de serre que de polluants atmosphériques, la voiture électrique apparaît donc plus favorable que la voiture thermique, mais dans des proportions qui restent insuffisantes et qui ne doivent pas masquer des niveaux d’émissions qui restent importants, notamment en comparaison avec d’autres modes de transport ou formes de mobilité plus sobres et plus vertueuses. C’est aussi le cas sur d’autres impacts ou externalités des transports, sur lesquels la voiture électrique ne permet pas de résoudre les problèmes identifiés.
Comme pour la pollution atmosphérique, la pollution sonore, un facteur important de qualité de vie, se trouve diminuée par les véhicules électriques sans non plus disparaître. En effet, le bruit des véhicules thermiques ne vient pas seulement du moteur, mais aussi des frottements des pneus et des bruits aérodynamiques, d’autant plus importants lorsque la vitesse augmente, des sources de bruits qui ne seront pas modifiées par la voiture électrique.
D’autres problématiques liées à la voiture restent inchangées avec le passage à l’électrique. Il s’agit notamment de la consommation d’espace de la voiture, souvent résumée aux problématiques de congestion, mais qui concerne aussi la place en stationnement (en voirie, dans les bâtiments et parkings) et plus largement les infrastructures de transport, entraînant artificialisation des sols et impacts sur la biodiversité. Les problématiques d’accidentologie restent également inchangées avec le passage à l’électrique. La voiture est aussi un mode inactif, et l’inactivité physique et la sédentarité sont une problématique de santé publique majeure, bien que trop souvent oubliée, puisqu’elle ne concerne pas moins de 95 % de la population14.
La problématique d’inégalités d’accès à la mobilité, pour des raisons sociales ou territoriales, peut être renforcée ou réduite par le passage à l’électrique, selon les cas. Avec un coût plus élevé à l’achat, au moins pour le moment, la diffusion de la voiture auprès des populations les plus fragiles financièrement est compliquée, mais les coûts d’usages sont ensuite bien plus faibles, pour un coût global de possession qui reste important en comparaison à l’usage des transports collectifs, du covoiturage ou encore plus des mobilités actives, même si la non-motorisation peut nécessiter d’utiliser parfois l’autopartage.
Enfin, sur les consommations de ressources et notamment de certains métaux (lithium, cobalt, nickel, cuivre, etc.), le véhicule électrique peut entraîner des tensions nouvelles par rapport à la voiture thermique, en termes de difficultés d’approvisionnement et de volatilité des prix, de limitation de certaines ressources ou de pollutions en lien avec leur exploitation.
Repenser les véhicules et la mobilité actuelle
Répondre conjointement à ces différentes problématiques nécessitera donc d’aller au-delà d’un simple passage à l’électrique du parc de voitures — à supposer qu’il soit possible de le réaliser sans contraintes majeures, d’autant que le parc mondial de voitures est prévu à la hausse dans les prochaines décennies.
Il s’agit d’abord de revoir le dimensionnement des voitures ou plus largement des véhicules utilisés, qui ne sont pas adaptés aujourd’hui aux usages quotidiens, c’est-à-dire à l’immense majorité des usages. Ainsi la voiture possède généralement 5 places, peut aller jusqu’à 180 km/h, pèse de l’ordre de 1,3 tonne, alors que les usages les plus fréquents sont pour une seule personne, sur des routes limitées à 80 ou 90 km/h maximum (plus rarement jusqu’à 130 km/h), pour des distances de quelques kilomètres à quelques dizaines de kilomètres.
Ici aussi, le risque est de continuer la course à l’autonomie pour les véhicules électriques, quand des autonomies de plusieurs centaines de kilomètres ne servent qu’à quelques rares trajets par an, pour un surcoût financier à l’achat et des impacts environnementaux très significatifs. Il faut donc développer à l’avenir des véhicules bien plus sobres, c’est-à-dire plus petits, légers, moins puissants et moins rapides, plus aérodynamiques, avec une autonomie limitée… ce qui est à l’opposé des tendances actuelles, marquées par des véhicules électriques lourds (comme les SUVs) qui ne répondent à aucun des critères vertueux cités plus haut.
En élargissant le sujet, il s’agit plus globalement de développer des véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture, qui vont du vélo à assistance électrique (VAE) à la mini-voiture (du type Renault Twizy ou Citroën Ami), en passant par les vélos pliants, les vélos cargos, les speed-pedelecs (vélos assistés jusqu’à 45 km/h) ou encore les vélomobiles (vélos couchés carénés). Ces véhicules permettent d’étendre les possibilités du vélo classique pour remplacer la voiture, tout en rendant la mobilité électrique bien plus accessible et bien moins impactante en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de polluants, ou encore de consommation de ressources et d’espace.
Plus globalement encore, il faut aussi revoir la place et les usages de la voiture dans la mobilité, en agissant sur les 5 leviers de la décarbonation des mobilités, cités par la stratégie nationale bas-carbone16, à savoir : la modération de la demande de transport, en retrouvant davantage de proximité au quotidien et en réduisant les plus longs trajets ; le report modal, en favorisant autant que possible (et dans cet ordre) la marche, le vélo, le train, les bus et cars, bien avant la voiture et l’avion dont l’usage doit être réduit ; en améliorant le remplissage des véhicules, notamment avec le levier du covoiturage ; l’efficacité énergétique, qui concerne aussi la réduction de vitesse sur les routes, en plus des leviers de véhicules plus sobres et électrifiés déjà évoqués ; et enfin la décarbonation de l’énergie, en particulier par l’électrification pour les véhicules les plus légers, et aussi l’hydrogène, le biogaz, les agrocarburants, ou les carburants synthétiques en complément ou pour les autres modes plus difficiles à électrifier.
Si la technologie et notamment ce dernier levier sont majeurs et indispensables, ils doivent être replacés à leur juste place dans la transition, en tant que derniers leviers de décarbonation, après les leviers précédents qui permettent mieux de prendre les impacts des mobilités à la racine et donc de répondre positivement à davantage d’enjeux de durabilité.
Pour ce qui concerne la voiture, l’électrique doit ainsi être encouragé, car c’est la meilleure alternative pour se séparer du pétrole, mais cela ne peut être vu et envisagé comme une unique solution miracle… car elle ne l’est pas.
Propos recueillis par Pablo Andres
Pour aller plus loin
Les travaux de recherche d’Aurélien Bigo sont à retrouver sur cette page, avec notamment la partie sur les véhicules électriques en pages 270–275 de sa thèse.